Chanvre : « Notre priorité, c’est de développer la production locale »

L’association des chanvriers de Nouvelle-Calédonie, présidée par Thomas Guarese, revendique une centaine de membres. / © G.C.

Thomas Guarese, président de l’Association des chanvriers de Nouvelle-Calédonie, voit le chanvre comme un formidable moyen de réduire les importations de matériaux de construction, de diversifier l’économie calédonienne et de fixer les populations en Brousse. Il milite pour la création d’une filière réglementée.

DNC : L’objectif premier de votre association est la création d’une filière de chanvre industriel. Quelle est l’ambition ?

Thomas Guarese : L’idée m’est venue en 2019- 2020, quand on a connu le blocage du port, puis le Covid. À la moindre perturbation, la Nouvelle-Calédonie est isolée. L’avantage du chanvre, c’est son côté local, artisanal, sans besoin de pétrochimie. Le béton de chanvre, c’est de la fibre mélangée à de la chaux et du corail mort qu’on a fait chauffer dans un four. On sait faire. Les églises des îles Loyauté ont été bâties comme cela.

Le chanvre, c’est quatre mois de pousse avec très peu d’eau, y compris en saison chaude. Il emmagasine les métaux et dépollue les sols. Et cela procure des revenus pour les agriculteurs. La culture du chanvre est déjà normée en France, donc pas besoin de lancer de grandes études. Avec une loi qui imposerait 10 % de matériaux biosourcés dans les bâtiments publics, on aurait un marché.

Le chanvre, c’est quatre mois de pousse avec très peu d’eau, y compris en saison chaude.

L’import de produits à base de cannabidiol (CBD) pour soulager les malades semble faire consensus. La culture de la plante sera plus difficile à faire accepter…

Il faudra de la pédagogie et surtout du contrôle. C’est toute une filière à mettre en place, avec une culture sous licence, une déclaration au haut-commissariat, etc. Ce n’est pas simple. On ne veut surtout pas que ce soit mal fait, mal perçu, et devoir tout recommencer. Si les portes se ferment, elles se fermeront pour une vingtaine d’années.

Si on ne demande pas l’autorisation d’import de fleurs de chanvre, c’est justement pour éviter les confusions. Beaucoup de gens confondent encore le chanvre, le CBD et le cannabis récréatif. C’est comme si on confondait l’eau, le soda et l’alcool.

Comment imaginez-vous l’“Ocef du chanvre” ?

On ne veut pas que ce soit totalement public. Le mille-feuille administratif est un frein à l’économie. En France, il y a des Scic [sociétés coopératives d’intérêt collectif, NDLR], qui permettent d’avoir trois collèges de décideurs : les financeurs, qui seraient les institutions publiques, les agriculteurs et les employés de cette coopérative. L’autre avantage, c’est que les agriculteurs peuvent toucher des dividendes.

Le chanvre industriel se plante comme du maïs, sur de grandes étendues

Comment s’organisent les deux sous-filières, industrie et CBD ?

Le chanvre industriel se plante comme du maïs, sur de grandes étendues, avec des plantes de trois mètres de haut, sans fleurs, récoltées à la moissonneuse batteuse puis défibrées par une coopérative. Pour le CBD, la valeur ajoutée est beaucoup plus élevée, mais ce serait un petit marché local.

Ce sont de petites plantes dont on va utiliser la fleur. La culture sous serre donne un espace géographiquement délimité, évite la poussière ambiante et la contamination aux métaux lourds par le sol. Il faut un contrat avec un laboratoire afin de faire des extractions des cannabinoïdes et des analyses, pour obtenir une huile qui s’ingère.

Quel est l’investissement nécessaire ?

Si on voulait se lancer tout de suite, il faudrait une défibreuse à 30 millions. On a un labo de contrôle au CHT, un labo d’analyses à l’Université, deux labos d’extraction du santal et de la vanille. On a déjà des outils et des compétences. Mais il faut aussi créer un office de régulation et c’est plus coûteux : il faut embaucher, faire venir des formateurs… On arriverait à une centaine de millions pour la première année.

Pourquoi ne croyez-vous pas à l’export du CBD?

C’est un marché très concurrentiel, avec de grands pays comme l’Australie. Et puis, on a une terre faite pour les cannabinoïdes, pour des plantes fortes en THC, pas en CBD. Ce serait un avantage pour le cannabis médical puisque c’est le THC qui est recherché. Là, il y a un vrai potentiel. Il faudrait peut- être un modèle où on autoriserait simplement l’export.

Mais notre priorité, c’est de développer la production locale, que ce soit de CBD ou de chanvre. On veut faire par les Calédoniens et pour les Calédoniens. J’ai grandi à Houaïlou, et c’est toujours comme ça : on fait d’abord chez nous, et après, on va montrer aux autres.

 

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