Attaques contre les « valeurs collectives », le patrimoine, la mémoire… De nombreuses personnalités dénoncent les destructions d’édifices symboliques, vues comme autant de coups de massue dans le mince ciment de l’identité calédonienne.
Bergé Kawa est écoeuré. « Il faut de la paix, et eux », ceux qui ont profané le mausolée d’Ataï et de son Dao, « ils foutent la merde », peste le grand chef du district de Cîrî. L’inauguration des sépultures, le 1er septembre 2021, avait été l’aboutissement de tant d’efforts, de tant de diplomatie. « J’y ai travaillé pendant toutes ces années… Ça m’a fait quelque chose d’apprendre ça. »
Dans la nuit de dimanche 21 à lundi 22 juillet, le marbre a été fracturé, les reliques de son ancêtre ont été emportées, le caveau a été brûlé. Dès lundi, « beaucoup de Caldoches sont venus nous voir », précise l’homme de la tribu de Petit Couli, touché par ces marques de soutien.
Le lendemain, la gendarmerie a effectué des relevés sur le site du mausolée, à Fonwhary, pour nourrir son enquête. « Ceux qui ont fait ça devront assumer, et leurs complices aussi, insiste Bergé Kawa. Parce qu’on les retrouvera. Il faut qu’ils rapportent les têtes, sinon c’est la fin de la famille. »
Le mausolée « se voulait un lieu de mémoire et de réconciliation des différentes cultures qui fondent notre histoire », écrit Florence Rolland, maire de La Foa, dénonçant une « attaque directe à nos valeur collectives », une de plus.
UN PRÉJUDICE POUR « LA MÉMOIRE COLLECTIVE »
Dans la nuit du 19 au 20 juillet, le domicile du prêtre de Thio Mission a été incendié. La nuit précédente, l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, sur l’île des Pins, a été endommagée par les flammes. Quelques jours plus tôt, l’église de Saint-Louis avait été brûlée, tout comme la maison occupée par les Petites Filles de Marie et le presbytère de la mission de Saint-Louis.
« Je dénonce, au nom du gouvernement collégial, ces actes qui portent préjudice à la mémoire collective que représentent les édifices religieux ainsi que les lieux de commémoration historique, a déclaré le président Louis Mapou. Ces agissements sapent tous ces liens que nous avons durement tissés et construits dans la douleur depuis des décennies, pour parvenir à bâtir un avenir en commun. »
Évoquant le mausolée, le Sénat coutumier déplore la profanation d’« un lieu de mémoire et de réconciliation » et « appelle la population à garder le calme ». Le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, parle d’un acte « d’une grande gravité ».
« Ces actes de vandalisme sont des attaques inacceptables contre notre histoire, notre patrimoine et nos lieux de culte », considère Patrick Nicar, secrétaire général de l’Union progressiste en Mélanésie.
« NIHILISTE »
« On ne peut s’attaquer aux lieux de culte, [aux] monuments historiques, car ils revêtent un caractère sacré », écrit Daniel Goa. Pour le président de l’UC, le mausolée « symbolisait la réconciliation entre les communautés, élément central du projet que porte l’Union calédonienne ». Ce lieu profané, c’est « notre histoire commune qui est bafouée ».
Au bas du même communiqué, l’UC « demande aux responsables des forces de l’ordre de cesser les exactions et les pratiques abusives dans nos quartiers et nos tribus pour que la situation puisse s’apaiser ». La semaine précédente, le FLNKS avait exigé le départ des quelque 3 500 renforts venus de Métropole. « On ne sortira pas de cette crise avec une répression forte mais avec une solution politique », martèle l’UC.
Ces phrases s’adressent à Gérald Darmanin, qui reste ministre de l’Intérieur et des Outre-mer dans l’attente d’un nouveau gouvernement. Samedi 20 juillet, ce dernier avait commenté les attaques de bâtiments religieux. « Par la destruction d’églises et de symboles religieux, la Nouvelle-Calédonie connaît une violence nihiliste assumée que tout le monde doit condamner avec clarté. Soutien aux Calédoniens et aux forces de l’ordre engagés pour interpeller les auteurs de ces crimes. »
Gilles Caprais
« Ce n’est pas une affaire qui oppose Kanaks et Calédoniens »
Cyprien Kawa, fils de Bergé, affirme que plusieurs témoins ont entendu une « détonation » provenant du mausolée d’Ataï, et qu’ils disposent d’informations sur un suspect. « Ce n’est pas une affaire qui oppose Kanaks et Calédoniens », assure l’ancien sénateur coutumier. Son clan envisage de tenir une conférence de presse, en fin de semaine, pour s’exprimer plus longuement sur le sujet.