Grands voyageurs, les Italiens ont émigré en Nouvelle-Calédonie par intermittence. Cristina Bessone, chercheuse en anthropologie à l’université de Milan-Bicocca, mène la première étude doctorale sur le sujet.
Fogliani, Paladini, Donati, Cubbada, Gastaldi… « Plusieurs milliers d’Italiens » sont arrivés depuis la moitié du XIXe siècle, retrace Cristina Bessone. Cette spécialiste avait ici observé « des signes » lui rappelant son pays. « Des noms de rue, d’entrepreneurs ». Les migrations vers les États-Unis, l’Amérique du Sud ou l’Australie ont été étudiées. « 30 millions environ ont quitté le pays entre 1850 et 1950 », souligne-t- elle. Mais aucune étude académique ne porte sur la Nouvelle-Calédonie*. Cristina Bessone en fait le sujet de sa thèse, réalisée en cotutelle avec l’université de la Nouvelle-Calédonie.
Colons libres
La migration italienne est d’abord volontaire avec des paysans, commerçants, artisans. « Les colons français n’étaient pas les seuls à cette période », observe la chercheuse. Guiseppe Fogliani, de Lombardie, arrive en 1863 à 38 ans après avoir vécu en Australie. Marié à une veuve irlandaise, mère de quatre enfants, ils en auront quatre autres dont Gaëtan, le mari d’Agathe Fogliani, née Taniser, éleveuse de vaches laitières à Nouméa. Éliane Obry « Mamie » Fogliani, à Farino, est l’épouse d’Henri, petit-fils de Guiseppe. L’ancêtre aurait été le premier entrepreneur de pompes funèbres à Nouméa.
Louis Rosaire, originaire de la Vallée d’Aoste, postule à la colonisation Feillet vers 1900. Gian Battista Cubadda, de Sardaigne, arrive à la fin du siècle et travaille à la construction du nouveau pont de Dumbéa. On trouve parmi ses descendants, l’archéologue Christophe Sand.
Bagnards et migrants
À partir de 1864, 745 Italiens figurent parmi les 22 000 bagnards envoyés d’Europe. Luigi Paladini, tailleur de pierre toscan, débarque le 8 mai 1864 à 29 ans, à bord du premier navire, Iphigénie. Il a été condamné à 15 ans de travaux forcés par le tribunal de Bastia, pour avoir tué une personne et en avoir blessé une autre lors d’une bagarre. C’est le père de Candide Paladini Koch, cette enseignante qui a donné son nom à une école de la Vallée-des-Colons.
Bartolomeo Donati, également de Lombardie est condamné en 1893 en France à huit ans de travaux forcés pour contrefaçon de monnaie. Il est « l’arrière-grand-père de Bernard Berger » créateur de la bande dessinée La Brousse en folie. Confirmé par l’intéressé : Tonton Marcel est directement inspiré de son grand-oncle, Marcel Donati, installé à Thio.
D’autres forçats sont cités, Paolo Cuggola, Angelo Vico (Ouégoa) ou encore Cristoforo Gastaldi et Pascal Gervolino (Bourail) ce dernier étant l’« ancêtre du premier député de Nouvelle-Calédonie, Roger Gervolino ». On trouve aussi une dizaine de déportés politiques ayant participé à la Commune de Paris (1871) dont « Antonio Malato et son fils, Charles, qui se lie d’amitié avec Louise Michel », puis des religieux et religieuses durant la première moitié du XXe siècle.
La migration s’arrête dans les années 1930- 40 sous Mussolini. « Pendant la guerre, les Italiens sont considérés comme des ennemis ». Certains sont chassés du travail, incarcérés ou déportés.
Après la guerre, 400 mineurs affluent vers Thiébaghi, la mine Chagrin ou la SLN. Dans les années 1950-60, des centaines de maçons sont employés au barrage de Yaté, des entrepreneurs du bâtiment (Ardimanni et Benedetti à l’origine de la société Arbé, Moratto, Zuccato etc.) participent à la construction de la Nouvelle- Calédonie. Suivront, à partir des années 1970 jusqu’à nos jours, des artisans tels que le coiffeur Carmelo Tripodi, des restaurateurs (Cipriani), des médecins (Drovetti), etc.

Intégration
Les Italiens ont longtemps conservé leur nationalité, tout comme leurs enfants nés en Nouvelle-Calédonie. « Les naturalisations ont surtout eu lieu dans les années 1920- 1930 », selon Cristina Bessone. Aujourd’hui, les prénoms sont encore transmis dans certaines familles, mais chacun se sent surtout « Calédonien ». « Je ne me sens pas italienne mais mon père me parlait un peu de ses origines, raconte Gislaine Arlie descendante de Guiseppe Fogliani. J’ai encore des choses à apprendre et j’aimerais un jour aller à Milan ».
Bernard Berger n’est pas non plus particulièrement tourné vers cette origine mais trouve intéressant que des recherches soient menées. Il raconte que du temps de sa mère, les italiens pouvaient être stigmatisés (« macaronis » etc.). Il y avait aussi dans ces familles beaucoup de non-dits sur les origines.
S’il pouvait y avoir des clans, il n’y a plus désormais de communauté à proprement parler selon la doctorante mais une amicale active avec plus largement estime Bernard Berger « une sorte de connaissance des uns et des autres, une entente cordiale ». Davantage que de chercher leur « italianité », Cristina Bessone veut voir ce qu’ils sont devenus ici. « Pendant la migration, on devient toujours un autre. »
Chloé Maingourd
*Un travail de collecte a été réalisé localement par Jean-Louis Devillers, ainsi qu’un film visible sur Youtube L’empreinte italienne en Nouvelle-Calédonie (2019).
Méthode de recherche
Cristina Bessone a mené plus de 50 entretiens, passé du temps dans les familles, analysé documents, archives publiques et privées.
Sa thèse en anthropologie historique vise à reconstruire l’histoire de ces migrations, analyser les dynamiques d’appartenance et de voir comment elles s’intègrent aux grandes questions identitaires qui traversent la Nouvelle-Calédonie. Cristina Bessone vient de publier un article à ce sujet dans le dernier Bulletin de la Société d’études historiques de Nouvelle-Calédonie (n°224). Sa thèse sera présentée l’année prochaine.


