Les métaux rares dont le nickel sont devenus un enjeu stratégique majeur pour la transition énergétique mondiale. Le défi pour la Nouvelle- Calédonie est de parvenir à définir une stratégie à l’échelle du territoire. Afin d’éclairer le débat, le gouvernement a lancé un cycle de réflexion qui a été l’occasion pour l’Institut de la statistique et des études économiques de réaliser une évaluation du poids du nickel dans l’économie calédonienne. Un travail qui devrait déboucher sur la définition d’un modèle statistique permettant de mieux définir les politiques publiques.
Ce n’est pas vraiment une surprise puisque, déjà en 2012, les équipes de l’Agence française de développement (AFD), de l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM) et de l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee) avaient réalisé une étude de ce type. Le poids réel du nickel dans l’économie était donc connu, pour peu que l’on s’y intéresse. Cette nouvelle étude a toutefois le mérite de conforter ces connaissances et apporte des éléments complémentaires grâce à un croisement de données avec le recensement de 2019.
Comme le souligne Olivier Fagnot, le directeur de l’Isee, la part du nickel dans le produit intérieur brut (PIB), de l’ordre de 6 %, n’est pas nécessairement le meilleur indicateur pour appréhender le poids de ce secteur dans l’économie calédonienne. L’idée est de voir combien d’emplois, directs et indirects, dépendent du nickel. En termes d’emplois directs, 9 % émanent de l’emploi salarié privé, soit 5 900 postes.
Les emplois indirects, c’est- à-dire les sous-traitants et autres fournisseurs, représentent quant à eux 5 790 personnes, ce qui porte la part de l’emploi du secteur à un peu moins de 20 %. L’équipe de l’Isee a enfin estimé le nombre d’emplois induits. Il s’agit des emplois créés par les dépenses des salaires des emplois directs et indirects que constitue leur consommation. Au total, on obtient près de 16 000 personnes, soit un salarié sur quatre, qui sont directement ou indirectement liées au nickel. Un chiffre très important qui confirme l’importance de ce secteur pour l’économie calédonienne.
Un travailleur calédonien sur quatre
Ce que l’étude montre, moins connu jusqu’à présent, et que l’Isee a pu analyser grâce à l’accès à des données, c’est le détail au niveau des entreprises. Près de 70 % d’entre elles sont installées en province Sud, mais leurs activités peuvent aussi bien se situer dans le Sud que le Nord. Les plus importantes captent la plupart des commandes qui bénéficient le plus au secteur du commerce, devant l’industrie et les entreprises de construction. Les administrations et les associations reçoivent également des commandes des acteurs de la mine et la métallurgie pour près de 1,2 milliard de francs par an sur les 108 milliards de francs de commandes (1,1 milliard pour les administrations et 700 millions pour les associations).
L’Isee a également examiné la structure de l’emploi et ses caractéristiques. Il est intéressant de constater que la part des natifs (les questionnaires ne permettent pas de savoir s’ils sont citoyens ou non) est nettement supérieure dans le nickel (87 %) que dans le reste de l’économie (70 %). Autre élément intéressant, 54 % des salariés sont kanak, une proportion plus importante que dans le reste de l’économie (32 %). Pour mémoire, la communauté kanak représente 41,2 % de la population calédonienne.
Ces chiffres montrent sa surreprésentation dans la mine. Une des explications tient au fait que bon nombre d’emplois sont localisés sur les communes minières de la côte Est. Sur Yaté, Thio, Kouaoua, Canala et Houaïlou, l’emploi représente au minimum 20 % et jusqu’à 40 %. À noter qu’environ 60 % des emplois offerts sont destinés aux ouvriers. Seulement deux Kanak sur 10 occupent un emploi de cadre laissant apparaître une sous-représentation de la communauté aux postes à responsabilité, mais, paradoxalement, une surreprésentation par rapport au reste de l’économie où les Kanak ne sont qu’un sur 10 à avoir le statut de cadre.
Un modèle incomplet ?
À noter enfin, le niveau de salaire plus élevé que dans les autres secteurs. En moyenne, les salariés du nickel gagnent 400 000 francs par mois pour un salaire moyen de 342 000 francs. L’Isee n’a toutefois pas produit le salaire médian, un meilleur indicateur des inégalités que le salaire moyen qui masque la disparité des revenus. Plus simplement, le salaire moyen ne montre pas l’écart entre les salaires les plus bas et les plus hauts. Cela pourrait donc signifier que les hauts salaires y sont sensiblement plus élevés que dans les autres secteurs, mais pas forcément pour les plus petites rémunérations.
De manière plus générale, ce niveau de salaire plus favorable présente un risque de déstabilisation du marché de l’emploi, comme a pu le confirmer Catherine Ris, professeure d’économie à l’université de la Nouvelle- Calédonie et directrice du Laboratoire de recherches juridique et économique. Ce phénomène a été observé dans différents pays. Un niveau de salaire plus élevé dans un secteur le rend plus attractif que d’autres, ce qui freine considérablement leur développement et, dans le cas de la Nouvelle- Calédonie, la diversification de son économie. Pour mesurer cet effet, les études statistiques ne suffisent pas, il conviendrait de réaliser d’autres enquêtes.
Ces résultats sont le premier volet d’un travail plus global de l’Isee qui planche actuellement sur l’impact du nickel dans l’emploi public. Ils devraient être présentés d’ici la fin du mois de juillet. Ce deuxième volet ira beaucoup plus loin puisqu’il est prévu que l’Isee construise un modèle statistique (grâce à l’accès aux données des mineurs et des métallurgistes ainsi que des comptes économiques) permettant de prévoir les effets des politiques publiques. Très concrètement, les décideurs pourront savoir quelles seront les conséquences sur l’emploi ou les recettes fiscales d’une augmentation des exportations de minerai, par exemple. Un outil utile pour éclairer les politiques publiques, mais également aider la population à mieux comprendre les interactions entre le secteur du nickel et l’économie.
Reste que le modèle ne prévoit pas d’intégrer la composante environnementale, qui a un coût probablement non négligeable, au travers de l’impact de la mine sur la ressource en eau, par exemple, qu’il s’agisse d’eau douce ou du lagon. Il n’est par ailleurs pas non plus prévu de prendre en compte les conséquences sanitaires de l’exploitation, qu’il s’agisse de l’amiante et plus généralement de la dispersion de poussières contenant du nickel. Autant de dépenses qui ne sont pas couvertes par les sociétés minières ou du moins pas intégralement et, de fait, doivent être assumées par les collectivités.
M.D.