Omicron : « Un pic entre le 22 février et le 1er mars », selon Morgan Mangeas

La Nouvelle-Calédonie connaît un taux record d’incidence du Covid-19, porté par le variant Omicron. S’il est moins sévère que le Delta, ce virus est extrêmement contagieux et à même de désorganiser la société. Le point sur les enjeux de cette deuxième vague avec Morgan Mangeas, spécialiste en modélisation à l’IRD et membre du comité d’experts Covid-19 NC.

DNC : Le taux d’incidence explose. Cette dynamique était-elle attendue ?

Morgan Mangeas : Il y a clairement une évolution exponentielle de l’épidémie avec un nombre de cas qui double tous les deux ou trois jours. C’est la dynamique que l’on observe dans la plupart des pays. Lundi, 1 600 cas ont été détectés et le taux d’incidence est passé à plus de 2 000 mercredi. On est en pleine explosion et cela va continuer.

Connaît-on la proportion du variant Omicron ?

On était déjà à 80 % il y a une semaine, donc il est très largement dominant. Cette dominance varie selon les pays. En Angleterre, ils sont très rapidement passés à quasi 100 %. En France, il y a eu une résistance du Delta, avec un plateau à 10 à 20 %. Il est possible qu’en Nouvelle-Calédonie, on assiste aussi à une résistance du Delta. Ce qui est problématique, parce qu’il entraîne beaucoup plus de formes sévères et affecte la réanimation.

Quelle est la différence d’amplitude avec la précédente vague ?

On devrait observer une fois et demie, voire deux fois plus de cas. L’amplitude est beaucoup plus importante et en termes de durée, elle est étalée sur deux à trois mois.

Quel est l’enjeu pour les autorités ?

C’est extrêmement complexe. On a affaire à un variant Omicron très contagieux. Même s’il est peu sévère, on va avoir de plus en plus d’arrêts de travail, des personnes obligées de garder leurs enfants. Cela touche toutes les entreprises et aussi l’hôpital. Et même si, actuellement, la réanimation est loin d’être saturée, l’hôpital va être touché par cette vague. D’ailleurs, on est en train de détecter beaucoup de cas parmi le personnel et les malades soignés pour d’autres pathologies et il faut gérer tout cela.

Morgan Mangeas.

 

Comment voyez-vous les prochaines semaines ?

Mon équipe a élaboré plusieurs scénarios. Avec les mesures actuelles, on devrait avoir un pic assez élevé entre le 22 février et le 1er mars. Plusieurs éléments vont avoir leur importance : le retour des vacanciers et la rentrée des classes. La rentrée interviendrait alors qu’on serait en pleine phase montante. Il y aurait un plateau 15 jours après, puis une descente progressive jusqu’à mi-mars.

 

On est en pleine explosion et cela va continuer. »

 

Justement qu’avez-vous conseillé pour cette rentrée ?

Pour minimiser l’impact sur la société, un certain nombre de spécialistes dont je fais partie ne préconisent pas de trop tester ni d’isoler les personnes trop rapidement ou de fermer des classes. Il vaut mieux, à notre sens, que les enfants aillent à l’école, tout en protégeant bien sûr leur santé et celle des enseignants, en prenant en charge les cas symptomatiques.

Que prévoient les autres scénarios ?

Avec des mesures réduisant de 10 à 20 % les contacts entre les personnes, le pic serait moins important, équivalent à celui de la première vague, mais plus étalé dans le temps jusqu’à avril-mai.

Faut-il remettre en place certaines restrictions, selon vous ?

Il y a beaucoup de choses à considérer. C’est un problème sanitaire, mais aussi sociétal, politique. C’est au gouvernement de prendre tous les éléments en considé- ration. La position d’un certain nombre de scientifiques est qu’il n’est pas nécessaire d’arriver à des mesures extrêmes, comme le confinement strict. On est tous à peu près en phase là-dessus. En revanche, peut-être qu’un couvre-feu, qui ne désorganise pas forcément la société, peut avoir des effets bénéfiques. Il permet de limiter les contacts la nuit, notamment quand il y a de l’alcool, les interactions sociales et les accidents, donc les prises en charge à l’hôpital.

La stratégie de tests et de traçage des cas a-t-elle toujours un sens ?

C’est le débat actuel. Il y a deux écoles. L’école française détecte beaucoup et fait en sorte de bien comprendre la dynamique épidémique, d’avoir des chiffres fiables. Après, d’autres courants de pensée considèrent que ce n’est pas forcément nécessaire de tester quand on a une épidémie avec un virus qui n’est pas très sévère. Par exemple, quand on a une épidémie de grippe ou de dengue, on détecte beaucoup au début et en fin d’épidémie, mais entre les deux, on ne teste plus. Parce que cela coûte trop cher et monopolise beaucoup de professionnels.

Ce qui est compliqué, c’est de changer de paradigme. Après avoir mis en place des indicateurs fiables à l’époque du Delta, il faut tout modifier et évoluer vers quelque chose de différent. Cela demande une adaptation qui n’est pas évidente. Personnellement, je considère qu’il faudrait plutôt arrêter de tester et optimiser le réseau sentinelle de médecins. Leur laisser le soin de faire les tests quand c’est nécessaire. Et on devrait encore beaucoup tester dans les établissements médicaux. Dans le même esprit, on n’en est plus au contact tracing. Ce sont des techniques pour tenter d’éteindre une épidémie et on n’en est plus là.

La vaccination minimise-t-elle l’impact de cette vague ?

On a regardé ce qui ce serait passé si la population calédonienne avait été vaccinée à 70 % lorsque que le Delta est arrivé. Dans ce cas, la vague aurait été nettement moins sévère. On n’a pas fait l’exercice inverse avec Omicron si onétait vaccinés à 30 %. Mais clairement, cela permet à l’hôpital de résister très largement grâce au nombre de personnes qui sont vaccinées et on peut les remercier.

C’est d’ailleurs le moment de se faire vacciner pour ceux qui ne le sont pas encore. Parce qu’on est dans une phase où on a beaucoup plus de chances d’entrer en contact avec le Covid que précédemment.

Tahiti est moins touchée. Sait-on pourquoi ?

Omicron a eu des effets très différents selon les pays et la co-circulation avec Delta. Ici, on a été beaucoup moins atteints que Tahiti, et la population a été nettement moins exposée, sachant aussi que le vaccin est moins protecteur sur Omicron que sur Delta et les variants précédents. Donc il est très possible qu’à Tahiti, il y ait eu une exposition plus importante, que le virus ait beaucoup plus circulé et plus longtemps. Ici, on a une circulation très récente qui date de septembre 2021… Après, le variant Omicron se développe tellement vite qu’il est très difficile de diminuer fortement l’épidémie. C’est plutôt la capacité de la population à résister à Omicron qui entre en jeu, et pour nous, visiblement, les taux montrent qu’il s’adapte très bien à la population.

 

Propos recueillis par Chloé Maingourd (© D.R.)