Monseigneur Susitino Sionepoe: « L’Église condamne le racisme »

Né en 1965 à Vaitupu, à Wallis, Monseigneur Susitino Sionepoe avait été nommé, après un séjour à Tonga ou encore à Fidji, évêque de son diocèse de naissance en décembre 2018. (© Y.M)

Installé officiellement en la cathédrale Saint-Joseph de Nouméa samedi 12 avril, le nouvel archevêque, Monseigneur Susitino Sionepoe, succède à Michel Calvet. Sa prise de fonction intervient dans un contexte troublé tant sur le plan local que planétaire. Comme le pape François, le religieux d’origine wallisienne veut une économie centrée sur l’humain.

DNC : Cette nomination à la fonction d’archevêque constitue-t-elle une surprise ou était-elle programmée ?

Monseigneur Susitino Sionepoe : Je ne le savais pas. La nomination d’un évêque se fait selon une procédure qui comprend des enquêtes menées par le nonce apostolique qui est l’ambassadeur du Vatican dans la région. Surtout, elle relève d’une décision qui n’appartient qu’au pape.

Dénonciation du système économique mondial, défense des migrants, écologie… Vous inscrivez-vous dans la philosophie du pape François ?

Le pape François était conscient que l’humanité est vouée à un destin commun. Un destin fragile qui appelle une politique de civilisation qui remet l’humain au centre et non le pouvoir de l’argent. C’est le cœur de son combat et ce sont ses mots. Ce sont des mots qu’on connaît bien en Nouvelle-Calédonie : destin commun, dispositif fragile, accord de civilisation, l’humain au milieu du dispositif.

Oui, comme le pape François, je veux une économie centrée sur l’humain. Une économie éclairée par l’Évangile. Notre système économique détruit la nature. À la dernière réunion de la Conférence des évêques du Pacifique en novembre 2023, ici même en Nouvelle-Calédonie, nous avons regardé un film réalisé par l’archevêque Chong de Fidji. Il a montré l’impact catastrophique du changement climatique sur nos îles du Pacifique et sur les gens. Certaines îles sont appelées à disparaître avec la montée des eaux.

L’écologie, c’est vraiment l’affaire de tous. C’est une question de survie pour le Pacifique. Notre système économique laisse beaucoup de monde sur le bord de la route. Les migrants, mais il y a aussi les pauvres. En Nouvelle-Calédonie, on parle de 51 000 personnes qui sont pauvres. C’est une société riche, mais qui a généré beaucoup d’inégalités et qui n’a pas su partager les richesses créées. Il y a ceux qui sont sortis du système scolaire, les femmes battues, les jeunes qui fument du cannabis ou boivent de l’alcool… Au final, tout cela est une question de dignité. Les politiques publiques doivent être fondées sur la dignité de la personne et ses droits fondamentaux.

Une page se tourne-t-elle avec la mort du pape François ?

Non, je n’ai pas l’impression. François a planté des graines qui donneront des fruits en leur temps. Les premiers discours de Léon XIV sont plutôt dans la continuité. Même si chacun met sa touche particulière.

En quoi la Nouvelle-Calédonie s’est-elle inspirée de la réflexion de François ?

C’est plutôt une question pour l’archevêque émérite [Monseigneur Michel Calvet]. Mais, mettre l’humain au centre, la dignité, les droits fondamentaux, ce sont les positions de l’Église depuis toujours et ce sont celles qui sont poursuivies par notre église locale.

Le choix du nouveau pape s’est-il vraiment posé entre un réformateur et un conservateur ?

Je crois que nous sommes tous un peu entre les deux. Le pape François était connu pour être progressiste, mais il était aussi très fidèle aux doctrines traditionnelles. Je crois qu’aussi progressiste qu’on soit, on ne peut pas remettre en cause les doctrines et dogmes de l’Église. Ainsi nous disons « Non à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté » et « Non à l’avortement ».

Une position ferme…

« Non à l’avortement », parce que l’Église défend toujours le droit de vivre.

Dérèglement climatique, guerres en Ukraine et au Proche-Orient, déstabilisation de l’économie mondiale… Le monde est-il en crise ?

Oui, c’est un monde en crise parce que déchristianisé. L’homme s’est détourné de Dieu et de son projet d’amour. Et pourtant s’il savait le don de Dieu ! Le premier devoir de l’Église est l’évangélisation, de rechercher tous les moyens pour semer l’Évangile. Le monde ne peut se renouveler que s’il s’ouvre à Dieu.

Quelles sont vos priorités ?

Depuis le début, je le dis, je ferai en sorte que l’église locale continue à apporter sa pierre à la construction d’une Calédonie plus juste et plus fraternelle. Que l’Église participe à réconcilier les cultures. J’ai commencé à tourner dans les paroisses du diocèse. Je veux entendre leurs propositions, leurs critiques. Je veux comprendre leurs attentes. Et quels sont les défis et les enjeux du diocèse. Je veux une église qui soit ouverte sur le monde. Une église proche des gens et de ce qu’ils vivent dans un monde qui bouge, où la foi est bousculée. Avec ce qu’il s’est passé il y a un an, les jeunes sont ma priorité. Un travail doit être fait avec et pour eux. Les formations sont importantes. Les jeunes sont l’atout majeur pour le royaume de Dieu et pour notre pays !

Les émeutes du 13 mai 2024 ont fait réapparaître un racisme décomplexé. Observez-vous ce phénomène ?

Malheureusement, le racisme est bien là, il n’a pas disparu. C’est un vrai fléau ! C’est un endurcissement du cœur, c’est la peur de l’autre. C’est la fausse croyance d’être supérieur à l’autre. L’Église condamne le racisme ! Il faut construire des ponts. Trouver un projet qui engage tout le monde.

Quels mots adresseriez-vous aux politiques en quête d’un accord global sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ?

Je dirais ceci. L’amour de votre pays et des gens vous donnera le sens des concessions à faire. L’amour de votre pays vous donnera la sagesse de dépasser les logiques partisanes au bénéfice de tous. Merci à vous, les faiseurs de paix.

L’Église a fait part à Pâques d’une forte élévation du nombre de candidats adultes au baptême au niveau national. Comment l’expliquez-vous ?

Plus de 10 000 adultes (c’est-à-dire 45 % de plus par rapport à l’année dernière), 7 500 adolescents (+33 %) ont demandé et reçu le baptême à Pâques, en France. Gloire à Dieu ! Ce qui est intéressant, c’est la part des jeunes de 18 à 25 ans qui représente 42 % des catéchumènes. On note aussi une augmentation des confirmands adultes (plus de 9 000 en 2024). Chez nous, en Calédonie, à Pâques, c’est une cinquantaine de personnes, dont la moitié était des catéchumènes, qui ont reçu les trois sacrements d’initiation à la vie chrétienne (baptême, confirmation et communion) et l’autre moitié des recommençants [personnes de tous âges, baptisées, qui, après s’en être éloignées, renouent avec la foi]. On parlait d’un monde déchristianisé. C’est une joie de voir cet élan pour Dieu. Dans un monde blessé, bousculé, l’Église catholique reste un refuge sûr où l’on peut trouver le sens à la vie, la paix et le réconfort. Et puis, l’Église est partout. La foi s’affiche même sur les réseaux sociaux.

Le nombre de fidèles est-il stable sur le territoire ?

Plutôt stable. La Nouvelle-Calédonie, qui compte 271 400 habitants au dernier recensement en 2019, est une terre chrétienne à 85 %. Soit 230 690 Calédoniens sont chrétiens. Les deux-tiers sont catholiques (soit 153 794 personnes) et l’autre tiers protestant (soit 76 897 personnes). Pour les 40 790 Calédoniens autres, ils se répartissent dans différentes Églises. Les catholiques représentent 57 % de la population calédonienne, à peu près !

Religieuses, prêtres… Où en est l’engagement dans la vie religieuse ?

La crise des vocations religieuses est aussi une réalité dans notre pays chrétien. Crise des vocations consacrées, les congrégations pour les femmes… Pour le moment il n’y a pas de novices. Pour les vocations sacerdotales, la dernière ordination d’un prêtre remonte à décembre 2023 avec le père Khen Boarat. Deux jeunes sont actuellement au séminaire de Suva, à Fidji. Mais notre église est profondément marquée par la figure des diacres permanents. Nous avons la chance d’en ordonner un, dimanche 8 juin, jour de la Pentecôte. Les formations continuent pour les futurs diacres, pour les catéchistes et les catéchètes. On ne peut pas oublier l’engagement des nombreux laïcs dans l’église et dans le pays. Des hommes et des femmes engagés agissant dans des associations : associations humanitaires, de solidarité – confessionnelles ou non. Des hommes et des femmes qui rendent notre Église vivante et dynamique. Image d’une Église synodale.

Les scandales d’abus sexuels occupent l’actualité. L’Église doit-elle davantage ouvrir la parole ?

Elle le fait. Elle est consciente que seule la vérité rend libre. En avril dernier, la Conférence des évêques de France a organisé un point d’étape sur les mesures mises en œuvre pour lutter contre les violences sexuelles dans l’Église depuis la révélation du rapport Sauvé de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église de 2021 : il y aurait eu 330 000 victimes depuis 1950.
La Conférence de Lourdes encourage à agir ensemble pour rendre notre Église plus sûre. Une des recommandations, par exemple, est de mettre en place des cellules d’écoute, dans tous les diocèses, avec des personnes capables d’accueillir et d’écouter les victimes ou potentielles victimes majeures. Ces personnes seront formées.

Je veux souligner que notre diocèse, sur la demande de la Conférence épiscopale du Pacifique dont il relève et non pas de la Conférence des évêques de France, a mis en place une commission de recours en cas d’abus sexuel dans l’église en 2020 : « Osez le dire ». Objectif : recueillir et libérer la parole des victimes ; recueillir les témoignages de ceux qui savent ; les accompagner. Mais parler de ces choses n’est pas simple et dans notre pays du non-dit, c’est pire.

Les institutions calédoniennes rencontrent d’importantes difficultés financières. La trésorerie de l’église est-elle aussi affectée ?

Les ressources viennent principalement de la générosité des fidèles. Le denier du culte, les quêtes des messes, la campagne de Carême, les intentions de messes et le casuel pour les baptêmes, mariages ou funérailles… Beaucoup de personnes ont perdu leur travail. Forcément, cela impacte les finances de l’église.

L’Enseignement catholique de Nouvelle- Calédonie (DDEC) est proche de la cessation de paiements. Quelle est votre analyse ?

L’enseignement catholique – et l’enseignement privé en général – est incontournable dans ce pays où à peu près 57 % de la population est catholique. Il participe à la mission de service public d’éducation avec une spécificité : celle de témoigner de l’espérance chrétienne dans une école ouverte à tous.
Si je me focalise sur l’enseignement catholique, ce sont 12 116 élèves, c’est-à-dire 20 % de la population scolaire. Ce sont 62 établissements répartis sur 23 des 33 communes. Très important : les résultats scolaires sont pareils que ceux du public. Nos comptes sont bien tenus et jugés réguliers et sincères. L’école catholique, et les écoles privées en général, accueillent les enfants des milieux les plus pauvres en Nouvelle-Calédonie.

Mon souci principal, c’est de faire en sorte que les enfants puissent manger tous les jours à leur faim et qu’ils puissent se loger décemment. Nous le savons tous, l’internat, dans ce pays, est la seule chance pour beaucoup de réussir et de s’intégrer. Car il s’agit bien de ça. Le problème ne se pose pas par rapport à l’enseignement. Les enseignants sont payés par l’État. Le problème est : comment paie-t-on la préparation, la distribution des repas et la surveillance des élèves à la cantine ? Comment fait-on pour les repas, l’hébergement et la surveillance des élèves en internat ?

Quelle est la solution ?

Selon moi, il n’y a pas de problèmes de compétences ou juridiques à opposer. Cela relève d’un choix politique. Je fais confiance aux responsables politiques. En ces moments difficiles, je sais qu’ils trouveront les moyens de pérenniser et sécuriser le financement des repas et du gîte de nos enfants, souvent issus de milieux défavorisés. Cela fragilise l’enseignement catholique et déséquilibre l’éducation en Nouvelle-Calédonie.

Nous ferons en sorte que notre lien d’association à l’État entraîne le moins possible de différences avec l’école publique, car c’est la même mission. Mon espérance est forte que chacune des collectivités ‒ gouvernement, provinces et communes ‒ contribue vraiment à l’égalité des chances et à la construction d’une société plus fraternelle et plus juste.

Propos recueillis par Yann Mainguet