Mobilisation massive contre les blocages et les violences

Samedi, plus de 23 000 personnes ont marché dans les rues de Nouméa pour dire stop aux blocages et aux violences en lien avec le conflit de l’usine du Sud.

Ils étaient 23 000 selon la police, 30 000 selon les organisateurs à battre le bitume, samedi matin, sous un ciel aussi morose que l’actualité des derniers jours. Les Loyalistes avaient appelé, quelques jours plus tôt, à se mobiliser pacifiquement pour dénoncer les violences assimilées par certains élus de l’Avenir en confiance à du « terrorisme » et les blocages entravant la liberté de circuler. Le but était « de dépasser les peurs » et de dénoncer des manières de faire qui font « régresser » le territoire, quelles qu’en soient les motivations. Il s’agissait également de soutenir les populations les plus touchées par cette situation délétère au Mont-Dore, à l’usine du Sud, dans les entreprises en général.

Après les initiatives isolées observées sur les contre-barrages, cette fois, l’idée était de montrer « le souhait de la majorité silencieuse de sortir par le haut de cette crise ». « Ce n’est pas une marche de loyalistes contre indépendantistes, mais de tous les Calédoniens qui veulent défendre leur liberté », avait cru bon d’ajouter le président du Rassemblement, Thierry Santa.

« Climat de peur »

L’appel des Loyalistes a été entendu. De fait, cette mobilisation s’est avérée être la plus importante de ces dernières années. Le cortège a défilé de la baie de la Moselle jusqu’au haut- commissariat pour revenir au point de départ. Les manifestants, arborant pour certains les couleurs de la République, y ont entonné La Marseillaise, saluant au passage les pompiers, les forces de l’ordre, la mairie de Nouméa. Sur les banderoles, on pouvait lire « Le bordel, ça suffit », « Soutien aux communes bloquées », mais également « Ici, on est chez nous » « Province Sud, on tient bon » ou encore « Kanaky ne prendra pas le Sud »… avec en l’occurence ce prisme politique qu’avait écarté Thierry Santa.

Dans tous les esprits en cette matinée, la guérilla urbaine de Nouméa, les risques d’étincelles sur les barrages, la situation particulière du Mont- Dore et, bien sûr, la séquence effrayante de Vale le jeudi précédent, avec l’évacuation des salariés et la mise en sommeil de l’outil industriel.

Vai est venue spécialement de Païta pour marcher en faveur de « la paix en Calédonie ». « On ressent vraiment un climat de peur et de terreur et il faut que cela cesse ». « Ça suffit de casser, de bloquer, de vouloir faire peur à tout le monde, lance plus loin Alexandra, de Nouméa. On est dans un état de droit ! C’est déjà une année difficile et la Calédonie n’avait pas besoin de ça. Je suis très fière et très contente que tout le monde ait réagi. Et voyez, nous, on réagit de manière pacifique, on ne caillasse pas, on ne casse pas ! » Stéphane, venu de Païta, aurait lui « préféré que l’on marche solidairement vers le Mont- Dore » et attend des positions plus musclées des politiques. Selon lui, « les revendications qu’on entend ne sont pas légitimes, ce sont des revendications personnelles, suivies par des gens qui ne comprennent pas grand-chose et qui paralysent un pays qui souffre et a besoin d’avancer. Ce n’est pas en utilisant des jeunes désœuvrés sur les barrages qu’on va leur apprendre à gérer un pays quel qu’il soit ! ».

Theo Rouby / AFP

« Rien ne se règle jamais par la violence »

Pour Les Loyalistes portant cette manifestation, la large affluence de samedi prouve le ras-le-bol de la majorité silencieuse. « Ces derniers jours, on a vu du combat, de la violence et les gens que l’on voit ici sont ceux qui ne s’expriment pas, qui ne sont pas en train de hurler sur les réseaux sociaux ou sur les barrages. Ce sont des gens qui ont simplement envie de dire stop », a commenté, en tête de cortège, la présidente de la province Sud, Sonia Backes. « Ça suffit d’être pris en otage pour des combats qui peuvent avoir lieu dans des assemblées. Depuis les accords de Matignon tout le monde est représenté dans les assemblées, dans les institutions, le pouvoir est partagé », argumente- t-elle.

Selon Sonia Backes, qui a entendu les critiques, marcher n’est effectivement peut-être pas suffisant, mais c’est « un plus ». « 25 000 personnes qui se mobilisent parce qu’elles en ont marre. Ce sont des images, des messages qui pèsent. »

En parallèle, dit-elle, les élus s’attellent d’ailleurs à régler le fond du conflit. « Je passe des heures et des heures à discuter avec les uns et les autres pour régler les choses sur le fond. Parce qu’en Nouvelle- Calédonie, jamais rien ne se règle par la violence, au final, on finit par se mettre autour de la table et par discuter. »

La représentante l’assure, « il y a de vraies marges de manœuvre, de discussion qui peuvent permettre à tout le monde de s’y retrouver ». Encore faut-il, analyse-t-elle, que les responsables puissent gérer ce cheminement. « On a tous des gens autour de nous qui nous disent que ce n’est pas assez, que ce n’est pas suffisant, etc. Mais quand on est un responsable politique, il faut être capable de gérer cela et d’apporter des solutions qui font qu’on peut vivre en paix ».

Un message soutenu la veille par le président du gouvernement et du Rassemblement, Thierry Santa, dans une interview sur RRB. « Je veux bien imaginer la difficulté que c’est quand on est un responsable indépendantiste d’entamer des discussions dans la recherche d’un compromis […] il faut se rappeler l’histoire […], mais ce n’est pas possible de faire autrement. Il faut qu’un ou plusieurs responsables aient ce courage d’aller les uns vers les autres et de chercher un compromis. » En attendant, les Loyalistes voient d’un bon œil que le FLNKS ait répondu à la main tendue de l’État, même s’ils notent qu’il faudra reprendre à un moment les discussions avec l’ensemble des partenaires. « On ne peut pas dire ‘L’accord et rien que l’accord’, puis tenir cette position quand ça les arrange », a souligné Thierry Santa.


Divergences sur les contre-barrages

Si tous les loyalistes étaient d’accord sur l’importance de se mobiliser face aux exactions, les discours variaient sensiblement sur la façon de faire.

Du côté du Rassemblement, Thierry Santa a tenu à rappeler que le maintien de l’ordre revenait aux forces de l’ordre et non à la population. Il a par ailleurs argué que ce n’est « pas en mettant les gens face à face qu’on y arrivera » et a fermement condamné la présence d’armes à feu sur les barrages.

À l’Avenir en confiance, Sonia Backes a répété que les problèmes devaient être « réglés entre responsables politiques, pas sur le terrain ». Mais d’autres élus, comme Philippe Blaise ou Gil Brial, ont été beaucoup plus mesurés dans leurs propos. « À Païta, ils ont pris leurs responsabilités, a ainsi commenté Philippe Blaise. C’est bien qu’en face ils sachent que les gens peuvent se mobiliser. » Au Mont-Dore, selon lui, la situation était encore plus particulière puisque les forces de l’ordre, a-t-il jugé, étaient « en sous-effectifs ». « Quand l’État est en mesure d’agir, la consigne est de laisser les forces de l’ordre faire leur travail », a-t-il néanmoins tempéré. Gil Brial, de son côté, a indiqué qu’il n’avait vu « aucune arme » dans la commune. Ils ont tout de même évoqué l’arrêté du haut-commissaire interdisant le port d’armes.

Harold Martin, que nous avons croisé à la manifestation, tient encore un autre discours, pleinement assumé. « On sait bien que ce n’est pas si facile que ça en matière de maintien de l’ordre, mais quand le haut-commissaire dit qu’il interdit les armes, est-ce qu’il est capable d’assurer la sécurité à ceux à qui il interdit les armes ? Il voit, soi-disant, des vidéos avec des armes et il interdit les armes, mais est ce qu’il a fait ça à Saint-Louis ?, demande l’ancien maire de Païta. J’ai entendu ceux qui ont dit Martin, c’est un guerrier, etc. Oui, enfin nous, on a réglé le problème sans aucune difficulté avec respect des uns et des autres, avec intelligence et on a mis un terme aux barrages sur la commune de Païta ! Et on n’a tué personne, donc les donneurs de leçons, qu’ils se la ferment. »

Également interrogé sur ce sujet, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a qualifié d’«erreur» l’organisation des contre-barrages. « S’ils aiment la France, qu’ils fassent confiance aux forces de l’ordre », a-t-il indiqué sur Caledonia. Pour lui, « faire circuler ou détenir des armes, ce n’est pas la France » et il doute que « cela aide nos forces de police et de gendarmerie ».

C.M.

©M.D. C.M.