Mimsy Daly : « Dans une démocratie, le rôle de la société civile est fondamental »

Parmi les objectifs du Medef-NC à Paris : faciliter la mise en œuvre des subventions pour la construction des bâtiments publics et défendre la défiscalisation de la reconstruction des bâtiments commerciaux détruits pendant les émeutes. Il s’agissait aussi de faire un point d’étape sur les dossiers liés aux assurances. Photo C.M.

La présidente du Medef-NC a défendu il y a peu à Paris différents dispositifs de sauvegarde et de relance. Les entreprises sont écoutées, dit-elle, mais il faudrait qu’elles le soient aussi sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie comme l’ensemble de la société civile. Le Medef demande surtout de quantifier le coût du futur fonctionnement institutionnel.

DNC : Comment qualifieriez-vous la situation économique un an après les émeutes ?

Mimsy Daly : La situation reste très précaire, avec de nombreux emplois et entreprises détruits. Et ce qui reste est fragile. En 2025, la fin des dispositifs de soutien pourrait entraîner de nouvelles défaillances. Toutefois, certains indicateurs se stabilisent. On n’a pas d’explosion par exemple de créances douteuses ou de défaillances bancaires. En revanche, la reprise tarde, les chantiers de reconstruction publics et privés n’ont pas commencé.

Comment se portent les entreprises ?

Plus de 1 000 entreprises et patentes ont fermé. Les liquidations continuent à un rythme de 20 à 30 par mois.

Le budget primitif 2025 de la Nouvelle- Calédonie est-il rassurant ?

C’est un exercice difficile. Mais on a deux points d’alerte. Tout d’abord, la formation professionnelle qui est la grande oubliée et notamment l’alternance, la formation des apprentis. On considère que c’est un domaine de vigilance extrême parce qu’il concerne notre jeunesse, c’est un enjeu social. Les entreprises sont prêtes à accueillir des apprentis, encore faut-il que la collectivité joue son rôle, que la formation redevienne une priorité de nos pouvoirs publics.

Ensuite, l’équilibre entre investissement et fonctionnement est préoccupant, avec un très faible investissement public et des frais de fonctionnement considérables. Si on note des efforts de maîtrise de la dépense publique, cela n’est pas suffisant.

Avez-vous ainsi interpellé les pouvoirs publics ?

Oui, via une note, car ces questions ne sont pas abordées dans les discussions sur l’avenir institutionnel. Le coût des futures institutions doit être évalué, ainsi que la capacité de la  Nouvelle-Calédonie et des Calédoniens à les financer. Pour le monde économique, c’est une question fondamentale. Le budget 2025 a été construit sous une pression maximale. Pour autant, il faut se projeter vers l’avenir et nous pensons absolument nécessaire de définir ce qu’on va être en mesure de financer : compétences, institutions, niveau de fonction publique…

Les conditions du prêt AFD sont-elles excessives ?

On aurait préféré, comme tout le monde, une subvention. Mais la question reste celle des réformes nécessaires. La Nouvelle- Calédonie a eu recours à ces financements parce qu’elle était déjà en difficulté financière malgré un grand niveau d’autonomie. C’est pour cela qu’on recentre le débat sur quelles institutions, quels modèles, à quel coût, et cela passe par une réflexion sur le coût de la fonction publique.

Les réformes exigées par l’État sont-elles réalisables ? Les prochaines élections peuvent-elles les empêcher ?

Le calendrier politique a un impact, mais il est essentiel de réformer la fiscalité et d’optimiser l’efficacité du système. Nous disons qu’il est possible de réformer notre fiscalité, en optimisant son efficacité, sans pour autant peser sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises.

Les charges qui pèsent sur le travail (charges patronales et salariales) sont la principale source de financement de nos dispositifs sociaux, alors que la Nouvelle-Calédonie a un taux d’emploi qui est particulièrement faible. Cela ne peut pas fonctionner, d’autant que plus de 10 000 emplois privés viennent d’être détruits. Nos comptes sociaux sont donc en faillite.

Il va falloir travailler sur d’autres leviers : la consommation, un niveau d’impôt sur le revenu revu, et prélevé à la source, mais également une progressivité à réévaluer pour que tout le monde contribue à la hauteur de ses moyens. Il nous faut un système fiscal à la fois plus simple avec des assiettes plus larges et des taux réduits. Nous considérons que nous pourrons alors probablement relancer la consommation. Un des enjeux est la revalorisation des bas salaires. Et l’alpha et l’oméga, ce sera la réduction de la dépense publique. Ce n’est pas qu’une question d’impôts. C’est surtout une question de dépense.

L’alpha et l’oméga, ce sera la réduction de la dépense publique. Ce n’est pas qu’une question d’impôts. C’est surtout une question de dépense.

La prolongation du chômage partiel jusqu’à fin juin est-elle suffisante ?

Les discussions se mènent ici désormais avec le gouvernement pour trouver des solutions dès juin incitant à la reprise de l’emploi, comme une prime à l’activité minimale et une incitation à l’embauche par la suppression des charges patronales pendant une durée limitée. Nous demandons aussi un renforcement assez considérable des dispositifs de suivi des chômeurs.

Aujourd’hui avec la très forte hausse du nombre de sans-emplois, les entreprises ont besoin d’avoir un guichet unique pour recruter. Et il faut un suivi quasiment individualisé de ces parcours. Nous avançons aussi avec les syndicats de salariés sur les abandons de poste, les délais de licenciement économique…

Où en est le fonds de solidarité de l’État ?

Le fonds a été rallongé sur les dossiers au « cas par cas » et les derniers versements devraient être traités fin avril et effectués au plus tard d’ici mi-mai. Nous regrettons toutefois que nos demandes concernant les travailleurs indépendants n’aient pas été entendues. Rappelons ainsi que les travailleurs ne bénéficient plus d’aucune aide depuis août 2024. Ils sont en grande souffrance, dans le BTP, le commerce, les services à la personne, l’artisanat, la culture. La réponse des pouvoirs publics est de les orienter vers les collectivités locales, mais sans reprise économique, ces secteurs resteront durablement impactés.

Le Medef national vous soutient-il ?

Oui. Patrick Martin, président du Medef, rencontre cette semaine le cabinet de François Bayrou. La Nouvelle-Calédonie sera à l’ordre du jour.

Le lancement de la reconstruction des bâtiments publics apportera-t-il
un nouveau souffle ? Sous quel calendrier ?

Nous avons longtemps été dans l’attente du vote du budget 2025. Aujourd’hui, près de 3,6 milliards ont déjà été versés par l’État pour financer les acomptes à destination des projets publics et sont donc disponibles immédiatement pour les collectivités. Actuellement, 56 projets ont été identifiés parmi ceux potentiellement éligibles à la reconstruction, c’est-à-dire les bâtiments publics détruits. La liste a été élargie à l’éclairage public, aux voiries et à la vidéosurveillance. C’est maintenant aux collectivités de faire des demandes complètes de subvention. À ce jour 35 ont été déposées. Néanmoins, aucun projet n’a réellement démarré et c’est ce qui conditionne le déblocage des fonds.

Il y a une véritable urgence à ce niveau car nous perdons chaque jour des compétences et des entreprises dans le secteur du BTP. Et c’est un fait : les cabinets d’architectes et les bureaux d’études, les premiers interlocuteurs, n’ont pas encore été sollicités sur ces projets. Le CFA par exemple (Centre de formation de l’artisanat) est un des projets les plus emblématiques. Mais on attend que la demande de subvention soit déposée. Dans la mesure où aucun budget n’a été voté pour son fonctionnement, nous sommes très inquiets.

Les assureurs sont-ils à jour pour le versement des indemnités ?

Au 21 janvier 2025, des indemnités ont été versées pour 79 % des sinistres déclarés pour un montant de 238,6 millions d’euros, sur le milliard d’euros estimés, soit +17 millions d’euros par rapport au 10 janvier. Les choses avancent mais certains dossiers restent en suspens, notamment sur les montants les plus élevés.

Manuel Valls avait annoncé la nomination d’un médiateur. Est-ce le cas ?

Un médiateur a bien été nommé à Bercy pour faciliter les discussions sur les gros dossiers d’assurance. Il a permis un aplanissement des conditions de déblocage de la perte d’exploitation par exemple. On a perdu du temps au moment de la transition du gouvernement, mais Bercy est bien mobilisé avec des interlocuteurs dédiés.

Voyez-vous une mise en place d’un mécanisme public de réassurance
du risque émeutes ?

C’est un enjeu majeur. Il freine les chefs d’entreprise dans leurs perspectives, leur prise de risque, leur accès au financement. Un projet de fonds de garantie est suivi par le Trésor et l’État, mais il ne verra pas le jour avant le plan de finances 2026. En attendant, il faut trouver des solutions de réassurance adaptées aux circonstances difficiles.

Le Medef a porté le dossier de la défiscalisation des friches commerciales. De quoi s’agit-il ?

Il y a un alignement politique, mais les discussions sont encore en cours avec Bercy sur la rédaction. Ce dispositif permettra aux commerces sinistrés de bénéficier des mêmes opportunités que l’industrie pour reconstruire. Il faudra un vote à l’Assemblée, probablement dans le PLF 2026, mais l’objectif est de trouver un calendrier législatif pour le faire avant la fin de l’année. C’est une excellente nouvelle pour la reconstruction.

Les banques ont-elles joué le jeu ?

Oui, au démarrage avec les reports d’échéance. Aujourd’hui, elles sont sur du cas par cas. Leur soutien est toujours essentiel, car une faillite n’est bonne pour personne. Le Sogefom et l’IEOM ont également joué leur rôle en refinançant la place bancaire calédonienne. Le niveau de risque n’est plus du tout le même, mais il est crucial de maintenir le système à flot.

Est-on dans une crise sociale ?

Oui, nous traversons une crise sociale profonde. Il y a eu des départs et des pertes d’emploi sans perspective immédiate de reprise. Les dispositifs d’aide sociale sont pour la plupart supprimés. Le pouvoir d’achat des Calédoniens est très durement impacté. La Calédonie conserve un vrai potentiel mais on est encore loin de la relance.

Quelles conséquences voyez-vous aux droits de douane décrétés par les États-Unis ?

Les exportations de la Nouvelle-Calédonie vers les États-Unis sont marginales. Maintenant, est-ce que cette nouvelle donne va changer quelque chose ? Il faut absolument l’étudier. On peut travailler sur la façon dont on pourrait utiliser cette situation à notre avantage dans le secteur de la pêche par exemple.

Comment se positionne NC ÉCO dans les discussions sur la reconstruction
et l’avenir institutionnel ?

NC ÉCO a depuis le début porté des contributions. Et là, je veux vraiment réagir aux propos du député Metzdorf [NDLR, dimanche 6 avril au JT de NC La 1ère] qui m’ont choquée. Dans une démocratie, le rôle de la société civile est fondamental. C’est un contre-pouvoir, mais il ne faut pas le voir de façon négative, ni comme une menace.

La société civile, c’est un regard qui peut être critique, mais aussi constructif, et c’est une expression de la diversité sociale. NC ÉCO en fait partie, comme le tissu associatif calédonien dans son ensemble. C’est une richesse pour la Nouvelle-Calédonie. La mobilisation citoyenne est le signe d’une démocratie vivace. Surtout à l’heure où les élections et le suffrage universel rassemblent si peu en réalité. Nous avons posé sur la table un certain nombre de contributions d’ordre économique, mais aussi dans le débat insti- tutionnel, car nous avons considéré unanimement que c’est aussi notre responsabilité.

Si la société civile n’est pas écoutée, l’échec est-il prévisible ?

Je suis parfaitement consciente de la difficulté de l’exercice, de ce que les élus sont en train de négocier. Pour autant, refuser la contribution, ou en tout cas exclure le fait de pouvoir la prendre en compte, me semble être une erreur. L’adhésion doit être large, et cela passe par un dialogue ouvert et une prise en compte des enjeux économiques et sociaux.

Croyez-vous à un accord global ?

Je l’espère, mais j’espère surtout que cet accord global sera le fruit d’une réflexion la plus large possible, la plus inclusive possible et qu’il permettra de poser les bases d’une véritable reprise économique et sociale.

Propos recueillis par Chloé Maingourd et Yann Mainguet