Mieux comprendre le chemin des métaux

Ganiérite Thio

Le résultat de deux études d’ampleur commandées par le Centre national de recherches techniques sur le nickel et son environnement vient d’être présentée. DMML et Dynamine avaient vocation, en complément de l’étude Metexpo, à mieux comprendre comment les Calédoniens étaient exposés aux métaux.

Si la Nouvelle-Calédonie est surnommée le Caillou, ce n’est pas un hasard. Sa terre est riche en métaux divers et variés et plus particulièrement en nickel. Certains présentent des toxicités importantes. C’est le cas du nickel, de l’arsenic ou encore du chrome. La population est donc potentiellement exposée à ces substances que l’on retrouve partout. C’était tout l’enjeu de l’étude Metexpo, conduite entre 2015 et 2017, que de mesurer cette exposition. Sans surprise, les conclusions ont montré que la population était soumise à l’influence de métaux lourds, à commencer par le nickel, mais également le chrome. Si Metexpo a répondu à certaines questions, elle en a posé d’autres et en a laissé certaines en suspens comme le rôle de la mine dans cette exposition.

C’était précisément l’objet des études DMML (Dispersion des métaux de la mine au lagon-atmosphère et réseaux trophiques) et Dynamine (Dynamique des métaux dans l’hydrosphère de la mine au lagon), également portée par le CNRT. La restitution de ces deux études a été faite fin mars (l’intégralité des conclusions est disponible sur le site du CNRT, www.cnrt.nc). L’objectif général de ces travaux était d’acquérir davantage de connaissances sur les flux des métaux des massifs jusque dans les écosystèmes, notamment afin de mieux cerner si le rôle de la mine dans l’exposition des populations.

Une dispersion atmosphérique très large

Si ce rôle peut sembler central à première vue, certains résultats de Metexpo ont toutefois semé le doute. On a pu constater, par exemple, que les habitants de Lifou étaient exposés au chrome alors qu’aucune exploitation minière n’est pratiquée sur l’île. DMML avait plus spécifiquement vocation à étudier la dispersion des métaux par la voie atmosphérique. Autrement dit, comment les métaux peuvent être potentiellement déplacés par le vent. Dynamine s’intéressait pour sa part à la dispersion par voie aqueuse ou, plus prosaïquement par les cours d’eau.

« DMML a permis de voir que la qualité de l’air au voisinage des centres miniers peut finalement dépendre de sites miniers éloignés, explique Farid Juillot, chercheur à l’IRD IMPMC, coordinateur du projet Dynamine. Les sites miniers de la côte Ouest comme celui du massif du Koniambo sont aussi sous l’influence des massifs de la côte Est. » Les modèles montrent que les métaux peuvent voyager sur de très longues distances, notamment sous la forme de particules fines et présenter un risque sanitaire. Des observations qui montrent une grande complexité dans le transport par voie aérienne des métaux lourds, mais qui ne permet toutefois pas d’en dire davantage, notamment quant aux quantités de substances transportées, les lieux où elles sont transportées et les compositions de ces substances. Elles laissent cependant entrevoir de nouveaux champs de surveillance dans le cadre de la surveillance de la qualité de l’air dont les arrêtés d’application sont en voie d’adoption. Le CNRT pourrait prochainement conduire une nouvelle étude afin de compléter DMML et proposer une analyse des métaux transporter.

Du côté de Dynamine, l’un des enjeux était de parvenir à définir le fond géochimique des rivières. Plus simplement, il était question de savoir quelle était la teneur de l’eau en métaux, en dehors de toute activité minière. Un enjeu important, notamment dans le cadre de la politique de l’eau en cours de mise en œuvre. Cette dernière doit notamment définir des normes de potabilité prenant en compte les concentrations en métaux. Un autre projet complémentaire devrait être lancé en juin sur cette question. Les scientifiques pourront s’appuyer sur les bases de données de KNS, Vale et la SLN et plus seulement celle de KNS. L’idée est de pouvoir définir des valeurs en dehors de toutes perturbations ce qui n’est pas une mince affaire. Il est aujourd’hui très difficile de trouver un site qui n’a jamais été soumis à l’influence de la mine. Cette problématique fait également l’objet d’autres études et en particulier de l’Œil.

« Nous nous sommes intéressés au biofilm qui est cette substance un peu gélatineuse qui couvre les cailloux dans les rivières. Ce biofilm est à la base de la chaîne trophique, indique Farid Juillot. On a pu constater qu’il y avait un transfert de métaux dans les organes de certaines espèces de poissons, notamment le rein, le foie et les branchies. La voie d’accumulation est importante et elle montre que c’est par la voie dissoute (une fois que les métaux sont dissous dans l’eau) ». Le transfert ne se fait a priori pas vers les muscles. Les consommateurs de ces poissons ne sont donc normalement pas exposés. Aucune étude n’a cependant porté sur les crabes.

La mine, un contributeur mineur de particules pour le lagon

Le projet Dynamine a par ailleurs donné des résultats assez surprenants. Au niveau du lagon, des analyses des sédiments ont été effectuées afin de voir quel était l’apport de la mine. Les résultats sont plutôt inattendus puisque la contribution du massif minier est au maximum de l’ordre de 25 %. Le lagon de la zone VKP est, au final, davantage soumis à l’influence des rivières Témala et Koné qui ont des débits très importants et charrient des sédiments en très grande quantité et se différencient facilement de ceux issus du massif minier. Si la mine n’est pas le principal pourvoyeur de sédiments, les métaux qu’ils contiennent n’en sont toutefois pas moins toxiques.

Plus en amont, au niveau des cours d’eau, les résultats de Dynamine sont aussi inattendus. Il ressort des comparaisons de la chimie des rivières avant et après 2009 (année à laquelle les travaux miniers ont commencé sur KNS) qu’il y a des perturbations géochimiques et que les résultats peuvent être considérés comme robustes. Mais il ressort que les concentrations en métaux ont tendance à baisser. Des résultats qui sont soumis à interprétation et nécessiteraient des analyses complémentaires. Pour Farid Juillot, l’une des hypothèses est l’adoption du Code minier en 2009. Elle pourrait avoir eu des conséquences positives, notamment au travers de l’obligation de construction d’ouvrages de gestion des eaux. Comme le relève le chercheur, on peut observer une augmentation de la turbidité de l’eau jusqu’en 2006 puis une stabilisation.

Ces travaux, conduits par un grand nombre de chercheurs, éclairent quant au rôle de la mine dans la dispersion des métaux lourds, mais demandent encore des compléments. Le CNRT a encore quelques projets dans ses cartons, outre celui concernant les valeurs guides de concentration en métaux lourds dans les eaux douces. Farid Juillot devrait lancer un nouveau programme d’étude sur le chrome et le nickel. Autant d’études qui, mises bout à bout offriront un panorama plutôt complet de l’impact de la mine et des mécanismes assez complexes qui lient les écosystèmes. Il restera toutefois un aspect et non des moindres, l’impact sanitaire de l’exposition aux différents métaux présents dans les milieux. Si Metexpo a permis de montrer que la population y était soumise, elle n’a pas permis de savoir si cette exposition avait des conséquences sur la santé des Calédoniens.

M.D.


Ceux qui ont contribué au projet

Magalie Baudrimont (Epoc, université de Bordeaux), Yannick Dominique (Bio Eko consultants, Agnès Feurter-Mazel (coordinatrice du projet, Epoc, université de Bordeaux), Peggy Gunkel-Grillon (coordinatrice locale, ISEA, UNC), Estelle Roth (GSMA, université de Reims) ont notamment contribué au projet DMML. Jean-Michel Fernandez (responsable d’AEL), Fanny Houlbrèque (CR IRD), Farid Juillot (coordinateur CR IRD), Eric Violier (MCF université Paris-Diderot), Peggy Gunkel- Grillon (MCF UNC), Christine Laporte- Magoni (MCF UNC), Michaël Meyer (MCF UNC), Nazha Selmaoui- Folcher (MCF UNC) ont contribué à Dynamine.