Justice réparatrice : médiateur, lien entre la victime et l’auteur

Morgan Bellec et Justine Molinier, bénévoles à la Fédération pour la justice restaurative. / © A.-C.P.

Impartiaux, les médiateurs se doivent d’accompagner chaque participant de la même façon.

Justine Molinier et Morgan Bellec se sont portées volontaires pour mener la médiation entre Hélène et l’auteur des faits. C’est lui qui en a parlé à son conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Et c’est avec lui que les deux médiatrices rentrent d’abord en contact. « Lors du premier échange, on essaye de comprendre ce qui anime la personne, quelles sont ses intentions et ses attentes », précise Justine Molinier. Depuis le procès, plusieurs événements ont amené le détenu à réfléchir, développe Morgan Bellec. « Quelqu’un de sa famille qui lui avait fait beaucoup de mal lui a demandé pardon. Il a ressenti un vrai apaisement et il voulait que la victime puisse le ressentir aussi. »

L’auteur a également perdu un proche sans pouvoir se rendre aux obsèques. « Il a pensé pouvoir se mettre à la place de la famille d’Hélène. » Il raconte à Justine et à Morgan comment, au tribu- nal, sa vie étalée devant tout le monde, « il éprouvait un très fort sentiment de honte, qu’il était en colère et s’était retranché dans l’agressivité », comment, enfermé dans une cellule, il s’est retrouvé face à lui-même. Après chaque entretien, les deux médiatrices débriefent, analysent, préparent le suivant.

« DES GOUTTES D’HUMANITÉ »

Les rencontres montrent le meurtrier sous un autre jour, l’humanise. « La personne a été autre chose et sera sûrement autre chose », considère Justine Molinier. Il n’est pas « seulement un monstre qui retire la vie, comme l’ont dépeint les médias », mais aussi quelqu’un « au terrible passé, qui affronte ses démons, parle de sa lâcheté, essaye de voir ce qu’il pourrait apporter de compréhension, de pardon, pour que la famille de la victime aille mieux ». Apparaissent alors, dans « cette tragédie », des « gouttes d’humanité qui nous font dire, c’est possible de continuer à avancer ».

La médiation se conclue au Camp-Est, ce qui n’est pas une fin en soi, explique Morgan Bellec. « Si la rencontre n’a pas lieu, cela ne veut pas dire que la mesure a échoué. C’est le chemin qui est important. Parfois, les gens ne le souhaitent pas ou les conditions ne sont pas remplies. »

Idem pour le pardon, qui n’est pas « le Graal à obtenir », selon Justine Molinier. « Il faut éviter la confusion, parce que ce n’est pas ce que l’on vient chercher, ajoute Morgan Bellec. C’est vraiment la reconnaissance de ce que chacun a vécu, des séquelles que chacun a eues du préjudice causé. »

A.-C.P.

UN RÔLE PRENANT

Justine Molinier a tout de suite été attirée par la justice restaurative. Juriste, elle a été médiatrice dans deux dossiers. « On marche un peu sur des œufs parce qu’on ne sait pas comment est la personne, ce qu’elle ressent, et ce que l’autre en face va vouloir. »

Ce rôle, porté par des bénévoles, est particulièrement lourd. Il demande du temps et de la disponibilité. Par exemple, les visites au Camp-Est se font sur le temps de travail. « Il faut que mon employeur soit d’accord pour me laisser un jour de congé. » Et quand la victime le contacte, le bénévole doit pouvoir répondre présent. « Si elle dit j’ai besoin de toi maintenant parce que j’ai des cauchemars, etc., c’est maintenant, pas la semaine prochaine. »

Surtout, cela implique de ne pas prendre parti. « On est vraiment du côté de tout le monde et de personne. » En cas de difficulté, il est possible de « faire appel à nos collègues » ou « à une supervision pour ne pas se tromper ». Justine Molinier retient avoir eu « l’impression d’aider les personnes à aller mieux », mais que l’implication est très forte. « On ne peut pas faire ça sans se mettre à 300 % dedans, et on le fait avec ce qu’on est, nos tripes, nos émotions. À chaque fois, ça m’a touchée en plein cœur. C’est un sacré engagement. »

Un investissement citoyen

Morgan Bellec travaillait dans une institution de lutte contre les violences conjugales quand la proposition de se former s’est présentée. « J’étais avec des auteurs et des victimes, donc j’ai saisi l’occasion. » Elle y voit un investissement citoyen, une contribution à la société, puisque l’un des objectifs est de limiter la récidive.

Les rencontres sont des « moments forts en humanité. C’est éprouvant et en même temps cela nous grandit ». Et remet en cause des prérequis. « Cela a changé certaines représentations des auteurs que je pouvais avoir. » Ce qui l’intéresse particulièrement, c’est la construction de la démarche dans le temps. « La justice restaurative permet, au-delà d’une demande de réparation, un vrai effet de catharsis sur le long terme. »

 

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