Difficile d’imaginer un début de mandature plus complexe pour la nouvelle maire de Païta. Après des semaines d’exactions, Maryline d’Arcangelo nous a accordé un long entretien. Elle revient sur cette triste période.
DNC : Comment les premiers troubles ont-ils commencé ?
Maryline d’Arcangelo : Ils ont commencé tout de suite dans la nuit du 13 au 14 mai dans le village avec des blocages des sorties nord et sud. Les jours précédents, on voyait beaucoup de drapeaux aux fenêtres des voitures, en bord de route, mais il n’y avait pas plus d’indices. Les émeutiers ont commencé par piller, puis ont brûlé les bâtiments les uns après les autres. C’était essentiellement des gens du coin ou de l’entourage. Des jeunes et des moins jeunes. Les habitants étaient totalement apeurés. On était spectateurs de tout cela, tristes et en colère de ne pouvoir intervenir, mais que faire ?
Que s’est-il passé les jours suivants ?
Ils se sont installés durablement dans le centre en allant se servir au fur et à mesure de leurs besoins. Dans la semaine, une partie de la mairie a brûlé. Avec les maires de l’agglomération, on avait demandé des forces de l’ordre mais à ce moment-là, il n’y en avait pas suffisamment. Notre police municipale n’est pas armée, et quand bien même, on n’a pas un effectif suffisant pour garder un tel édifice.
Cet incendie vous a fortement pénalisés…
Ils ont incendié les bureaux des services techniques où se situe le cœur de notre serveur, coupant nos réseaux informatiques et téléphoniques, une partie de l’électricité. Nous n’avons pas perdu de données, mais la capacité à les utiliser durant trois semaines. Cela a posé problème, par exemple, pour l’état civil. On ne pouvait pas délivrer de certificat de décès. Il n’y a quasiment pas eu de veillées, les gens ont dû attendre pour les inhumations. Il a aussi fallu garder les corps, etc. On a dû s’adapter sur le site de l’Arène du Sud ‒ protégé par quelques élus et agents ‒ où on a un relais serveur. On a pu y accomplir une petite partie du travail de remise en route, et le début de l’organisation des élections européennes. Nous ne sommes pas complètement rétablis.
L’Arène du Sud était-elle une cible ?
On s’est fait du souci car c’est un symbole. Elle a été gardée dès les premiers jours, mais on a trouvé des impacts de balle. Les tirs ont eu lieu quand il n’y avait personne. Sinon des véhicules passaient la nuit pour regarder. Mais il n’y a pas eu de tentative d’incendie.
Païta est très étendue : toutes vos populations ont été bloquées ?
Tous les quartiers. On a eu des barrages bloquants les deux premières semaines. Chaque zone était isolée. La troisième, jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre, on a eu droit aux blocages aléatoires. À l’échangeur Nord, l’un des endroits les plus chauds, elles intervenaient tous les jours. Elles n’avaient alors pas les moyens de charger les carcasses, donc elles les repoussaient sur le côté.
Comment les habitants ont-ils réagi à ces émeutes ?
Dès le deuxième jour, des barrages “amis” comme je les appelle, ou voisins vigilants, ont été montés. Les quartiers sud se sont organisés un peu comme ailleurs. On a beaucoup de lotissements en impasse donc relativement facile à protéger. Ces barrages sont aussi le moyen d’échanger sur le quotidien. Les gens ont besoin de parler.
Dans le plus fort des troubles, il y avait des personnes pour calmer ceux qui voulaient en découdre, comme partout. Quand les forces de l’ordre sont intervenues, les gens ont été rassurés. Avant, certains ne voulaient voir rentrer personne et on a eu des problématiques d’approvisionnement, de ramassage des ordures… Il a fallu discuter pour faire passer les camions. Sur des zones comme le littoral ou Tontouta, les axes étaient entravés. Les prestataires avaient peur.
Comment les besoins de première nécessité ont-ils émergé ?
Il n’y avait plus assez d’argent pour le peu qu’il restait dans les magasins. Les émeutiers ont cassé ou vidé les quatre distributeurs extérieurs. Un système d’entraide s’est mis en place. La mairie a fait appel aux institutions et à la banque alimentaire pour des vivres apportés directement aux familles déjà fragiles par les élus et agents, cela continue d’ailleurs. On s’attend à une grande détresse avec les pertes des revenus. Des personnes se font déjà connaître.
On s’attend à une grande détresse avec les pertes de revenus.
Combien de forces de l’ordre sont désormais positionnées à Païta ?
Il y a les renforts basés à Tontouta. Mais on ne sait pas forcément où ils interviennent. À Païta, on a en permanence la brigade (21 gendarmes) et le détachement de surveillance et d’intervention (DSI ‒ 15 environ) qui peut être en opération sur d’autres communes. Ensuite, on a eu un escadron complet (72 gendarmes), basé à l’Arène du Sud. Leur secteur d’intervention là encore est l’agglomération. Puis on en a eu un second et il y a maintenant 150 gendarmes à l’Arène du Sud. C’est leur base vie, ils y sont autonomes.
Païta est devenue une priorité de par son axe stratégique ?
Durant une dizaine de jours, Païta n’était pas une priorité. Et longtemps, la sécurisation de l’axe était évoquée mais impossible à mettre en œuvre. Ce n’est toujours pas réglé, mais il y a des gendarmes qui font jour et nuit sans arrêt la route, et déblayent systématiquement. Après on est tributaire de la CCAT, des jeunes que tout cela amuse, des deuils… C’est tout cela qu’on ne maîtrise pas et l’État non plus. Mais Païta est toujours au centre du problème.
Comment les habitants de Tontouta vivent la situation ?
Ils n’ont eu aucune exaction majeure, mais étaient complètement coupés au nord et au sud. Très vite, ils n’ont plus eu de carburant, de vivres, les pharmaciens n’ont pas pu remonter à la pharmacie, ils ont fini par monter en hélico et s’y installer. Autour de 1 000 personnes étaient isolées. Mais ce sont des gens de Brousse qui savent se débrouiller. Ils ont créé un groupe super actif de surveillance et de solidarité. C’est pareil pour les gens du littoral qui ne pouvaient pas sortir : ils se sont débrouillés entre eux, avec leurs bateaux, etc. On n’a pas eu trop de signalements. À N’dé, Naïa, etc., il y a eu des échanges qui ont facilité les choses. Ils pouvaient aussi partir par la mer en cas d’urgence.
Avez-vous établi un premier état des lieux des dégradations ?
C’est en cours. On ne sait pas exactement ce qu’il faudra rénover ou reconstruire. Le centre est recouvert de tags, dont des croix gammées. Quand je vois le village, j’ai envie de pleurer. On a l’impression de traverser un pays du tiers-monde. Il n’y a plus de mobilier urbain, candélabres, éclairages publics, ils ont cassé la moitié des caméras de vidéosurveillance. Trois véhicules de service ont brûlé. Les écoles Panié, Ohlen et Paddon ont été visitées, taguées, Abel a subi des dégradations (et depuis l’école Gustin a été détruite, NDLR). Les routes ont été très abîmées. On avait lancé tout un programme de réfection.
Quand je vois le village, j’ai envie de pleurer. On a l’impression de traverser un pays du tiers-monde.
Allez-vous adapter votre politique ?
On est très loin de savoir où on va, sachant qu’on ne peut pas prendre l’argent prévu pour une route pour faire une école. On ne sait pas ce que feront les autres institutions dans le cadre de ces financements. Est-ce que nos entreprises sous-traitantes seront en capacité de travailler ? Il y a tout un effet domino.
Les zones industrielles ont été ciblées à Nouméa et Dumbéa. Elles ont été plutôt préservées chez vous, comme l’expliquez-vous ?
C’est une plus petite commune, mais on a quand même été touchés.
Les Zico et Zipad ont été immédiatement sous protection des administrés. Il y a eu quelques tentatives d’incursion chez Cipac, Caterpillar : des gens ont été attrapés et mis dehors par les citoyens. La Ziza était plus calme, mais il y a eu quelques débuts d’incendie qui ont été maîtrisés.
Y a-t-il eu des problèmes sur les propriétés ?
Il y a beaucoup plus de braconnages de bétail. Surtout à partir de la deuxième semaine, essentiellement sur la partie nord, de l’autre côté du col de la Pirogue, sur les grandes propriétés du littoral, Nassandou, Tontouta, Tamoa.
Vous devez maintenant assurer la tenue des élections législatives. Qu’en pensez-vous ?
On est mobilisés. Et nous devons faire preuve d’imagination pour que tout le monde puisse voter. Aux européennes, on savait qu’il n’y aurait pas beaucoup d’électeurs. Là, il faut changer de dispositif parce qu’on pense que ça va voter. L’idée est de séparer les bureaux sans trop les écarter, de les sécuriser.
Pour une prise de fonction, ça fait beaucoup…
On m’a gâtée, c’est certain. Mais il paraît que c’est formateur. J’avais pris un engagement auprès du maire que je remplace [Willy Gatuhau, NDLR]. Je ne suis pas revenue dessus.
On a été critiqués par l’opposition pour l’organisation de cette élection, mais il faut expliquer que la gestion des affaires courantes a ses limites en termes d’enga- gements financiers, de prises de décision. On est dans des décisions nouvelles, dix fois par jour. Il était urgent qu’il y ait cette légitimité.
Politiquement, quel est votre souhait pour la Nouvelle-Calédonie ?
Je suis profondément calédonienne, profondément française, je souhaite que ça s’apaise et qu’on le reste.
Il est aussi indispensable que les communes puissent s’exprimer parce qu’on est les grandes oubliées de tout cela. J’ai le même souhait que les autres maires de participer à la reconstruction et à l’avenir. On en parle depuis un certain moment, il est temps que l’on soit associé aux discussions.
Propos recueillis par Chloé Maingourd
« Broussarde »
Maryline d’Arcangelo, première adjointe, exerçait la fonction de maire par intérim depuis le 1er mai en remplacement de Willy Gatuhau, démissionnaire après l’application d’une peine d’inéligibilité dans l’affaire d’achats de voix datant de 2014.
Elle a été élue le 3 juin. La maire se définit comme une Caldoche, broussarde. « J’ai grandi entre Koné, Gomen et Koumac. C’est dans mon ADN. » Fille de parents commerçants à Koné, elle va en pension à Koumac, puis part à Nouméa pour le baccalauréat. Elle fait l’École normale et sera enseignante, directrice d’école, puis formatrice de jeunes instituteurs. Elle s’est engagée en politique vers l’âge de 20 ans auprès de son père. « Mais toujours comme petite main ». Elle s’intéresse davantage à l’échelon communal. Elle était, lors de son premier mandat de conseillère, en charge des affaires scolaires, puis au second également en charge de l’état civil et en tant qu’adjointe « de tout ce que le maire ne pouvait pas faire ».