Marius Julien, poète prolifique au temps du bagne

38 années de bagne en 330 poésies. C’est l’œuvre de Marius Julien, forçat de Nouvelle-Calédonie, mise en lumière par trois universitaires dans le livre Sous le ciel de l’exil, prix Popaï 2021. Gwénaël Murphy, Louis Lagarde et Eddy Banaré ont fait revivre cette histoire exceptionnelle jeudi 28 juillet lors d’une conférence au centre culturel Tjibaou.

« Je ne suis pas né pour sourire. Car il fait sombre dans mon coeur. » Marius Julien a vu sa vie défiler. Une vie d’exil, lente, faite de solitude, de tristesse et d’angoisses, racontée dans des cahiers d’école. « Une poésie de l’ennui, de la mélancolie », selon Gwénaël Murphy, maître de conférences en histoire et co-auteur de l’ouvrage consacré à ce poète qui signait ses textes d’un noble « Julien de Sanary », comme pour conjurer le sort de sa destinée.

Matricule 12926

Né à Sanary-sur-Mer en Provence, en 1859, Marius Julien est un personnage ordinaire dans une histoire qui l’est moins. Devenu orphelin à 12 ans, il est livré à lui-même à Toulon, cette ville qui accueillait le plus grand bagne français avant la création des établissements de Guyane et de Nouvelle- Calédonie. Jeune délinquant, il fait son premier séjour en prison à 18 ans. À 22 ans, en 1881, après plusieurs procès pour voies de fait et vols, il est condamné à la perpétuité.

Une tentative d’assassinat d’un gardien dans sa maison de détention lui vaudra la transportation vers la Nouvelle-Calédonie sous le matricule 12926. Il y passera 36 ans, entre les travaux forcés, un possible passage à la mine et un poste solitaire de gardien de phare. Il bénéficie d’une remise de peine en 1917, reste trois ans au village des libérés de l’île Nou, avant d’être finalement relevé de l’astreinte à résidence dans la colonie.

Il ne peut rentrer chez lui, mais se rend en Australie où il décèdera, neuf ans plus tard, à l’âge de 69 ans. Il est accueilli dans les Blue Mountains par Wolla Meranda, femme de lettres australienne et francophone, ayant remarqué ses écrits lors d’un passage en Nouvelle-Calédonie. C’est elle qui éditera pour la première fois, en 1931, 279 poésies de Marius Julien dans ce pays.

Au fil du temps, d’autres textes émergent dans les services d’archives et des collections privées. L’historien Louis José Barbançon a été l’un des premiers à en faire mention, puis le poète intéresse l’éditrice Laurence Viallard, la professeure de littérature Dominique Jouve (UNC) et, en 2010, Aurélia Rabah Ben Aïssa lui dédie son mémoire. Ce travail nourrira les recherches de Gwénaël Murphy, Louis Lagarde, maître de conférences en archéologie, et Eddy Banaré, docteur en littérature comparée, qui proposent dans leur ouvrage l’intégralité de ses textes connus, dont une partie d’inédits.

Inspiré par Hugo ?

En quoi l’œuvre de Marius Julien est-elle extraordinaire ? « D’abord par son ampleur » souligne Gwénaël Murphy. Durant quatre décennies, à partir de la fin des années 1880 jusqu’à quelques jours avant sa mort, il compose 330 poésies recensées, certaines offertes à des particuliers, médecins ou officiers, d’autres vendues. Si les communards ont souvent écrit leurs mémoires, les forçats beaucoup moins (il y a quelques textes d’Antoine Dumail, Auguste Muller, Jean-Baptiste Delfaut ou Julien Lespes).

Son œuvre qui constitue au final une « autobiographie poétique d’un bagnard » décrit donc un quotidien peu raconté et constitue une porte d’entrée inédite sur la vie des forçats. Sur la Nouvelle-Calédonie, qui occupe deux tiers de ses poésies, Marius Julien n’évoque quasiment que le bagne. Il dit la vie dans les camps de travail, les événements tragiques survenus sur les mines, la nourriture, les exécutions, les châtiments, les évasions, la lèpre et la peste. Il pourrait y avoir dans ses écrits « quelques fakes », sachant qu’il dira en Australie qu’il était communard.

Mais c’est surtout l’expression de son expérience sensible qui saisit le lecteur. « Il y a beaucoup de sentiments, beaucoup d’émotion », confirme l’historien. Transparaissent ses souffrances, ses peurs, ses rêveries, la nature, les bruits de Nouméa. Et, plus triste encore, « cette conscience que le temps passe, puis cette conscience d’avoir raté sa vie quasiment entièrement vécue au bagne ».

Élément intéressant : s’il exprime une rancœur envers le système judiciaire et une réponse disproportionnée à ses méfaits, Marius Julien restera patriote toute sa vie.

Sur la forme enfin, on lui attribue un style « très scolaire », « très appliqué », « à la manière d’un Victor Hugo » avec des tendances naturalistes ou mythologiques. Cet homme, qui avait arrêté l’école très tôt, était lettré ; il aura peut-être écumé la bibliothèque du bagne.

©C.M./ DNC. Gwénaël Murphy, co-auteur de Sous le ciel de l’exil, fruit de deux ans de recherche sur le forçat poète.

C.M.

©DR. Photo supposée de Marius Julien. 


 

La Porte du camp central de l’île Nou

(Premières années du 20e siècle).

Vous qui passez devant cette porte massive,

Qui grince à tout instant une note plaintive,

Si monotone hélas qu’elle fait mal au cœur ;

Vous ne vous doutez que cette porte noire

Lugubre, puisse avoir elle aussi son histoire :

La sienne est de trente ans, toute pleine d’horreur.