Marie Moles Delgado : « Il est capital de travailler en amont, sur le renseignement »

« Nous avons toujours eu un très fort soutien de la direction générale à Paris, surtout dans les circonstances actuelles. Je n’ai donc pas eu de coupe budgétaire, se félicite Marie Moles Delgado. Nous avons des crédits à la hausse et des moyens qui ont été renforcés pendant plusieurs années. » (©Y.M)

Les douanes de Nouvelle-Calédonie ont franchi une étape en 2024 et cette année, en travaillant, en plus de leur mission de constatation habituelle, sur des dossiers d’envergure en matière de tabac de contrebande et de drogue. Avec des importations comblant plus de 80 % de sa consommation, le territoire s’appuie sur l’action des douaniers face aux différentes menaces.

DNC : Plus d’une demi-tonne de cocaïne vient d’être interceptée dans le Pacifique avec le concours de vos services. Comment qualifieriez-vous cette opération ?

Marie Moles Delgado : C’est une première de cette envergure, à l’échelle des États et des territoires du Pacifique : l’opération concerne l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle- Calédonie, la Polynésie et les États-Unis, mais aussi, dans une autre partie du monde, la Jamaïque. Cette action est le résultat d’une politique en matière de coopération menée depuis plusieurs années par Benoît Godart [ex-directeur régional des douanes], toutes les équipes et moi-même, qui vise à renforcer l’échange d’informations avec nos homologues australiens, néo-zélandais, américains… Cette collaboration technique, opérationnelle et institutionnelle a créé une relation de confiance et de proximité très utile dans ce type d’affaire relativement sensible. Sa durée – deux mois – représente en outre un vrai challenge.

Cette technique du « rip off », qui consiste à dissimuler la drogue dans des marchandises légales, complique-t-elle le travail des douaniers ?

Toutes les nouvelles techniques de dissimulation rendent notre métier compliqué, mais elles en font aussi le sel. L’analyse de risque, les techniques de ciblage et le renseignement vont nous permettre d’identifier, dans un flux licite, les conteneurs qui ont pu être contaminés. Il peut y avoir un risque de porosité et de complicité dans certaines enceintes portuaires traversées, ce qui peut compliquer notre action. Toutefois, ces méthodes de travail sont éprouvées, elles sont utilisées au sein de l’Union européenne et dans bien d’autres territoires.

Le volume saisi est important. Quelle en est la signification ? Le trafic est-il de plus en plus massif dans le Pacifique ?

L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des marchés de destination de stupéfiants, qu’il s’agisse de la cocaïne ou des drogues de synthèse. Au niveau international, l’augmentation de la production, notamment de cocaïne en Amérique du Sud, favorise un afflux vers les zones de consommation finale. La Nouvelle-Calédonie n’est pas une de ces zones, c’est important de le dire.

Malgré tout, près de 67 kg de cocaïne en Nouvelle-Calédonie, après plus de 43 kilos, saisis en mai… Les deux affaires sont différentes, mais le territoire est-il un marché de plus en plus convoité ?

Je ne dirais pas que c’est un territoire convoité. Nous sommes juste sur la route. Dès lors, comme n’importe quel territoire insulaire sur la route, il y a un risque. Le marché de consommation de Nouvelle-Calédonie, en matière de cocaïne, est tout de même relativement étroit, notamment en raison du prix du gramme.

Il y a aujourd’hui une visibilité importante sur des affaires, parce que nous avons investi depuis plusieurs années dans des méthodes, dans une politique dynamique de renforcement de nos moyens, de notre organisation et de la coopération, et nous commençons à en récolter les résultats. On l’a vu en matière de tabac en début d’année [plus de 75 tonnes de cigarettes de contrebande saisies le 5 février à bord d’un navire cargo]. On le voit en matière de stupéfiants.

La Polynésie française est frappée par l’importation et la consommation d’ice. Comment la Nouvelle-Calédonie se protège-t-elle contre ce fléau ?

L’ice est une menace en Polynésie et dans d’autres pays et territoires du Pacifique qui sont de gros marchés de consommation. La Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui relativement épargnée pour plusieurs raisons, notamment l’absence de liaisons directes avec les États-Unis. Notre action est très forte en matière de contrôle des voyageurs à l’arrivée sur le territoire, parce que d’autres vols peuvent être sensibles à l’aéroport La Tontouta. Une grosse attention est également portée sur le fret express.

Nous avons le plaisir d’accueillir un deuxième maître-chien formé spécifiquement à l’ice en Nouvelle-Zélande. Le chien va commencer son service.

Parce que le risque s’amplifie ?

Nous sommes extrêmement vigilants. On anticipe la menace. Nous suivons aussi avec attention le risque d’entrée des drogues de synthèse, dont la consommation récréative existe sur le territoire.

Constatez-vous un afflux de plus en plus important de drogues dures vers la Nouvelle- Calédonie ?

Je ne dirais pas qu’il y a un afflux. Nos résultats s’améliorent parce que, comme je le disais, nos méthodes de travail et d’approche opérationnelle ont évolué. Le marché calédonien est très restreint et même identifié géographiquement. Parce qu’une grosse surface financière est nécessaire pour pouvoir acheter et consommer de la cocaïne et des drogues de synthèse. Il y a effectivement un petit marché de consommation de MDMA, d’ecstasy, de cocaïne… On en saisit régulièrement, on connaît les flux, et nous interpellons par des techniques spéciales d’enquête les gens qui importent ce type de produit. Il y a deux ans, nous avons saisi du fentanyl sur le territoire. Il s’agissait d’un cas particulier. Nous sommes vigilants.

Mais le stupéfiant que l’on trouve le plus sur le territoire est l’herbe de cannabis. Les chiffres de saisie ont explosé l’année dernière : 106 kilos, malgré les événements.

La collaboration avec les homologues de la région est de plus en plus étroite. De fait, le champ de coopération possible est-il plus vaste ?

La coopération est d’abord institutionnelle, cela se traduit par des réunions, des groupes de travail, de la réflexion sur nos moyens, sur nos méthodes d’intervention… La coopération est aussi technique : échange de fonctionnaires, participation à des séminaires, formation… C’est le cas avec les maîtres- chiens, par exemple. D’ailleurs, nos deux chiens vont être formés à la détection de cash, d’espèces. Nous allons recevoir des agents néo-zélandais début juillet. La coopération est enfin opérationnelle et c’était l’objectif. On n’exclut pas d’organiser d’autres types d’opération. La coopération est vraiment multidimensionnelle.

Y a-t-il une accélération de la circulation du renseignement ?

Cette circulation a toujours existé, mais le travail sous l’angle du renseignement est l’un des axes mis en place il y a quatre ans. Le renseignement est essentiel et peut être de nature très différente. Il permet d’intervenir de façon plus rapide et plus efficace. Je le rappelle, nous avons une contrainte : nous sommes aussi une administration économique, nous ne sommes donc pas là pour perturber les flux licites de marchandises, c’est-à-dire l’approvisionnement du territoire. En outre, le partenariat local – avec le parquet, la police judiciaire et scientifique, l’action de l’État en mer… – permet d’établir un réel échange de renseignements. Il y a une vraie approche interministérielle.

Existe-t-il des freins à une plus vaste collaboration régionale ? Quels points peuvent être creusés ?

Je n’ai jamais identifié de frein depuis ma prise de fonction, il y a trois ans. Maintenant que nous avons fait un « test » grandeur nature sur le plan opérationnel, je pense que l’enjeu va être de pérenniser ce mode de fonctionnement. De même, puisque la douane travaille à l’international, l’idée serait de renforcer le réseau d’attachés douaniers, d’officiers de liaison dans les ambassades ou des partenaires étrangers. Ce qui permettrait de tisser des liens encore plus forts dans le Pacifique.

La douane, jusqu’à l’année dernière, représentait environ 27% des recettes du territoire, ce n’est pas rien.

La lutte contre les contrefaçons, mais aussi le trafic d’espèces menacées et d’art premier constitue-t-elle un enjeu territorial permanent ? Des exemples récents ?

Nous avons saisi deux biens culturels l’année dernière. Il s’agissait, à l’aéroport, de très vieilles pointes de flèche du Sahara et ensuite, au port, de masques papous pour lesquels il manquait les autorisations, notamment du pays d’origine, lors d’un déménagement. Pour les contrefaçons, l’enjeu est relativement modeste. En revanche, nous avons mené depuis trois ans une importante politique sur les espèces protégées.

Elle s’est manifestée par la formation de nos personnels et des agents au sol de la compagnie Aircalin, mais aussi par des campagnes de sensibilisation et d’information des voyageurs à l’aéroport. Les sanctions sont quand même assez lourdes. L’idée est d’accompagner au mieux les voyageurs qui méconnaîtraient la réglementation. Nous avons eu d’excellents résultats avec une deuxième place parmi les directions au niveau national. Nous avons réalisé, en 2024, 50 constatations, ce qui représente des milliers d’objets.

Par exemple ?

Ces saisies concernent des coraux, des bénitiers, des fougères, des geckos… que des voyageurs ont voulu ramener comme petits souvenirs. Nous n’avons pas constaté d’exportation structurée d’objets. Des Américains étaient venus spécialement sur l’île des Pins pour rechercher le gecko endémique. À la descente de l’avion, ils ont été surpris, avec tout leur attirail, de voir la douane. Voilà une illustration de l’importance de travailler en amont, sur le renseignement. À l’aéroport ou sur les routes, un vrai travail est mené ici en collaboration avec les gardes des provinces Sud et Nord ainsi qu’avec les agents du Service d’inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire, le Sivap, pour la biosécurité. Cette mission nous tient à cœur dans l’équipe de commandement, au regard de la biodiversité exceptionnelle de la Nouvelle-Calédonie, un bien inestimable.

Les techniques déployées par les trafiquants évoluent. Est-ce également le cas des technologies à votre disposition ?

Il y a des sujets que je ne peux pas expliquer, pour des raisons évidentes. Ensuite, nous essayons de détenir les équipements les plus performants possible. Par exemple, les drones pour la surveillance, des moyens de détection non intrusifs pour visualiser le contenu d’un conteneur, une caméra sur perche, un scanner, un analyseur de particules qui permet d’avoir la réponse immédiatement sans aller au laboratoire… La technique des trafiquants évoluant très vite, un douanier doit toujours se remettre en cause, s’adapter. La plaisance représente d’ailleurs un vrai risque ici, on la surveille avec attention.

La douane de Nouvelle-Calédonie dispose d’une mission économique. Quelles en sont les déclinaisons ?

Un certain nombre de compétences ont été transférées au gouvernement de Nouvelle-Calédonie concernant le dédouanement, la fiscalité, la politique commerciale… Ce sont des domaines qui sont directement mis en œuvre par nos soins. Nous nous occupons de la production des lois du pays, des arrêtés, de la norme en fait, et ensuite de l’arrivée des marchandises sur le territoire.

On s’assure que les droits et taxes sont acquittés par tout le monde. L’idée, pour nous, est d’avoir un dédouanement le plus fluide et le plus rapide possible. La douane, jusqu’à l’année dernière, représentait environ 27 % des recettes du territoire, ce n’est pas rien.

Le territoire va aborder une grande phase de reconstruction post-émeutes de mai 2024. Quels seront vos points de vigilance ?

Dans le cadre de la reconstruction, l’ambition est bien de soutenir les entreprises quand elles importent, de leur donner des facilités, notamment dans leur cautionne- ment bancaire, d’avoir des contrôles les plus rapides et efficaces possible… Le point important, c’est vraiment l’enjeu de vélocité et d’accompagnement.

Propos recueillis par Yann Mainguet