Marc Oremus : « Il faut stopper toutes les mortalités dues à l’homme »

Marc Oremus est chercheur de formation spécialisé dans l’écologie et la génétique de mammifères marins. (© E. B.)

Impliqué dans la recherche et la préservation des dugongs de Nouvelle-Calédonie depuis 2008, Marc Oremus, responsable du bureau WWF France en Nouvelle-Calédonie, développe des projets de conservation dédiés à la sauvegarde des espèces marines. Il a notamment piloté l’étude génétique des dugongs en collaboration avec Claire Garrigue (IRD) et Opération cétacés.

DNC : Le dugong est aujourd’hui menacé d’extinction en Nouvelle-Calédonie. Comment en est-on arrivé là ?

Marc Oremus : Principalement du fait de la chasse et aujourd’hui du braconnage. La chasse est illégale depuis longtemps. La première mesure de protection date des années 1960. À cette époque, déjà, ils devaient constater qu’il y avait une diminution de la population. À ces pressions s’ajoutent les collisions avec les bateaux dans les zones où il y a beaucoup de passage ou les prises accidentelles dans les filets de pêche. Il y a aussi le changement climatique.

Le sauver est-il encore possible ?

Oui dans la mesure où, malgré tout, les quelques centaines de dugongs calédoniens représentent une des dernières larges concentrations de ce mammifère dans le monde. Ce sont des chiffres qui peuvent permettre à une population de se régénérer. Mais l’urgence est de plus en plus présente. Quand on arrive à des nombres très faibles, la population va être sensible au moindre événement climatique, physiologique. Il va avoir plus de difficultés à se rencontrer pour se reproduire.

C’est inacceptable de tuer un dugong. C’est tout aussi inacceptable de manger sa viande aujourd’hui.


De quelle façon peut-on éviter ce déclin ?

Faire en sorte de mettre un stop à toutes les mortalités qui sont dues à l’homme. C’est évidemment très facile à dire : le problème, c’est surtout comment on y arrive. La grosse avancée serait de mettre un terme définitif au braconnage. Il n’y a pas de solution miracle. Ce n’est pas simplement en mettant en place des contrôles ou en faisant de la sensibilisation auprès des médias et des enfants. C’est un tout.

L’enjeu, c’est de réussir à mettre en place une boîte à outils où on va agir à des niveaux différents, avec plein d’acteurs : le grand public, les forces de l’ordre, les politiques… Les dugongs sont chassés pour être consommés. C’est inacceptable de tuer un dugong, et c’est tout aussi inacceptable de manger sa viande aujourd’hui. Il faut un changement de comportement. Faire en sorte que ça devienne un enjeu territorial, porté par tout le monde.

Qu’a-t-il été fait jusqu’à présent ?

Le plan d’action dugong a été créé en 2010 après qu’on ait fait la deuxième série de survol pour l’estimation. La première phase est arrivée à un moment où on avait encore beaucoup d’interrogations. Il y a eu un gros effort d’acquisition de connaissances qui s’est concrétisé avec une thèse de doctorat, il y a eu aussi des recherches en génétique. Parallèlement, des opérations de sensibilisation ont été organisées auprès du grand public. Au terme de cette première phase, les conclusions n’étaient pas plus optimistes, au contraire.

La logique aurait été de renouveler les moyens, voire les augmenter, pour s’attaquer aux menaces et essayer de les faire baisser. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. On a tous pris conscience que c’était la dernière chance de faire quelque chose. Et puis, il y a eu l’opportunité d’obtenir ce reclassement à l’UICN qui était un bon levier pour faciliter une prise de conscience et déclencher des actions concrètes.

Ce reclassement à l’UICN était un bon levier pour faciliter une prise de conscience.


En quoi cette espèce est emblématique du territoire ?

Elle joue un rôle ultra important, en particulier sur les herbiers. C’est une espèce qui, par son mode de vie, va réguler et participer à l’équilibre de ces écosystèmes. Au niveau culturel, le dugong, dans le monde kanak, est une espèce totémique, pêchée dans le cadre de fêtes coutumières. Mais qui a une empreinte plus large. Tous les Calédoniens mangeaient du dugong pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette chasse ne s’arrête pas à une communauté. Il a cette valeur culturelle très bien définie dans la culture kanak, mais ce n’est pas forcément l’origine du problème. Au contraire, ça peut être, ça doit être un levier pour aider à sa protection.

Comment les dugongs calédoniens se distinguent-ils des autres ?

Ils ont une spécificité dans leur patrimoine génétique. Ils sont différents des populations proches d’Australie. C’est ce dernier critère qui a permis le classement à l’UICN. Ils se trouvent en bordure de distribution. Il y en a sur tout l’Indo-Pacifique. En Nouvelle-Calédonie, on est sur ce qu’on appelle une population périphérique, qui n’est pas au cœur de la zone de distribution. De par sa situation, elle est particulièrement fragile. On a aussi la chance d’avoir ce lagon avec de grandes surfaces d’herbier et donc le potentiel d’accueillir une grosse population de dugongs.

Existe-t-il d’autres animaux marins menacés ?

La tortue grosse tête et la tortue imbriquée ont un statut UICN très critique. La tortue grosse tête ne pond que sur la côte Est australienne et en Nouvelle-Calédonie. On parle de quelques milliers d’individus reproducteurs à l’échelle du Pacifique sud. Là aussi, on a une énorme responsabilité. La population s’est effondrée de 80 % en 70 ans.

 Propos recueillis par Edwige Blanchon

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