Si aucun compte officiel n’est établi, plusieurs dizaines de logements semblent avoir été visés par des émeutiers depuis le 13 mai. Hébergées par leurs proches, des victimes témoignent de leurs traumatismes et de la difficulté d’envisager l’avenir.
Avant les émeutes, Marco* ne s’était « jamais senti menacé ». Habitant de Kaméré depuis 10 ans, « bien intégré » dans le quartier, il n’avait pas imaginé être contraint de le fuir. « Une bande est arrivée vers 19 heures, elle a investi une grande maison en bois et a foutu le feu. À partir de là, ça a été la panique. Ça a vrillé. »
Marco a fait partie des 35 habitants évacués par le GIGN puis exfiltrés par bateau par des particuliers, dans la nuit du 24 au 25 mai. Il est retourné sur place dès le lendemain pour constater que son logement, pillé, vandalisé, était devenu inhabitable. Depuis, il est hébergé par des proches, une solution très temporaire. « Il faut qu’on se stabilise, donc on cherche désespérément un loge- ment. On n’a pas de nouvelles des assurances. Du côté de la mairie et de la province, il y a une écoute, mais ça s’arrête là. »
Malgré le soutien « massif » des voisins, il n’imagine pas retourner à Kaméré dans l’immédiat. « On aime beaucoup ce quartier, on ne fait pas un rejet. On est juste choqués. On a besoin d’attendre que le pays digère ce qui lui est arrivé. On se sent moins à l’aise, même si on sait que c’est une minorité de tarés qui ont profité de la situation. » À Kaméré, plusieurs maisons ont été incendiées, dont celle d’un couple et son enfant de deux mois qui, dans un « désarroi total », a pris la décision de quitter la Nouvelle-Calédonie.
« JE NE PARTIRAI PAS »
Dans son quartier de la commune de Dumbéa, Audrey* a vu plusieurs maisons incendiées, d’autres saccagées, dont la sienne. « Elle aurait déjà brûlé si le voisinage n’était pas là pour la protéger. » Lorsque la violence a fait irruption dans sa rue, elle a pris la fuite. « J’ai cru que c’était mon dernier jour. Se faire insulter, caillasser par des gamins de 10 ans, voir la haine dans leurs yeux… C’était horrible. » Elle a trouvé refuge chez des proches, son seul soutien matériel et psychologique. « Heureusement que ma famille et mes amis sont là et ont su trouver les mots pour me calmer. »
Audrey, la trentaine, réfléchit à sa reconstruction personnelle. Elle n’imagine pas retourner vivre dans sa maison, mais n’entend pas quitter la Nouvelle- Calédonie. « Je ne partirai pas. Je suis née ici, toute ma famille est ici. On est moitié bagnard, moitié colon, on est aussi des victimes de l’histoire et on n’a rien demandé. » Écœurée par la « politique de la peur », elle invite ses concitoyens à ne pas tomber dans le racisme. « Je ne cautionne pas le fait de faire un clivage entre Kanak et Blancs. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. »
« ON EST PRISONNIERS DE LA CCAT »
Dans la deuxième Vallée-du-Tir, une habitante estime que huit maisons ont été brûlées, principalement dans les rues Paul-Bert et des frères Devaux, dont celle qui avait été léguée au Secours catholique. Un voisin dit son incompréhension. « Dans le quartier, ce ne sont que des gens simples, des ouvriers qui n’ont pas grand- chose, et beaucoup de vieux aussi. On ne comprend pas pourquoi ils s’en prennent à nous. »
Une autre victime, Sylvie*, est traumatisée par les menaces, les insultes, les caillassages. « Je suis calédonienne, j’habite ici depuis 30 ans, et je subis ça de la part de gens à qui je dis bonjour d’habitude. J’ai eu beau appeler la police, ils ne sont jamais venus. Ils m’ont dit que nous n’étions pas prioritaires, et ils nous ont dit de faire attention à nous. »
Les forces de l’ordre sont intervenues à de nombreuses reprises pour dégager les barrages, mais certains continuent de renaître sous une forme amoindrie. Sylvie n’est pas rassurée par les patrouilles, qu’elle juge trop rares. « On est prisonniers des gens de la CCAT », assure-t-elle.
Gilles Caprais
*Les prénoms ont été modifiés.
Pas d’évaluation officielle
Ni le haut-commissariat, ni la sécurité civile ne sont en mesure de donner une évaluation du nombre de logements incendiés, pillés et/ou vandalisés. Les témoignages recueillis auprès d’habitants de la Vallée-du-Tir, de Kaméré, de Portes-de-Fer, de Rivière-Salée, et de Dumbéa semblent indiquer que plusieurs dizaines de logements ont été ciblés depuis le 13 mai.