Mahe Gowe : « Êtes-vous prêts à partager le pays avec nous ? »

Mahe Gowe, président du conseil des chefs de clan de la tribu de Gonde (Houaïlou), est l’un des deux représentants de l’aire Ajië-Arhö au Sénat coutumier. (© G.C.)

Désigné le 24 août, le successeur de Victor Gogny appelle à une refondation « profonde » de la société calédonienne autour de l’identité kanak. Sans une évaluation de l’accord de Nouméa, « les mêmes causes produiront les mêmes effets dans 40 ans ».

DNC : Quatre mois après son déclenchement, quel regard portez-vous sur l’insurrection indépendantiste, sur la CCAT ?

Mahe Gowe : On va laisser ce thème aux politiques. On va laisser à ceux qui ont créé cette situation le soin de la régler – à commencer par le gouvernement central, qui a mis le feu aux poudres. Nous, on reste dans la lignée de l’accord de Nouméa. Dialogue, dialogue, dialogue, il n’y a pas d’autre chemin.

Vous faites de l’identité kanak, que vous jugez « menacée », la priorité de votre action. De quelles menaces parlez-vous ? Et comment comptez-vous agir ?

Il y a plusieurs niveaux de menace. Il y a la rencontre avec le nouveau monde. Ça c’est une menace naturelle, on s’y adapte. Et puis il y a une menace politique. C’est la violence des discours qui nous surprend et qui nous oblige à une réaction ‒ parfois irréfléchie, disproportionnée.
On pense qu’un autre modèle peut émerger, celui d’une citoyenneté calédonienne autour de l’identité kanak. Ce n’est pas incompatible, au contraire. Ce serait quelque chose de singulier au pays. Pour nous, les choses avancent, et on peut y parvenir sans plus de casse, sans plus de sang versé.

Comment y arriver ? Comment résorber les antagonismes ?

La question doit être posée aux citoyens calédoniens. Êtes-vous prêts à épouser l’identité kanak ? Êtes-vous prêt à partager le pays avec nous ? Ce pays, ce n’est pas la France. C’est la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Macron a entrepris une démarche de réconciliation et de pardon. C’est le premier niveau. C’est capital, ça doit ouvrir le chemin. La poignée de main était déjà historique dans ce sens-là. Elle parlait de reconnaissance. C’était un geste fort que les gens ne comprennent pas toujours.

« On est sur du concret. On reste sur l’accord
de Nouméa, qui prévoit une sortie sous forme de décolonisation. »

Pendant les deux jours d’échange au Sénat coutumier, les 23 et 24 septembre, Inaat ne Kanaky, le conseil national des grands chefs, se réunira à Maré. Les deux institutions peuvent-elles coexister sans entamer leur légitimité respective ?

C’est l’opinion extérieure, publique, qui voit les deux opérations comme séparées. De l’intérieur, il n’y a pas d’incompatibilité. Vous faites allusion à l’initiative du grand chef Sinewami. Il est dans son plein droit. Nous sommes une institution, nous obéissons à un certain nombre de règles. Son choix, c’est de sortir de l’encadrement administratif et institutionnel pour pouvoir parler librement. Mais les deux démarches répondent à une même volonté de préserver l’identité kanak.

Les critiques d’Hippolyte Sinewamienvers le Sénat sont tout de même sévères – il parle « d’inaction ». Et que pensez-vous de la déclaration de souveraineté des chefferies qu’Inaat ne Kanaky entend proclamer le 24 septembre ?

On ne partage pas l’idée d’une déclaration unilatérale. On fera le point le 25 au matin, et on verra en quoi cette déclaration change le quotidien des gens… Nous, on est sur du concret. On reste sur l’accord de Nouméa, qui prévoit une sortie sous forme de décolonisation.
Par ailleurs, je veux juste rappeler que le contenu de ce qu’il a porté jusqu’ici, c’est le fruit des travaux du Sénat coutumier depuis sa création. Mais s’il pense pouvoir faire mieux et plus vite, qu’il le fasse.

Vous participez à l’élaboration du plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (S2R). Quelle est votre contribution ?

Il faut se focaliser sur une chose : la refondation. Elle doit être profonde. La question de l’identité kanak est une condition. Elle doit occuper sa place légitime. La répartition des richesses doit aussi être considérée. Tout ce qui était prévu par l’accord de Nouméa doit être évalué. Si ce travail n’est pas fait, les mêmes causes produiront les mêmes effets dans 40 ans.

 


⇒ Deux journées de réflexion

À Nouville, le Sénat coutumier accueillera lundi 23 et mardi 24 septembre deux journées de débat, coorganisées par le Comité 150 ans après, sur le thème suivant : « Relevons la tête pour dialoguer et construire l’avenir ». Le 23, l’accueil aura lieu à 8 heures, puis la journée commencera par deux ateliers : « La parole aux quartiers populaires et aux aires coutumières », et « Citoyenneté et identité kanak».

 

Propos recueillis par Gilles Caprais