L’usine à gaz de la fonction publique

Réuni en séance publique, le Congrès a examiné le dernier rapport de la Chambre territoriale des comptes sur la gestion des ressources humaines de la Nouvelle-Calédonie. Un document accablant qui épingle le parfait immobilisme des élus et même certaines dérives au niveau des collaborateurs.

Pour éviter une crise, il est préférable de chuchoter le mot « collaborateur » lorsque l’on est à proximité du gouvernement. La polémique entre Les Républicains et Calédonie ensemble autour de la question des collaborateurs politiques pourrait être relancée par le rapport de la Chambre territoriale des comptes sur la gestion des ressources humaines de la Nouvelle-Calédonie, examinée en séance publique, vendredi 20 novembre.
De manière bien plus générale que cette poignée de personnel au statut particulier, les magistrats de la Chambre dressent un constat extrêmement sévère de la gestion de la classe politique calédonienne. Le rapport d’une centaine de pages contient une première liste de 18 recommandations et, plus grave, une seconde rappelant aux élus sept obligations juridiques comme, par exemple, l’impossibilité de modifier des délibérations du Congrès par de simples circulaires, de formaliser les procédures de recrutement afin d’éviter tout abus ou encore de mettre en place une loi favorisant l’emploi local.

À la hauteur des responsabilités ?

Le travail des magistrats donne à réfléchir sur les élus calédoniens et leur capacité à assumer leur responsabilité. Ils soulignent en particulier l’inaction des différents gouvernements. En près de dix ans et plusieurs dizaines de millions de francs dépensés, la CTC se demande où sont les propositions, les schémas ou autres pistes concrètes… Eh bien, il n’y en a pas. Tous les travaux engagés ont été soit purement et simplement abandonnés, soit laissés inachevés au détriment de nombreux agents travaillant pour la collectivité dont le statut est insuffisamment cadré juridiquement.

Philippe Michel a parfaitement résumé le problème lors de la séance publique. « Ce rapport souligne notre incapacité collective à mener la réforme de la fonction publique. Quand on ajoute à cela l’état budgétaire, c’est assez désolant et cela pose la question de notre capacité à assumer notre responsabilité, souligne le président de la province Sud. Le gouvernement, qui est la première institution du pays, doit être exemplaire. […] Nous imposons de gros efforts aux Calédoniens en restreignant les subventions, étant très pointilleux lorsque nous examinons des demandes de remises gracieuses tout en offrant un spectacle de gaspillage. […] Je rappelle que nous avons la responsabilité de gérer l’argent public. »

Une déclaration qui a relancé de vifs échanges entre les partis non indépendantistes sur la question des collaborateurs. Le président de la province Sud a même suggéré qu’une commission d’enquête du Congrès soit mise sur pied. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun des partis politiques ayant participé au gouvernement, c’est-à-dire tous, n’y aurait intérêt.
Les magistrats de la Chambre ont consacré pas moins de 20 pages à cette question. Si elle ne représente rien en termes d’effectifs (une soixantaine de personnes dans une masse d’environ 16 700 agents publics locaux), elle est très instructive sur des pratiques associées à ces collaborateurs, pas forcément condamnables du point de vue juridique mais bien sur le plan moral, en particulier à un moment où les élus demandent d’importants efforts budgétaires à chacun. Recrutement de personnes incompétentes sans véritables missions, licenciement de collaborateurs avant de les réintégrer de manière à ce qu’ils touchent des indemnités, niveaux de rémunération totalement déconnectés de la réalité… Les abus ont été monnaie courante au sein du gouvernement.

Une certaine idée de la gouvernance

En creux, ces comportements traduisent une certaine vision de la gouvernance et l’estime de la classe politique pour les agents de la fonction publique. Autour des collaborateurs, c’est tout un système privilégiant le recours à des cabinets de consultants et d’experts privés qui a été mis en place au lieu de mobiliser les compétences des directions de l’administration. Un état d’esprit qui a eu de multiples conséquences, comme le montre la Chambre, à commencer par un manque de formation des agents calédoniens et donc de leur capacité à accéder aux postes à responsabilité. Une réalité que Yoann Lecourieux, élu Les Républicains, a pointée en rappelant aux autres membres du Congrès que sur les six dernières personnes à avoir été recrutées à la tête de directions de l’administration, aucune n’était calédonienne. Les défis à relever pour l’avenir de la fonction publique sont nombreux : transparence des recrutements, emploi local, multiplicité des statuts voire réflexion sur l’indexation des salaires. Les dossiers ne manquent pas, reste à espérer que les élus finiront par mener à bien ces réformes indispensables attendues avec impatience par de très nombreux agents.

M.D