« L’outre-mer fait partie de l’ensemble national et à ce titre, le groupe doit s’y intéresser »

D’ici 2020, la chaîne France Ô est amenée à disparaître. Une décision du gouvernement qui fait suite à la suppression de France 4. C’est Walles Kotra qui est chargé de ce dossier sensible qui va impliquer de nombreuses réorganisations en interne. Pour le directeur exécutif en charge de l’Outre-mer, cette disparition peut être une occasion de donner une plus grande visibilité de l’outre-mer auprès des téléspectateurs métropolitains.

DNC : Quels sont les grands enjeux de la suppression de France Ô ?

Walles Kotra : Tout a commencé il y a un peu plus de deux ans. La présidente, Delphine Ernotte, a estimé qu’un rapprochement deFrance Ô et du réseau outre-mer La Première était nécessaire pour apporter un nouveau dynamisme. C’était la mission qui m’avait été confiée et là, je me retrouve à devoir gérer la suppression de France Ô. Mais c’est intéressant dans le sens où cela nous permet de préciser les priorités.

Nous devons accompagner nos stations parce que les territoires qu’elles couvrent sont fragiles. Ici, nous sommes confrontés au référendum, mais à Mayotte, il y a d’importants problèmes d’immigration. En Guyane et en Guadeloupe aussi, il y a des fragilités. Le service public doit proposer une offre particulière pour ces territoires fragiles où les identités se reformulent.

Les identités des outre- mer sont fortes, mais ont aussi un besoin de reconnaissance au niveau national. Nous sommes peut-être un peu loin, mais c’est important que les gens sachent que nous avons des histoires différentes et difficiles. La disparition de France Ô soulève à nouveau cette question de la visibilité des outre-mer. Nous essayons de gérer ça, pas seulement sous l’angle audiovisuel. Les pays d’outre-mer ont des histoires particulières, mais font partie de l’ensemble national.

Concrètement, quels sont les grands chantiers à venir ?

Nous en avons identifié trois. Le premier concerne l’information. Et pour la Calédonie, on retombe sur le référendum. Plus généralement, nous devons faire en sorte que les enjeux de l’outre-mer deviennent aussi ceux de la rédaction nationale qui regroupe France 2, France 3 et France Info. Il faut que nos histoires intéressent et ne soient pas zappées comme par le passé. L’idée est de travailler davantage ensemble.

Ce que l’on fait là, c’est une préfiguration de ce que l’on souhaite mettre en place entre la rédaction nationale et les stations outre-mer à l’horizon 2020. Concrètement, pour la couverture du référendum, il y aura une soirée qui sera diffusée sur France Info et France Ô et dans l’ensemble des stations d’outre-mer. Cela traduit une nouvelle relation de confiance entre la rédaction nationale et les stations. Il y aura une vraie complémentarité et un partenariat très étroit. Chacun garde son média, mais il ne doit plus y avoir de tabou et s’il faut adapter les contenus pour qu’ils soient diffusés en Métropole, ils seront adaptés.

Le deuxième chantier sera autour du numérique. Avec la disparition de France Ô, c’est tout un horizon qui s’ouvre pour le numérique. Nous faisons déjà des choses, mais il faut que nous soyons beaucoup plus puissants. Nous avons une année pour y réfléchir.

Le troisième et dernier chantier consiste à travailler sur des unités de production. En 2020, il va rester trois chaînes nationales, la 2 la 3 et la 5. Nous souhaitons être présents à l’intérieur de ces chaînes. Comme pour l’info, il faut inventer quelque chose qui nous permette de rentrer dans le logiciel national.

Des unités de production de contenus communes aux différentes chaînes vont être créées. La décision a été prise de créer une unité outre-mer qui va gérer la présence de l’outre-mer au sein des trois chaînes. Ce sera vraiment une révolution. Normalement, nous devrions présenter le projet finalisé aux partenaires sociaux au mois de novembre. Nous pensons pouvoir démarrer au 1er janvier.

Vous expliquez que la suppression de France Ô fait ressortir le besoin de reconnaissance des outre-mer, mais cette suppression ne montre-t-elle pas le désintérêt des Métropolitains ?

Il y a un contexte général qui fait que la France se rétrécit et se regarde un peu le nombril. Le constat du président de la République est cinglant quand il explique que l’outre-mer est périphérique à la Métropole. La réorganisation liée à la suppression de France Ô nous oblige à nous poser des questions comme de savoir qui nous sommes et ce que sommes nous au sein de la République. Nous sommes presque français, presque étrangers…

L’idée est d’être davantage présents dans les journaux nationaux et dans le numérique. L’outre-mer fait partie de l’ensemble national et à ce titre, le groupe doit s’y intéresser. Comme l’a dit Delphine Ernotte lors de son passage en Calédonie, « ce qui se joue, c’est vous ».

Il y a tout de même des héritages au niveau des stations liés à leur passé…

C’est comme sur le numérique. Il y a cinq ou six ans, on ne parlait pas de numérique. Nos équipes ont dû apprendre, de la même manière, nous apprendrons en travaillant ensemble. Quand on regarde une carte, nous avons 500 journalistes répartis dans le monde entier, je ne sais pas combien de caméras, de studios… Quand on arrive à Koné, il y a un studio dans lequel il suffit d’allumer la lumière pour parler en direct sur France 2. Il faut valoriser des choses que l’on a considérées comme des handicaps. Et il faut aussi se remettre en question. Nous avons traîné des pieds de notre côté. Nous devons maintenant trouver des synergies.

Cette réorganisation pose également la question du transfert de l’audiovisuel qui est encore loin d’être tranchée.

Nous nous préparons et en même temps, nous traçons notre propre chemin. Après, il y aura des décisions politiques et l’on essaiera de gérer au mieux. Tout dépendra du scénario qui sera retenu. Nous avons rencontré les différents acteurs politiques du pays et n’avons pas eu le sentiment que ce dossier était prioritaire.

Le groupe France Télévisions doit faire des économies. La réorganisation devra en tenir compte, d’autant que les stations coûtent relativement cher…

Nous avons une révolution à mener dans un contexte budgétaire contraint. Sur le pôle outre-mer, nous supprimons 35 équivalents temps plein, ce qui est énorme. On demande à chaque station de faire un effort en trouvant l’équivalent de trois postes. La trajectoire est déjà connue, l’État demande au groupe France Télévisions de faire environ 400 millions d’euros d’économies d’ici 2022. Nous devons en plus gérer l’explosion numérique. Mais c’est un effort général auquel tout le monde doit participer. Et ces efforts sont bien compris des partenaires sociaux qui font preuve d’une grande responsabilité.

 

Propos recueillis par M.D.