« Le télescopage des calendriers est la plus mauvaise chose qu’on pouvait attendre »

Louis Mapou envisage de présenter un plan de relance lors de l’examen du budget supplémentaire prévu d’ici le mois de mai. (© A.-C.P.)

Les urgences apparues dans la filière métallurgique doivent être traitées au moment même où les discussions sur l’avenir institutionnel vont s’intensifier. Ce qui ne rassure pas Louis Mapou, président du gouvernement. Tour d’horizon des grands enjeux de 2024.

NICKEL

DNC : Comprenez-vous la décision de mise en veille de l’usine KNS ?

Louis Mapou : Je voudrais tout d’abord exprimer ma grande déception. Glencore a considéré que l’offre de l’État était insuffisante par rapport à ce qu’il avait déjà engagé. Nous entrons désormais dans une phase de transition d’urgence. À aucun moment, nous n’avons été dans les discussions entre l’État et les actionnaires de KNS. J’ai tout de même attiré l’attention du président de la République, ainsi que des ministres de l’Économie et de l’Intérieur, sur le fait que le nickel s’invite à nouveau dans un contexte de discussions institutionnelles. La limite fixée par Glencore (pour le maintien des emplois et la recherche d’un repreneur) est le mois d’août. Ce qui correspond environ au calendrier des échanges autour de la loi constitutionnelle.

La reprise des parts de Glencore est-elle possible, par un Chinois, un Coréen ?

Glencore a tout intérêt à trouver un acheteur. Nous l’avons indiqué à l’État, nous avons besoin que la Nouvelle-Calédonie travaille, que des investisseurs viennent. Nous ne voyons pas pourquoi la question chinoise poserait problème, d’autant que les Chinois investissent partout en France. C’est Glencore qui vend, pas la province Nord ou la SMSP. Il n’y a d’ailleurs pas que les Chinois, des Coréens sont aussi en lice.

Le retrait de Glencore mais aussi l’éventuelle sortie de Trafigura dans le Sud peuvent-ils complexifier la construction du pacte sur le nickel ?

L’impact peut être au niveau du timing. Le pacte sur le nickel était prévu pour accompagner les décisions prises avec l’État et les opérateurs dans une transition envisagée jusqu’en 2027. Un certain nombre d’engagements des opérateurs, de l’État et de la Nouvelle-Calédonie étaient déclinés. Mais la donne a changé avec la décision officielle de Glencore. Dans le Sud, qui sont les actionnaires vendeurs des parts ? La restructuration capitalistique est déjà, de fait, touchée.

La compétence nickel relève de la Nouvelle-Calédonie, l’État reprend-il la main ?

On s’est battus pour reprendre cette compétence. Nous envisagions d’avoir trois opérateurs qui produisent, mais le marché a connu un retournement que personne n’attendait. Je n’imagine pas un seul instant que cette compétence puisse revenir à l’État. On reviendrait aux lois Billotte de 1969. L’État ne reprend pas la main, il apporte sa contribution. Le gouvernement s’est engagé à prendre une part dans le domaine de l’énergie, par exemple. Nous y travaillons.

AVENIR INSTITUTIONNEL

Le sujet du nickel est au cœur des débats au moment où se tiennent les discussions sur l’avenir institutionnel : est-ce que cela peut avoir des conséquences ?

Une des conséquences serait une crise sociale. Je suis déçu que l’on n’ait pas pu traiter les trois usines pour déboucher sur un maintien de l’activité. Si, en juillet, l’usine du Nord n’a pas de repreneur, on sera en plein dans l’examen de la révision constitutionnelle sur le corps électoral. C’est en cela que le télescopage des calendriers est la plus mauvaise chose qu’on pouvait attendre. Tout ça en même temps, ça fait des ingrédients qui peuvent être détonants.

Où en sont les discussions entre les différents partenaires, qu’est-ce qui bloque encore ?

les voies pour que la discussion finale puisse se faire. Est-ce que Gérald Darmanin va donner des indications ? Ce qui est clair, c’est qu’il faudra que l’État intègre à nouveau la partie, c’est sa responsabilité. L’autre constat, c’est qu’alors qu’ils étaient un peu marginalisés, les indépendantistes sont au cœur des discussions avec l’État, avec Calédonie ensemble et les Loyalistes, qui, eux, ne se parlent pas. Ils font un peu le lien, c’est le paradoxe de l’histoire. Ce qui pourrait être ennuyeux, c’est ce qu’il se passe avec la loi constitutionnelle. Cela pourrait interférer dans l’aboutissement des discussions.

« Nous voulons présenter le plan de relance en même temps que le budget supplémentaire, en mai. Nous avons potentiellement une capacité de 20 milliards de francs. »

C’est une erreur de l’État d’avoir déjà engagé la démarche ?

L’État, en affichant très clairement les dix ans de présence, prend position. Quand on rajoute à cela que le FLNKS a dit qu’il cherchait un accord global… Tout cela pose question. S’il n’y a pas d’accord, la loi constitutionnelle s’applique au 1er juillet avec, pour résultat, des élections provinciales qui éliraient des nouveaux membres avec un statut qui serait resté le même. Je ne sais pas si ça en vaut la chandelle.

Il y a deux blocs avec Calédonie ensemble et les Loyalistes : sont-ils réconciliables ?

Beaucoup de questions relèvent de l’État, celle de l’autodétermination, de la nature du futur statut… Et les discussions les plus dures portent sur les compétences régaliennes. Les parties locales convergent sur certains éléments et divergent sur d’autres, ce qui nécessite une position de l’État.

L’idée d’un État fédéré serait examinée, qu’en est-il ?

Madame Backes propose une fédération interne. Elle rajoute d’autres dispositions qui ne correspondent pas à ce que souhaite le mouvement indépendantiste, et on est loin de ce qui avait été trouvé dans le cadre du document version 4. Tout est en discussion, rien n’est établi.

POLITIQUE

Le congrès du FLNKS, organisé prochainement, permettra-t-il de lever les profonds désaccords entre l’UC et le Palika ?

« Profonds désaccords », je ne dirais pas cela. Il y a surtout des visions stratégiques ou tactiques différentes, qui se sont présentées au retour de Paris [début septembre 2023. L’UC avait décidé de suspendre les échanges avec l’État]. Mais le FLNKS va pouvoir enregistrer à son congrès le résultat de toutes les discussions qu’il a pu mener au-delà de l’État. Si tout se passe bien, le congrès permettra de clarifier le positionnement des uns et des autres. Avec les Loyalistes, ce sont les gens du FLNKS qui discutent. Idem avec Calédonie ensemble. Même s’il y a des nuances. Le FLNKS sait donc aujourd’hui jusqu’où ces groupes et l’État sont prêts à aller.

L’autodétermination n’est-elle pas un sujet de mésentente entre l’UC et le Palika ?

Il faut laisser les discussions se poursuivre. En 1988 et en 1998, il y a toujours eu un mouvement indépendantiste qui essayait de penser de façon globale.

« La présidence va prochainement s’installer dans l’ex-CHT Gaston-Bourret. »

Les élections provinciales peuvent-elles se tenir en 2024 ?

Une discussion va déjà se tenir sur la loi organique. Une question peut se poser : pourquoi fixer une date des élections provinciales alors que la loi constitutionnelle peut être la référence ? Il y a aussi une question technique : la révision des listes électorales peut-elle être opérée entre juillet et décembre ? Est-il bon de tenir des élections au 15 décembre, au début des grandes vacances ? Ce sont des questions.
Dans les discussions sur la loi constitutionnelle, sur la loi organique mais aussi sur le nickel, le « en même temps », principe au cœur de toute la démarche du président de la République, peut poser des difficultés dans un petit pays comme la Nouvelle-Calédonie.

Où en êtes-vous de la réflexion sur « le chemin du pardon », thème que le président de la République vous a confié ?

Il faut tout d’abord réunir les conditions, car « le chemin du pardon » renvoie aux profondeurs de l’Histoire. Or beaucoup de sujets ont été tus par le fait du débat indépendance / non-indépendance, autochtonie / non-autochtonie… J’ai beaucoup consulté. Le Sénat coutumier et les conseils coutumiers m’ont indiqué qu’ils allaient travailler avec moi sur le sujet. Ce qui n’était pas gagné d’avance.
La vérité historique est redoutable. Car, jusqu’où faut-il aller chercher la vérité ? La vérité fait l’objet de controverses. Mais c’est un moment très utile, parce qu’il relativise très fortement les considérations que les uns et les autres peuvent continuer à entretenir. Nous ferons ensuite le tour des aires coutumières. Une grosse part de la réussite du projet repose sur la qualité de la discussion à mener ensemble.

FINANCES PUBLIQUES

Les finances publiques se portent mal. Où en est la réforme du Ruamm, attendue l’année dernière ?

Une deuxième lecture du texte adopté à l’unanimité au Congrès a été demandée par les Loyalistes. Elle va être examinée prochainement. Le premier objectif est de voir les compromis qui peuvent être faits, notamment sur le taux unique, le patronat demandant 9 % contre 13,5 % prévu dans les textes. Le deuxième est de le faire avant la fin du premier trimestre, parce que les ressources potentielles que nous pourrons en tirer, avec ce qui est déjà prévu dans le budget, nous permettraient de subvenir aux besoins du Ruamm jusqu’à la fin de l’année. Mais il restera à traiter la grande dette de presque 40 milliards.

Et la réforme de la Caisse locale de retraites ?

Nous avons adopté un premier volet au Congrès en 2023 et le deuxième va bientôt être présenté. Nous avons aussi engagé une réflexion sur la viabilité de deux caisses de retraite pour une population comme la nôtre. N’y a-t-il pas un autre modèle ? On regarde comment les choses peuvent être reformulées. Une décision devrait être prise au premier semestre.

Dans ces conditions, le plan de relance évoqué il y a deux ans se fait attendre…

Je pensais qu’on arriverait à sortir la Nouvelle-Calédonie plus tôt de cette situation. J’ai indiqué, lors du débat d’orientation budgétaire, que nous voulions le présenter en même temps que le budget supplémentaire, en mai. Nous avons potentiellement une capacité de 20 milliards de francs. Nous allons enregistrer au budget supplémentaire les résultats de 2023, qui vont nous permettre de disposer de ressources additionnelles. Et cette année, les mesures fiscales, taxes sur le sucre, la mine, la croisière, vont être effectives.

Lors de l’examen du budget, l’opposition a critiqué le montant des frais de déplacement des membres du gouvernement, que répondez-vous ?

Je trouve cela regrettable qu’on en soit encore là, et très réducteur de parler de 59 millions sur un budget de 58 milliards. C’est une somme comparable aux précédents gouvernements, et même en-dessous de certains. Je note cependant que les discussions ont été beaucoup plus sereines que l’année dernière.

Il est question que le gouvernement déménage dans les locaux de l’ancien hôpital. Quand cela est-il prévu ?

L’ex-CHT Gaston-Bourret fait partie du patrimoine de la Nouvelle-Calédonie et nous avons considéré que c’était le plus beau site pour l’institution, la seule qui n’a pas de maison aujourd’hui. Les études ont été lancées et vont se poursuivre cette année. Certaines directions y logent déjà. La présidence va s’y installer prochainement, avec sûrement la salle des délibérations. Cela peut ne pas paraître prioritaire, mais dans la quête identitaire d’un pays, c’est important, cela fait partie des choses qui manquent à l’identité de la Nouvelle-Calédonie.

Propos recueillis par A-C.P. et Y.M.