L’origine des atolls remise en question

Comment se sont formés les atolls, ces couronnes de récifs coralliens entourant les lagons ? Une étude de chercheurs de l’université américaine de Rice (Texas) et de l’Ifremer vient remettre en question la théorie de Darwin qui fait office de vérité dans le monde entier…

En 1842, six ans après ses voyages à bord du navire d’exploration scientifique le HMS Beagle, le naturaliste et futur géologue, Charles Darwin, a présenté une carte compilant tous les récifs coralliens connus au monde, qui intéressaient évidemment les marins de par les dangers qu’ils représentaient. De manière stupéfiante, sa carte est quasiment identique aux images satellite que l’on connaît aujourd’hui. Darwin a été plus loin que cette identification. Il a, en effet, classé les récifs des îles volcaniques tropicales en trois catégories : les récifs frangeants, platiers directement attachés à l’île, les récifs barrières, ou barrières de corail, séparés de l’île par le lagon et les atolls entourant le lagon sans terre.

Il expliquait alors, et c’est sa théorie qui a été retenue depuis, qu’après le stade des récifs frangeants et les barrières liés à l’affaissement des volcans, venait le stade des atolls. Il s’agissait donc de phénomènes plus anciens. Dans cette logique, la base sur laquelle le corail était fixé s’est affaissée progressivement, notamment par la tectonique des plaques et pendant ce mouvement descendant, les récifs ont grandi vers le haut pour rester dans la zone de lumière jusqu’à former des atolls. En clair, le volcan totalement enfoncé sous l’eau, seul reste apparent le récif qui le bordait et le lagon en son centre.

André Doxler, géologue marin et océanographe retraité de l’université de Rice, et Stéphan Jorry, chercheur en géosciences à l’Ifremer de Brest, ont profité de la période de confinement liée à la crise sanitaire pour mettre en forme une étude qui réfute cette théorie. Ils démontrent, grâce à des données géologiques tirées de forages et d’études sismiques d’atolls en différents endroits du monde, aux Maldives, en Polynésie française, aux Tuvalu et dans l’océan Indien, que l’histoire est bien différente et n’a rien à voir avec les processus d’affaissement d’anciens volcans.

Conditionnés par le changement climatique

Selon les chercheurs, l’histoire des atolls modernes a commencé il y a entre 5 et 2,5 millions d’années, dans « une période climatique extrêmement stable » durant laquelle le niveau de la mer a peu ou pas varié. Dans ce contexte, les plateformes sédimentaires se sont développées sur les hauts-fonds océaniques (zones peu profondes). Des générations et des générations de coraux et de créatures marines ont laissé leurs squelettes pour agrémenter ces plateformes.

Il y a 2,5 millions d’années, le climat s’est détérioré avec des périodes chaudes et de plus longues périodes froides. Durant ce temps, les calottes glaciaires de l’hémisphère Nord se sont épaissies et le niveau de la mer a chuté. Les plateformes étaient alors émergées. « Lorsqu’elles sont hors d’eau, leur calcaire est dissous par les eaux de pluie et un nouveau relief se façonne lentement avec une dépression au centre entourée de bordures plus hautes, comme une sorte de bol, puis progressivement de couronnes », rapporte André Droxler. (Cette étape, déjà formulée dans les années 1930 par la théorie dite des « karsts », n’avait jamais sérieusement détrôné celle de Darwin).

Le volume de la glace dans le monde a atteint son niveau maximal, il y a 500 000 ans environ. Le niveau de la mer était à 125 ou 135 mètres en dessous de son niveau actuel ! Puis ce niveau s’est mis à varier fréquemment et de manière fulgurante, en raison de cycles climatiques. Il y a 450 000 ans, on est ainsi passé de moins 131 mètres à plus 10 mètres par rapport à aujourd’hui. « À chaque période d’immersion, les coraux ont réoccupé les bordures et les parties hautes des plateformes. Ils se sont développés progressivement à chaque cycle en suivant verticalement les montées successives du niveau de la mer, formant les anneaux de corail qui entourent les lagons qui se dissolvaient au milieu. C’est ainsi que sont nés les atolls tels qu’on les connaît aujourd’hui », concluent les auteurs.

André Doxler, comprend néanmoins pourquoi la théorie de Darwin a perduré, comme il l’a expliqué récemment dans un article universitaire. « C’est tellement beau, tellement simple et plaisant que tout le monde continue à l’enseigner […] Seulement, il manquait à Darwin, la pièce maîtresse, c’est-à-dire les cycles de changement climatique et la notion que les eaux pouvaient monter et descendre parce que la notion de glaciation est entrée dans les connaissances vers 1860 ». De fait, les géologues pensaient à l’époque que les continents émergeaient de la terre de manière régulière et qu’ils faisaient ensuite naufrage tout aussi régulièrement.

Cette recherche impliquerait d’ailleurs que l’histoire n’est pas finie. Le changement climatique pose, en effet, la question de l’avenir des atolls. Que deviendront-ils si l’on se réfère aux scénarios de réchauffement climatique du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ? Certains estiment que des eaux plus chaudes, associées à des vitesses rapides de montée du niveau marin, leur seraient fatales. D’autres prétendent qu’ils pourraient s’adapter. L’étude complète sera publiée en janvier 2021 sur l’Annual Review of Marine Science.

La présentation en anglais de cette étude est disponible sur annualreviews.org

C.M.

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