L’OPT épinglé pour la gestion de ses services financiers

L’Office des postes et télécommunications opère dans trois grands domaines d’activité : les télécommunications, le service postal et les services financiers. Fin 2019, ces derniers étaient audités par l’IGF, l’Inspection générale des finances. Le rapport transmis à la direction en juin 2020 va imposer des changements notables, à commencer par l’arrêt de l’ouverture de nouveaux comptes pour les personnes morales.

Les services financiers font perdre près de 1,7 milliard de francs par an à l’OPT. Un déficit qui n’est supportable par l’établissement public que grâce à sa situation de monopole et les résultats qu’il dégage sur les télécommunications. Cette activité relève des services bancaires et doit donc, à ce titre, respecter des réglementations strictes, ce qui ne fait pas de l’OPT une banque pour autant. Pour la première fois, fin 2019, l’office s’est vu contrôlé par l’IGF qui a transmis son rapport en juin 2020. Un document qui est confidentiel, selon la direction, mais particulièrement dur à l’égard de la gestion de l’office, selon nos informations. Les dysfonctionnements sont nombreux et font peser un risque d’amende lourd, jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de l’établissement public, soit près de 2,5 milliards de francs. Les dirigeants peuvent également être inquiétés, de même que les précédents.

Erreurs stratégiques

Il faut dire que le problème n’est pas nouveau. Selon la Fédération des fonctionnaires, en 2008, des inspecteurs du Trésor public avait relevé des « lacunes importantes » dans le suivi et la gestion des comptes des particuliers. La direction ne cache pas que le problème était connu, mais indique que le projet de banque postale l’a poussée à reporter les mesures pour se mettre en conformité. L’idée était que la création d’une banque postale imposerait une réorganisation complète. Pour mémoire, il s’agissait de transformer les services financiers en banque postale avec l’ambition de pouvoir mobiliser l’épargne des Calédoniens tout en garantissant l’accessibilité bancaire au plus grand nombre. Un projet abandonné en 2019, pourtant été recommandé lors d’un audit de 2008 ainsi que par le Trésor public. L’abandon de ce projet s’explique par l’échec à trouver une banque de référence, la Banque postale française ayant refusée d’assurer cette mission, selon Philippe Gervolino, le directeur général de l’OPT. Pour la Fédération des fonctionnaires, cet échec traduit l’incompétence de la direction qui a accumulé des erreurs sur le plan stratégique.

Un vieux problème

Dans tous les cas, les services financiers de l’OPT ne pouvaient continuer à être exploités de cette façon. L’office doit d’ailleurs envoyer, d’ici la fin du mois, une réponse à l’audit réalisé par l’IGF, afin d’expliquer les mesures qui seront mises en œuvre afin de remédier aux dysfonctionnements. Tout l’enjeu est d’essayer d’éviter l’amende qui pourrait potentiellement peser sur les comptes de l’établissement public. C’est l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui aura la charge du suivi de la remise à plat des services financiers. Elle aura un coût non négligeable, de l’ordre d’un milliard de francs sur trois ans, et des charges annuelles supplémentaires, de l’ordre de 200 millions de francs par an. Il s’agit essentiellement de l’embauche de personnel pour assurer des contrôles et la mise à niveau des systèmes informatiques.

Le plan de la direction s’articule autour de cinq points : une meilleure connaissance des clients (au travers de la fourniture d’une pièce d’identité, d’attestation de domicile…), le renforcement du contrôle, l’arrêt de l’activité des mandats (déjà effectif depuis un an en raison du risque de blanchiment d’argent), l’arrêt de l’ouverture des comptes pour les personnes morales à compter du 1er avril et la mise en conformité réglementaire. De manière générale, l’OPT était loin de respecter les obligations légales visant à prévenir les risques de blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Pour le public, le grand bouleversement prendra la forme de l’arrêt de l’ouverture des comptes chèque-postaux pour les personnes morales, autrement dit les entreprises et associations. Actuellement, l’OPT compte 4 500 comptes de personnes morales pour environ 55 000 CCP au total. L’un des problèmes provenait du dépôt de grosses sommes en liquide sans qu’il soit possible d’en identifier la provenance (bingos sauvages pour les associations, travail non déclaré pour les entreprises). À noter que les patentés (entreprises individuelles) pourront continuer à ouvrir des comptes à l’OPT alors que leurs pratiques en termes d’argent liquide sont peu différentes de celles des sociétés.

Des conséquences pour les populations

La particularité de l’OPT est d’être présent partout, y compris aux Bélep et plus généralement dans l’ensemble des zones les plus enclavées du territoire. Une véritable mission de service public pour des populations qui n’intéressent pas franchement les banques commerciales. Le quart nord-est est plus particulièrement touché et constitue une sorte de désert bancaire. Le rôle de l’OPT y est essentiel pour le développement économique, mais aussi social. Pour de très nombreuses associations, l’OPT est « LA » solution et surtout la plus économique, le niveau de prix des services étant nettement en dessous de celui des banques. Bien que l’ouverture de CCP pour des personnes morales ne représente pas plus de quelques dizaines de cas par an, les personnes concernées risquent de se retrouver confrontées à de réelles difficultés.

Si le plan doit s’étaler sur trois ans, rien ne dit que l’OPT reprendra le service des CCP aux personnes morales. Selon nos informations, les membre du conseil d’administration ont fait retirer le qualificatif « définitif » au projet de délibération visant à arrêter la commercialisation des comptes aux personnes morales. La direction n’a d’ailleurs pas exclu la disparition potentielle de plusieurs services. L’OPT a ainsi demandé à l’État de lui retirer l’obligation de proposer des livrets A. L’OPT en compte 110 000 actuellement. Pour mémoire, le livret A permet d’abonder la Caisse des dépôts et consignations qui finance des investissements d’intérêt général. Elle intervient d’ailleurs sur le territoire pour un grand nombre d’interventions en matière de logement social, par exemple, de soutien à l’économie solidaire ou encore de financement des investissements de l’université. Les livrets ne rapportent rien à l’OPT en dehors d’une subvention de l’État de 110 000 euros (13,2 millions de francs), mais représentent des pertes de l’ordre de 650 millions de francs.

Débat sur le monopole

Sur la question des perspectives, le président du conseil d’administration, Yoann Lecourieux, comme la direction, reste plutôt évasif, renvoyant à plus tard la décision. Pour le président du conseil, la question des services financiers, de même que celles des télécommunications avec le câble sous-marin, questionnent le monopole de l’office. Sans ce monopole, pas de services publics déficitaires envisageables. C’est le cas des services financiers qui perdent près de 1,7 milliard de francs, mais aussi les services postaux dont le déficit avoisine 1,9 milliard de francs. Yoann Lecourieux a adressé un courrier aux membres du 17e gouvernement ainsi qu’au Congrès afin qu’un débat soit organisé sur ce monopole. La Polynésie française a, par exemple, franchi le pas et démantelé l’office polynésien. Pour maintenir le service public des services financiers, le gouvernement doit désormais subventionner l’activité à hauteur de 1,7 milliard chaque année. L’idée est donc de savoir si les services publics doivent être financés par l’impôt ou par les bénéfices engrangés sur des services confiés à un monopole.

M.D.