Logement : une société discriminante ?

C’est malheureusement l’idée que l’on peut se faire à la lecture de la synthèse de la dernière étude du Larje. Le Laboratoire de recherches juridique et économique de l’université de Nouvelle-Calédonie vient de mettre en ligne ce document qui révèle des discriminations, cette fois en matière d’accès au logement sur le Grand Nouméa. Après avoir montré l’existence d’importantes inégalités, les chercheurs relèvent la subsistance de ségrégations dans la société calédonienne. 

Après le testing conduit en 2012 par la Ligue des droits de l’homme dans les boîtes de nuit et qui avait débouché sur la condamnation d’un patron de bar de la Baie-des-Citrons, une nouvelle étude montre que les choses n’ont guère évolué. Il s’agit cette fois d’une initiative de l’université de Nouvelle-Calédonie, plus précisément du Laboratoire de recherches juridique et économique (Larje) qui s’était déjà penché sur ces questions par le passé.

Fin 2011, les chercheurs avaient publié une étude sur les inégalités ethniques à l’école. Elle a été complétée quatre ans plus tard dans le secteur du marché de l’emploi avec une thèse de Samuel Gorohouna, maître de conférences en sciences économiques.

Une expérimentation pilote

Sur le territoire national, ce type d’étude concernant le logement est relativement nouveau. Si quelques expériences ont été réalisées, elles n’ont rien de comparables avec ce qui a pu être fait aux États-Unis, en Europe ou encore en Australie. L’Agence nationale de recherche (ANR), dans le cadre du projet Dalton, a décidé d’y remédier et la Nouvelle-Calédonie fait office de pilote dans cette expérimentation. En partenariat avec Yannick L’Horty, chercheur spécialiste des questions de discriminations de l’université Paris-Est, l’UNC a voulu mesurer et analyser les discriminations dans l’accès au logement à l’encontre des Kanak dans le Grand Nouméa.

Le principe du « testing » est simple : de faux candidats à la location répondent à de vraies offres de logement. Ils sont tous semblables, en dehors de la caractéristique à tester, l’appartenance ethnique en l’occurrence. Pour compléter l’expérience, les chercheurs ont introduit la notion de stabilité professionnelle, généralement déterminante auprès des bailleurs. Quatre candidats – un Kanak, un Européen sans garantie de stabilité professionnelle, un autre Kanak et un dernier Européen avec un signe de stabilité professionnelle – ont épluché les annonces entre octobre 2015 et février 2016 et répondu à 342 d’entre elles, publiées par des particuliers pour une grande majorité (87 %).

Les résultats sont assez nets puisqu’un Européen avec signal de stabilité a 67,5 % de chances de recevoir une réponse positive. Pour le Kanak avec signal de stabilité, les chances nesont que de 63,5 %. Des chances qui sont par ailleurs inférieures à celles d’un Européen qui n’offre pas de garantie de stabilité (65,2 %). Le candidat ayant le moins de réponses positives est le Kanak ne présentant pas de signe de stabilité professionnelle (52 %).

Des discriminations importantes

Les chercheurs en déduisent que la précarité n’est pas un facteur particulièrement déterminant pour les Européens (67,5 % contre 65,2 %) alors qu’il l’est tout particulièrement pour les Kanak (63,5 % contre 52 %). Un facteur plus discriminant encore que l’appartenance ethnique. Ces différences de traitement ne sont par ailleurs pas les mêmes en fonction des quartiers. Pour le mesurer, les scientifiques ont défini trois grands types de quartier : le premier où les Kanak sont sous-représentés comme les quartiers sud, un autre où la population est mélangée et le dernier où les Kanak sont surreprésentés. Les résultats montrent que les discriminations diminuent avec l’augmentation de la présence de Kanak. Autrement dit, les discriminations sont les plus importantes là où l’on observe le moins de mixité et notamment dans les quartiers sud.

Une fois ce constat posé, l’idée est de pouvoir y répondre avec des politiques publiques appropriées. C’est dans cette optique que les chercheurs devraient très prochainement présenter leurs analyses aux responsables politiques. Si les discriminations peuvent avoir de graves conséquences sur le plan social, en dehors de toutes considérations morales, elles ont également des conséquences en matière d’efficacité économique. Pour le discriminant, refuser un candidat, pour une raison ethnique par exemple, représente un coût qu’il devra assumer jusqu’à trouver un autre locataire. Il en va de même sur le marché du travail, un employeur discriminant pouvant passer à côté de compétences en raison de préjugés.

M.D. 

Crédit : Ville de Nouméa/ S. Mérion