LKU, la radicalité incarnée

De ses premières années militantes jusqu’au boycott du premier référendum, le fondateur de l’Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités (USTKE), décédé le 20 octobre à l’âge de 71 ans, aura surtout suivi son propre chemin, ouvrant ou forçant le passage, suscitant l’admiration de ses partisans autant que l’exaspération de ses adversaires.

Louis Kotra Uregei n’était pas exactement la personnalité préférée des patrons. Dès l’annonce de son décès, pourtant, le Medef a salué « l’un des fondateurs emblématiques » du syndicalisme calédonien. « Nos désaccords ont été notoirement nombreux mais nous saluons avec respect son engagement », celui d’un « homme de conviction » doublé d’un « négociateur déterminé ». LKU n’était pas non plus l’homme le plus consensuel du monde syndical.

En 1981, la création du STKE (l’union des sections progressivement créées apportera le U, cinq ans plus tard) fut une réaction à son conflit avec la Fédération des fonctionnaires – il était le secrétaire général de la section OPT – et attira des insatisfaits du Syndicat des travaux publics ou encore de l’Usoenc, comme André Forest. « On était en plein dans la période coloniale », souligne l’actuel président de l’USTKE. « On voulait que la dimension kanak soit prise en compte sur les questions d’emploi, de rééquilibrage. » Le slogan « Usines, tribus, même combat », « c’était la marque de fabrique de Monsieur Louis Kotra Uregei », qui aura souvent tracé sa propre route.

LA CULTURE DE L’AFFRONTEMENT…

En 2011, le syndicat indépendantiste est resté à l’écart de l’intersyndicale vie chère, rappelle la Fédération des fonctionnaires, qui n’oublie pas pour autant les moments d’union comme « la grève Cellocal » de 1999, long conflit social où les forces de l’ordre avaient levé le blocage de l’usine au bout de six semaines.

La Fédé rend hommage « à l’impulsion apportée au syndicalisme dans ces années par LKU », à ses « actions de terrain » qui ont conduit à la création des comités d’entreprise. Philippe Michel (Calédonie ensemble) reste marqué par l’épisode Carsud de 2007-2008, où le haut-commissaire Yves Dassonville avait lui aussi fait « donner la troupe ». L’ancien président de la province Sud retiendra de LKU « la force de l’engagement, la détermination, qui l’ont souvent conduit à être brutal, excessif », du point de vue syndical et politique.

…PRÉALABLE À « UN VRAI DIALOGUE SOCIAL »

« J’ai toujours combattu la radicalité des actions de l’USTKE, mais elles ont incontestablement conduit à faire progresser les choses », analyse Philippe Michel. La radicalité syndicale répondait aussi à celle des patrons. « Il aura fallu l’avènement de conflits durs, de syndicats durs, pour faire émerger un vrai dialogue social. »

L’apaisement du début des années 2010 fut aussi la période de concentration sur la politique pour LKU, au sein du Parti travailliste qu’il avait fondé en 2007, jugeant le FLNKS trop modéré. « Au fil des ans, le syndicaliste radical qu’il fut laissa place à l’élu de la province des Îles et du Congrès, avec lequel des voies de discussion furent possibles. C’est cela que nous retiendrons de lui », déclare l’actuel exécutif de la province Sud, dirigé par Sonia Backes.

Gilles Caprais

Photo : Louis Kotra Uregei fut d’abord syndicaliste, puis chef d’entreprise, dirigeant trois sociétés de transport et d’aconage. © C.M

Roch Wamytan, président du Congrès
« C’était un fondamentaliste Kanak »

© G.C

DNC : Politiquement, que retiendrez-vous de LKU ?
Dès son adolescence, il a été sensibilisé à la situation du peuple kanak, marginalisé dans son propre pays. Il a voulu, dès son engagement avec les Foulard rouges, améliorer les conditions de vie des gens. C’était quelqu’un de gauche, qui avait une certaine radicalité. Il défendait d’abord et avant tout le droit du peuple kanak à maîtriser son destin. On peut dire que c’était un fondamentaliste kanak. Il revendiquait l’indépendance kanak, et socialiste après. Il a su, ensuite, tenir compte du contexte politique, du fait que nous n’étions plus seuls, que des populations sont arrivées, par la colonisation, le bagne, etc.

Sa relation avec le FLNKS a été complexe…
C’était quelqu’un qui était idéologiquement très proche d’Éloi Machoro, qu’il a beaucoup fréquenté au moment des Évènements. Il a été membre fondateur du FLNKS. Il a signé les accords de Matignon, mais quand il s’est aperçu qu’ils risquaient d’aller vers une assimilation du peuple kanak, et qu’il a été déçu de certaines décisions du FLNKS, il a préféré se mettre à côté. On était un peu déçu qu’il ne participe pas au premier référendum. Il avait expliqué ses raisons. Et il était revenu sur sa décision, puisqu’il a participé au second vote, en 2020. Il a souvent reproché au FLNKS le péché de compromission. Pour nous, ce n’était pas un péché mais une politique, il fallait discuter avec les non-indépendantistes. Je n’étais pas toujours d’accord avec lui, mais j’ai toujours respecté sa parole. C’était une parole forte, libre. Et elle va nous manquer.