L’hôpital au plus mal

Le service de Thierry de Greslan, président de la Commission médicale d’établissement du Médipôle, la neurologie, a perdu la moitié de son effectif de soignants. (© A-C.P)

Les émeutes, provoquant le départ de nombreux soignants du territoire, ont davantage fragilisé un système de santé déjà affaibli. Le Nord est particulièrement affecté. Au CHT, seuls les urgences et certains services résistent. Le personnel est épuisé. Et la prise en charge des patients s’en trouve affectée.

  • DANS LE NORD, UNE OFFRE DIVISÉE PAR DEUX

Une cinquantaine de lits a été fermée, « quasiment tous ceux de Poindimié, Koumac » et « beaucoup sur Koné aussi », où les blocs opératoires programmés ont été suspendus, indique Thierry de Greslan, président de la Commission médicale d’établissement au Médipôle. « Il n’y a plus que les urgences qui fonctionnent. » Le constat est inquiétant : « l’offre de soins a baissé de 40 à 50%, ce qui est énorme », souligne le neurologue.

  • AU CHT, 100 LITS FERMÉS

Le Médipôle a perdu une centaine de lits sur 500, environ 20 % des infirmiers, notamment de spécialité, 18 % des médecins, et subit « une fuite des kinésithérapeutes » ‒ il en reste deux sur 16 postes. « C’est du jamais vu. » Les conséquences sont inégales. « Aux urgences, il y a 30 médecins. Si deux partent, cela ne se voit pas trop. En revanche, dans un service de trois, cela se ressent beaucoup. » Il n’y a par exemple plus de service de gastroentérologie. Pour y pallier, l’hôpital travaille avec la clinique, prend des avis auprès du CHPF de Papeete. « Cela devrait s’améliorer mi-janvier, parce qu’un gastroentérologue revient », annonce Thierry de Greslan. En début d’année, l’ophtalmologie sera seulement dotée d’un interne. En pneumologie, il reste deux médecins sur cinq. Et la cardiologie a « beaucoup perdu en effectif ».

  • DES ÉQUIPES À BOUT DE SOUFFLE

Résultat, le personnel est confronté à une surcharge de travail « monstrueuse », des astreintes un jour sur deux, voire quotidiennes. « Ce ne sera pas tenable longtemps », estime le médecin. Surtout pour les petites équipes. « Elles sont en souffrance. Elles tiennent pour l’instant, mais je ne sais pas jusqu’à quand. » Le plus dur ? « La fatigue. » Heureusement, l’hôpital « est solide sur ses bases, c’est un exemple du vivre ensemble ». Et certaines spécialités se portent moins mal que d’autres. Plusieurs urgentistes, certes en contrat à durée déterminée, ont été recrutés. La réanimation, l’anesthésie et la chirurgie « s’en sortent à peu près ».

  • CONSÉQUENCE SUR LA PRISE EN CHARGE

L’urgence « n’est pas dégradée », rassure Thierry de Greslan, elle est toujours traitée de la même façon. Ce qui change, en matière d’offre d’hospitalisation, c’est l’attente. Cela peut être aux urgences pour un lit d’hôpital ou pour obtenir une prothèse de hanche. Des opérations programmées de chirurgie non urgentes sont reportées. « On fait également sortir les malades plus tôt, dès qu’ils sont stabilisés. » Et, en raison de la diminution du nombre de soignants, du retard a été pris dans les consultations. Or, souligne Thierry de Greslan, les malades ayant tardé à consulter se retrouvent dans des états qui se sont aggravés. « Il y a, par exemple, davantage de détection de cancer, de maladie chronique… La situation est vraiment catastrophique. »

  • QUELLE OPTIQUE POUR 2025 ?

Le CHT n’a guère de perspective de recrutement dans les semaines à venir. « Pas avant mars, c’est sûr. Il faut quelques mois pour recruter un paramédical, au moins neuf pour un médecin. » Mais, de nouvelles pistes sont explorées. Le bassin d’embauche a été élargi. Des médecins étrangers, notamment des Burundais, exercent actuellement à l’hôpital. Des contrats sont signés avec des stagiaires associés, des étudiants qui viennent faire une partie de leur stage au Médipôle, qui connaît une chute « importante » du nombre d’internes. « Habituellement, nous en prenons 40 sur 60 candidatures. Là, nous en avons 19 sur 30 propositions. Pour la prochaine promo, nous avons seulement 19 candidatures, donc nous en aurons moins. Sachant que l’internat est une porte d’entrée, 72 % des médecins installés ici y sont passés. » Enfin, une convention État-pays pourrait voir le jour en vue d’instaurer une collaboration entre les structures publiques locales et hexagonales, afin de procéder à des échanges pérennes de praticiens et paramédicaux, développe Thierry de Greslan.

  • DES ÉCONOMIES

Le CHT rencontre aussi des difficultés financières. L’établissement de santé essaye de réaliser des économies. « Les formations de personnel en Métropole, par exemple pour ceux qui devenaient cadre, ne sont plus prises en charge. Nous avons voté, en conseil d’administration lundi 9 décembre, la suppression d’un certain nombre de mesures sociales. » Et les investissements sont presque au point mort, témoigne le soignant, 350 millions de francs au lieu d’un milliard environ. « Nous avons une ou deux tables opératoires en réparation, du matériel vieillissant doit être remplacé. Cela affecte le moral des troupes. Se doter de nouvelles techniques attire également les soignants. »

  • RÉFORMER

Le sujet est évoqué depuis des années. Pour Thierry de Greslan, l’essentiel est d’avoir « des objectifs concertés et une vision stratégique qui correspondent aux besoins de la population ». « Ce qu’il faut savoir, c’est le niveau de santé que nous voulons et se donner les moyens afférents. Nous, on prône la meilleure santé possible. » Les idées, entre autres : passer d’un budget global à semi global avec une partie de tarification à l’activité, faire évoluer le statut des praticiens hospitaliers afin qu’ils puissent exercer à la fois dans le public et le privé, ce qui rendrait la rémunération plus attractive, nouer un partenariat entre les structures publiques et privées… Autre solution, insiste le médecin, diminuer les Evasan, « qui coûtent très chères » : « développer l’offre de soins ici permet de générer des économies ».

Anne-Claire Pophillat