L’état psychologique des étudiants sous haute surveillance

Après le suicide de deux étudiants à l’université de Nouvelle-Calédonie (UNC) l’an dernier, l’ensemble du personnel de l’établissement est particulièrement vigilant. D’autant plus que la période que nous traversons favorise les troubles anxio-dépressifs chez certains. Une équipe de psychologues les accompagne.

 

L es restrictions actuelles liées à l’épidémie de Covid ont un impact préoccupant sur le moral des étudiants de l’UNC. Sur les six semaines de confinement strict, 23 jeunes ont eu recours à une aide psychologique mise en place par l’université. C’est quasiment le double qu’en temps normal. « Beaucoup étaient en détresse sociale. Cette situation en a plongé un grand nombre dans une grande précarité et un isolement difficile à supporter lorsqu’on est loin de sa famille. Ceux qui sont rentrés chez eux ont aussi parfois eu du mal à s’isoler, ce qui peut angoisser. Dans tous les cas, cette situation a favorisé le développement de troubles anxio-dépressifs », détaille Grégoire Thibouville, l’un des trois psychologues de la cellule d’écoute de l’université.

Idées noires

Crises d’angoisse, troubles du sommeil ou du comportement alimentaire, conduites addictives vis-à-vis de l’alcool ou du cannabis sont autant de symptômes qui ont alerté les professionnels. « Nous n’avons pas connaissance de tentatives suicidaires, mais à partir du moment où les étudiants nous font part de leurs idées noires, ce qui arrive souvent, nous restons très vigilants », poursuit le psychologue.

Être vigilant, cela signifie être disponible à tout moment, car ces jeunes peuvent décompenser rapidement. « Pendant le confinement strict, nous avons échangé par visio, téléconsultation ou même parfois par SMS lorsqu’il y avait du monde autour. Aujourd’hui, nous pouvons de nouveau nous voir à la Maison de l’étudiant. »

Thérapie entre amis

Rudy Tavita, étudiant en deuxième année d’économie gestion, n’a pas eu recours au psychologue, mais son moral en a pris un coup lorsqu’une semaine après le début du confinement, il a ressenti une grande fatigue accompagnée d’une perte de goût et d’odorat. « J’ai eu le Covid et je suis donc resté dix jours isolé en attendant que ça passe », explique l’étudiant qui a bien récupéré. Originaire du Mont-Dore, le jeune homme avait décidé de rester dans sa résidence universitaire à Dumbéa pour ne pas contaminer sa famille. Grand bien lui en a pris. Une fois remis sur pied, il a retrouvé un semblant de vie sociale. « C’était important de se voir entre étudiants, à la résidence. Autour de moi, beaucoup de gens ont perdu des proches. Quand quelqu’un n’allait pas bien moralement, on en parlait, ce qui nous a permis de tenir », reconnaît le jeune homme.

Ceux qui sont restés dans les résidences de l’UNC à Nouville et Dumbéa ont pu bénéficier de cette thérapie entre amis. « Ça a été plus difficile à gérer pour les étudiants qui sont retournés chez eux, car ils ont parfois été confrontés aux problèmes de connexion ou de surpopulation à leur domicile », affirme Yannick Lerrant, directrice de la Maison de l’étudiant.

Aujourd’hui, alors que les cours ont repris, environ un tiers des étudiants n’ont pas réintégré leur chambre et ils sont nombreux à ne pas avoir repris les cours. Pour les psychologues, l’inquiétude persiste, car certaines émotions peuvent être refoulées et les problèmes psychologiques sont susceptibles de ressurgir pendant plusieurs mois encore.

Si les consultations numériques ont diminué ces derniers jours, ce n’est pas parce que les problèmes ont été résolus, mais parce que les jeunes focalisent leur attention sur la préparation de leurs examens. Une bonne raison, pour les psychologues, de rester attentifs.

 


La cellule d’écoute sur le qui-vive

La crise a plongé de nombreux jeunes dans une détresse sociale et psychologique.

 

Suite au suicide de deux étudiants l’an dernier, l’université a élargi le champ d’action de sa cellule d’écoute, auparavant réservée aux victimes de violences sexuelles et sexistes. Aujourd’hui, trois psychologues, une assistante sociale, une infirmière et quatre médecins assurent des permanences et interviennent quand c’est nécessaire.

Durant ce dernier confinement, une quarantaine de jeunes sur les 141 encore hébergés dans les résidences de Nouville et de Dumbéa ont sollicité de l’aide pour des angoisses liés au contexte sanitaire. La cellule est mobilisée à la demande des étudiants. Cependant, beaucoup n’osent pas franchir le pas. Ce sont donc parfois les enseignants qui contactent les psychologues lorsqu’un étudiant se confie à eux ou qu’ils perçoivent une fragilité chez un jeune. « De manière globale, nous sommes nombreux à faire le lien lorsqu’un étudiant vient se confier », précise Brigitte Gustin, chargée de mission vie étudiante.

 


Une aide psychologique sur le campus de Baco

Suite au premier confinement de 2020, une cellule psychologique a également ouvert sur le campus de la province Nord, à Baco. « À partir de septembre, j’ai assuré une permanence de quatre heures tous les 15 jours. À chaque fois, la demande était très forte et la demi-journée était complète », explique Morgan Bellec, psychologue aujourd’hui installée sur Nouméa.

Les problématiques auxquelles sont confrontés les étudiants du Nord sont nombreuses, allant des pressions et violences familiales aux difficultés matérielles et logistiques dues au manque de bus, d’organisation sportive et culturelle… Si ces problématiques n’ont pas disparu, les consultations ont diminué pendant le deuxième et le troisième confinement. « Deux semaines après le retour à la normale, nous avons constaté un regain d’affluence en avril. Le même phénomène va peut-être se produire, mais pour l’instant, on attend », précise Fanny Sigal, la psychologue du campus du Nord.

 


La précarité augmente

L’UNC a reçu des dons alimentaire pendant le confinement.

 

« La précarité chez les étudiants est de plus en plus importante et nous en avons fait le triste constat pendant ce confinement », affirme Brigitte Gustin, chargée de mission vie étudiante à l’université de la Nouvelle-Calédonie. Pour se nourrir, se loger et avoir un peu d’argent de poche, beaucoup ont un petit job alimentaire. Mais l’arrêt brutal de cette activité au début du confinement en a plongé certains dans une grande précarité.

« Heureusement, nous avons reçu énormément d’aides, de colis de nourriture et de produits d’hygiène que nous avons distribués via l’épicerie solidaire. Pas uniquement aux étudiants d’ailleurs », explique Yannick Lerrant, directrice de la Maison de l’étudiant. Cette précarité grandissante est une source d’angoisse supplémentaire pour ces jeunes en construction.

 

Virginie Grizon (© V.G. et UNC)