Il y a quelques mois, les lycéens de Michel-Rocard dévoilaient leur fresque en l’honneur de ce geste fondateur. Un devoir de mémoire. Une façon de s’approprier ce symbole parfois malmené par les politiques. Le temps est venu de laisser la place à la nouvelle génération, selon Élie Poigoune, ancien président de la Ligue des droits de l’Homme.
Impossible de la rater. Chaque jour, près de mille élèves passent devant la fresque représentant la poignée de main, qui orne un des murs du lycée de Pouembout depuis le mois de novembre.
Multicolore. Encadrée, à droite, par une flèche faîtière et, à gauche, par un cheval. Emblème de la rencontre de deux cultures, deux communautés. De destins. Le dessin, réalisé par des lycéens volontaires, a été terminé à temps pour célébrer les 30 ans de l’établissement, issu lui-même de l’Accord de Nouméa.
Encore un symbole. Une façon de « mettre du lien », de regarder son passé pour mieux appréhender son futur. L’initiative a du sens dans un lieu fréquenté par la jeunesse. « On a, à l’époque, réussi à faire unité, estime Pascal Laborde, le directeur. Aujourd’hui, ce que nous avons fait incarne quelque chose d’ouvert et de positif. » À Michel-Rocard, la poignée de main, les lycéens « la vivent au quotidien ». C’est ça, l’avenir, poursuit Pascal Laborde. « On façonne le futur maintenant, dans le présent. »
UNE CLASSE POLITIQUE « DANS LA POSTURE »
35 ans plus tard, la classe politique, elle, peine à assumer ce legs. Il reste encore beaucoup à faire, considère Élie Poigoune. « On est toujours dans la confrontation. Deux partis refusent la discussion et certaines positions n’ont pas bougé. » D’un côté les indépendantistes, de l’autre les non-indépendantistes qui, au sein même de leur mouvement, sont divisés. « Il y a un éclatement des deux côtés », souligne Walles Kotra, ancien journaliste et directeur régional de NC La 1ère.
Pourtant, il est de bon ton de s’en réclamer. La poignée de main est-elle instrumentalisée, son contenu galvaudé ? « On a passé beaucoup de temps à la détricoter ces derniers temps, tout en en disant du bien et en faisant l’inverse de ce qu’ils ont fait. Chacun chez soi, dans son quartier, sa communauté. Pour construire les choses ensemble, ça va être difficile. »
Le comité des Sages, par le biais de son président, Jean-Pierre Flotat, juge sévère- ment ceux qui en utilisent l’image en faisant abstraction du message. La référence à cet acte est « devenue au fil du temps incantatoire et a perdu toute sa substance, face à une classe politique qui est plus dans la posture que dans une réelle volonté de poursuivre ou renouveler cette vision de l’avenir. L’héritage est en déliquescence chez nos politiques alors qu’il reste vivace dans la société civile. » Cette dernière avance, contrairement aux élus. « On devait élaborer une solution calédonienne. On a fait quoi ? Peu importe qui gagne, on ne construit pas un pays avec 51 % des gens », ajoute Walles Kotra.
MÉMOIRE ET RÉCONCILIATION
Dans ce contexte, un geste rassembleur pourrait-il permettre une avancée ? Walles Kotra se méfie de la capacité d’un symbole à pouvoir « régler le problème ». Et puis, les conditions ne sont plus les mêmes. Les deux facteurs qui ont mené à la poignée de main, la dimension tragique de la guerre civile et la légitimité des politiques ne sont pas réunis. « Il y a également eu le référendum de 2021 et la nomination de Sonia Backes au gouvernement. La posture de l’État a changé. La configuration est différente. »
Mais à autre époque, autre méthode. Cela pourrait se concrétiser autrement. « Peut-être qu’il y a quelque chose à faire pour revenir vers l’autre, réconcilier les gens, suggère Élie Poigoune, apaiser les blessures profondes. » Ce qu’ont été capables de réaliser Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur « peut devenir le fondement d’une mémoire commune », précise le comité des Sages. « C’est le début, il faut partir de là, prolonger et adapter, mais ne pas tourner la page », considère Walles Kotra.
L’ÉTAT « DOIT PRENDRE DES INITIATIVES »
Pour aller de l’avant en fédérant les commu- nautés, le comité des Sages pense à l’État, qui « doit prendre des initiatives dans ce sens et accompagner une telle démarche qui réunirait les aires coutumières, des représentants reconnus des autres communautés, des historiens, sociologues, juristes… ». Le salut viendra-t-il de la société civile et, surtout, de la nouvelle génération, éloignée des appareils politiques ? Élie Poigoune le croit.
Son expérience au Juvénat lui donne confiance. « Je vois que les jeunes grandissent bien, c’est eux qui représentent le vivre-ensemble. » Acteurs d’une société calédonienne en devenir. Des étudiants « qui ne comprennent pas les positionnements politiques trop extrêmes ». Leur « temps » est venu, mais « notre génération est toujours aux institutions, on ne leur laisse pas toujours la place », regrette le président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme également membre du comité des Sages. Pour écrire une nouvelle page. Avec de nouveaux protagonistes.
Anne-Claire Pophillat avec C.M.
Dans notre dossier
« Sans rien abandonner, ils ont su donner et pardonner »
Impossible d’imaginer les discussions institutionnelles d’aujourd’hui sans le geste historique de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Leur poignée de main, née du sang et des larmes, acte aussi deux accords importants pour la suite. →
Un « pas de côté », une « voie à suivre »
Les descendants de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur regardent avec beaucoup de respect le geste symbolique de leurs aïeuls, « deux hommes aux qualités hors normes ». L’esprit de dialogue qui les a guidés est, selon eux, toujours nécessaire aujourd’hui. →
Tendre la main à la paix
C’est par un geste ordinaire qu’ils ont accompli quelque chose d’extraordinaire. En se serrant la main, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ont mis fin à une guerre civile qui a coûté la vie à près de 90 personnes. →
Un héritage qui pèse sur leurs épaules
Une nouvelle poignée de main pour relancer les discussions ? La première semble indépassable pour les représentants politiques indépendantistes ou non-indépendantistes et l’État. Elle appartient au passé, alors que tout reste à faire. →