Les regards tournés vers Fidji

Après l’accord économique avec le Vanautu récemment finalisé, la Nouvelle-Calédonie va tenter de tisser de nouveaux liens avec l’archipel fidjien. Une mission préparatoire a été conduite début avril en vue d’une mission officielle en juillet. Une délégation fidjienne emmenée par le Premier ministre pourrait ensuite être accueillie en octobre pour finaliser un accord de libre-échange.

L’intégration régionale de la Nouvelle- Calédonie devrait se poursuivre. C’est du moins la volonté farouche des acteurs du monde économique qui étaient réunis, le 6 mai, par le cluster New Caledonia Trade and Invest (NCT&I) dont la mission est de promouvoir les exportations des entreprises calédoniennes. Près d’une quarantaine de chefs d’entreprise et de représentants d’autres clusters calédoniens ont répondu présent à l’invitation de NCT&I en vue de préparer une mission de diplomatie économique en juillet.

Le cluster proposait à ses adhérents une présentation de cet archipel mélanésien qui compte près d’un million d’habitants, résultat d’un voyage préparatoire début avril. Cette prise de contact préfigure le premier déplacement officiel qui sera conduit par le futur gouvernement, du 8 au 15 juillet. Une délégation fidjienne emmenée par son Premier ministre, Frank Bainimarama, devrait ensuite venir en Nouvelle-Calédonie afin de finaliser un futur accord commercial sur le modèle de celui conclu avec le Vanuatu pour une liste positive de 38 produits.

Pour rappel, l’idée est de définir des produits pouvant intéresser chacun des deux pays afin de développer les échanges commerciaux, sans nuire à leur tissu économique respectif. Si les Fidjiens se sont montrés très intéressés, au même titre que les Calédoniens, il paraît peu probable qu’un tel accord puisse être signé d’ici octobre. Il faudra très probablement davantage de temps. Ce genre d’engagement nécessite de nombreuses discussions, notamment avec les entreprises. Si l’accord avec le Vanuatu a été signé, il faudra encore patienter quelque temps pour qu’il soit pleinement appliqué.

Des échanges quasi-inexistants

Selon les informations collectées par le cluster, les échanges sont actuellement extrêmement faibles entre Nouméa et Suva. Sur le graphe présenté, on devine à peine le montant des exportations calédoniennes. La balance commerciale est particulièrement défavorable aux Calédoniens puisque si l’on n’exporte pas, les Fidjiens ont commencé à envoyer quelques biens sur le territoire. On reste toutefois dans des proportions très faibles puisque chaque année, ces exportations représentent seulement environ 1,5 million de francs.

Les espoirs des chefs d’entreprise sont pourtant importants. Il faut dire que dans le Pacifique Sud, Fidji occupe une place particulière, notamment sur le plan diplomatique. Avec son million d’habitants, ce pays a développé une économie assez diversifiée, mélange d’industrie et de productions primaires. Le tourisme, avec ses 800 000 visiteurs chaque année, est une des premières ressources du pays, suivi des exportations de bois ou encore d’eau. Malgré ce dynamisme, Fidji importe énormément et en particulier de la nourriture, justement pour nourrir les nombreux touristes.

De manière assez générale, Fidji est ce qu’aurait pu être la Nouvelle-Calédonie. Outre le tourisme, les acteurs ont développé un secteur maritime important. L’île est également un hub régional de premier plan, reposant sur une stratégie de développement touristique assez agressive. Fidji est également devenu un territoire très avancé en matière de recherche et d’innovation, laissant bien loin derrière la Nouvelle-Calédonie qui ne jure pourtant que par l’innovation. Comme le soulignait un des représentants du cluster maritime lors de la réunion, c’est à Fidji que l’un des cinq centres de recherche marine au monde a été implanté. Mais si nos voisins ont su se développer, ils sont encore loin d’être parvenus au niveau de développement de la Nouvelle-Calédonie avec un produit intérieur brut par habitant de 3,63 millions de francs par an contre 600 000 francs par an à Fidji. L’archipel affiche toutefois un taux de croissance annuelle stable de l’ordre de 4 % et investit énormément*.

Selon Zoltan Kahn, le vice-président du cluster, « d’après le représentant de l’Union européenne à Suva, les Fidjiens voient la Nouvelle-Calédonie comme un pays où règne le luxe absolu et qui a tourné le dos à son identité Pacifique ». De fait, les accords politiques ayant suivi les Evénements ont tenté d’apporter des réponses aux déséquilibres entre les communautés, résultant de la colonisation, mais force est de constater qu’il y a encore du pain sur la planche. À la réunion du cluster, sur une quarantaine de chefs d’entreprise et de représentants d’institutions, seuls quatre Océaniens étaient présents. Si la Nouvelle- Calédonie a entamé un travail d’intégration régionale depuis un peu moins de quatre ans, elle semble avoir nié son identité océanienne pendant des décennies, à la différence de Fidji qui a su développer une véritable vision de ses relations avec les autres pays du Pacifique.

Des opportunités pour les deux pays

De fait, l’archipel dont la superficie est proche de celle de la Calédonie s’est imposé comme un État en mesure de choisir ses partenaires. Sa situation géographique centrale dans le Pacifique et ses décisions diplomatiques lui ont permis d’assurer l’organisation de la COP23. Contrairement à d’autres territoires comme le Vanuatu qui ont bien du mal à refreiner les ardeurs du géant chinois, Fidji est courtisé par de nombreuses grandes puissances. Ce n’est pas un hasard si l’Union européenne a installé sa représentation du Pacifique dans l’archipel. On y trouve également les grands bailleurs de fonds mondiaux comme la Banque asiatique de développement, l’Agence française de développement ou encore la Banque mondiale. Comme l’a également rappelé Frédéric Reynaud, le directeur de la BCI, en à peine quinze jours, Fidji est parvenu à lever une centaine de millions de dollars pour un green bond (des « obligations vertes » ou emprunts d’État pour financer des actions en faveur de l’environnement).

Malgré ces sollicitations, Fidji s’est montrée particulièrement intéressé pour développer des relations avec la Nouvelle-Calédonie, selon les représentants du cluster, même s’ils ont encore un peu de mal à croire à la volonté calédonienne. Si l’archipel se montre aussi favorable, c’est que ses responsables ont bien conscience de ne pas faire jeu égal avec les grandes puissances que sont l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Chine, raison pour laquelle il a refusé de signer les accords de libre-échange avec ces nations tels que Pacer plus. De son côté, la Nouvelle- Calédonie affiche un PIB quasiment équivalent à celui de la Nouvelle-Zélande, mais qui repose sur une économie très déséquilibrée et avec un poids de l’administration très important. Fidji et la Nouvelle-Calédonie ont donc chacun un intérêt à nouer des liens.

Le secteur des services fidjiens est peu développé alors qu’il est prépondérant sur le territoire. Un certain nombre d’infrastructures y font également défaut ou sont à revoir, comme les routes, mais aussi les installations permettant la distribution de l’électricité ou encore de l’eau. Des domaines dans lesquels certaines sociétés calédoniennes disposent d’une expertise reconnue. Le cluster a ainsi identifié plusieurs secteurs où les entreprises calédoniennes sont susceptibles de se démarquer. Elle enverra prochainement un stagiaire pendant un mois pour continuer la préparation de la mission et nouer des contacts. Mais les grandes puissances n’ont pas attendu la Nouvelle-Calédonie, d’autant que la barrière de la langue a plutôt tendance à favoriser les anglophones. Le cluster réfléchit à proposer un service de veille et de traduction des appels d’offres afin d’aider les entreprises calédoniennes pas toujours à l’aise avec l’anglais. Il ambitionne également de se rendre à Fidji avec des offres clef en main, regroupant les acteurs calédoniens.

*L’importance des investissements a engendré une certaine forme de crise de liquidités. Autrement dit, après avoir distribué un très grand nombre de crédits, les banques manquent d’argent, ce qui grippe l’économie.


Un double de la collection fidjienne ?

À l’occasion de la mission préparatoire, les Calédoniens ont pu rencontrer Michel Ghanem, un des chercheurs responsables de la collection de plantes vivrières du Pacifique. Une collection unique qui est justement fragile en raison de son unicité. L’idée serait de pouvoir la dupliquer en Calédonie afin de sécuriser la conservation de ces espèces, extrêmement rares pour certaines. Elles pourraient ensuite être reproduites et envoyées à travers le Pacifique en fonction des besoins. Michel Ghanem s’est montré extrêmement intéressé et était d’ailleurs très récemment en Nouvelle- Calédonie, notamment afin d’aborder cette question.

M.D.