Les produits naturels, une filière d’avenir

Le cluster Nativ’NC*, qui regroupe depuis 2018 les professionnels des produits naturels en Nouvelle-Calédonie, a entrepris de sensibiliser les autorités locales au fort potentiel de développement de cette filière. Selon ses responsables, « tous les voyants sont au vert ».

Avec 15 700 km2 de lagon, une zone économique exclusive immense couvrant plus de 1,7 million de kilomètres carrés, la deuxième plus grande barrière de corail au monde, une faune et une flore remarquables notamment par leur endémicité… La Nouvelle-Calédonie jouit d’une exceptionnelle biodiversité terrestre et marine ajoutée à des savoir-faire de plus de 3 000 ans. Ces trésors naturels, relativement peu exploités, mais porteurs d’une richesse potentielle exceptionnelle, offrent une piste très sérieuse de diversification économique, qui peut être durable, respectueuse et dans l’air du temps avec cette volonté sociétale d’un retour aux produits naturels.

La filière se structure depuis 2018 autour du cluster Nativ’NC, regroupant une quinzaine d’adhérents. Afin de faire un état des lieux de ce qui se fait localement et des sources de développement, Nativ’NC a commandé avec l’Adécal-Technopole, une étude auprès d’Alcimed, un cabinet de conseil en innovation et développement de nouveaux marchés. Cette étude confirme, chiffres à l’appui, le fort potentiel du territoire et propose des recommandations pour faire décoller la filière.

Trésors

Actuellement, une vingtaine de ressources végétales sont valorisées, essentiellement pour les cosmétiques et l’agroalimentaire par une vingtaine d’entreprises, qui génèrent une centaine d’emplois directs et 850 millions de francs CFP annuels. La Nouvelle-Calédonie est le troisième producteur mondial d’essence de santal. La production repose principalement sur deux entreprises loyaltiennes, la distillerie Serei No Nengone et la SARL Takone. En 2019, un peu plus de 10 tonnes d’huile essentielle de santal ont été exportées principalement vers la Métropole pour une valeur de 680 millions de francs (+17,4 % en volume et +9,3 %en valeur par rapport à 2018, selon l’IEOM).

Le territoire produit par ailleurs 450 kg d’huile essentielle de niaouli en moyenne par an, avec un potentiel à deux tonnes.
Le reste de la filière concerne principalement le miel (250 millions de francs pour 50 emplois), le coprah, les huiles végétales (tamanu, bancoulier), la vanille, le sel et la plante exotique Alpinia zerumbet, qui possède de nombreuses vertus médicinales.

En matière de transformation, le territoire compte cinq entreprises de cosmétiques, deux de teinture textile et un laboratoire d’analyses extraction. Cosmécal, créé en 1989, propose des produits cosmétiques et des compléments alimentaires. L’entreprise écoule chaque année 100 000 produits sous la marque Pacifico Nature.

Rhizocal, une start-up fondée en 2015, a développé son premier biostimulant naturel à base de microorganismes du sol à destination de l’agriculture et de la revégétalisation, adapté aux conditions locales et visant à réduire l’usage d’intrants chimiques. Les essais menés actuellement sont prometteurs et les premières commercialisations sont prévues pour 2021.

Le potentiel au niveau des végétaux terrestres est immense : 4 500 extraits, élaborés localement à partir d’espèces végétales cultivées et d’espèces de la flore endémique, sont en collection. Les plantes endémiques sont peu ou pas valorisées. L’IAC dispose aussi d’une collection de plus de 200 variétés de fruitiers et 500 espèces ou hybrides de plantes environnementales démontrant une agrobiodiversité exceptionnelle.

La valorisation des organismes marins (biotechnologies marines) est aussi émergente. Elle s’articule, pour l’instant, autour des microalgues, des bactéries marines et la production de biopolymères. Au total, 350 biomolécules actives d’origine marine ont été isolées. Biotecal a réalisé des procédés de production pilote pour six biomolécules d’origine marine destinées à la cosmétique, aux probiotiques ou aux plastiques biodégradables. Le projet Amical (Ifremer, Adécal-Technopole) a isolé, de son côté, une cinquantaine de souches de microalgues dont une quinzaine font l’objet d’études approfondies.

Le territoire peut compter sur un secteur de recherche dynamique avec neuf institutions de recherche et de développement qui consacrent chaque année plus de six milliards de francs à cet effort et emploient plus de 550 personnes. Plusieurs centaines de publications scientifiques sont produites par an et une dizaine de doctorants ont créé des start-up dans les biotechnologies à l’issue de leur thèse. Selon Nativ’NC, il y a aussi un vivier de jeunes universitaires qui, potentiellement, pourront se spécialiser dans cette filière.

Structurer la filière

Dans son étude, Alcimed relève l’exceptionnelle biodiversité locale et salue un réel esprit d’entrepreneuriat. Reste que les produits naturels calédoniens ne sont pas compétitifs sur les marchés mondiaux, en raison de coûts de production importants. Selon le cabinet, la Nouvelle-Calédonie doit effectivement se positionner sur les produits à très haute valeur ajoutée, fournis en petites quantités, à destination des secteurs cosmétiques et de l’alimentation humaine. Mais elle doit proposer aux fournisseurs une assurance de qualité et de quantité de façon pérenne, ce qu’elle ne réalise actuellement que sur un tout petit nombre de produits comme le santal.

« Les industriels sont demandeurs de produits naturels, mais les volumes ne sont pas au rendez-vous, explique à ce sujet Céline Allart, du groupe Calonne, membre de Nativ’NC. Il faut donc augmenter les volumes de production et assurer une régularité dans les chaînes d’approvisionnement par exemple pour le café, la vanille, le miel. » La filière coco, tournée vers la production d’huile de coprah pour les biocarburants, pourrait aussi, par exemple, fournir des produits à plus haute valeur ajoutée tels que l’huile vierge.

De fait, selon Alcimed, il faudrait que la filière dispose d’un catalogue d’une vingtaine de produits en production stable, d’un « cadre juridique plus clair », mais également d’une marque qui soit associée à cette « haute qualité » et à des produits « uniques ».

Pour les représentants du cluster, un outil permettrait de développer un système local de certification 100 % naturel et donc de faire décoller la filière : un laboratoire d’analyses mutualisé pour les entreprises privées. « Pour justifier le prix élevé d’un produit, il faut que celui-ci possède des caractéristiques originales et reconnues comme telles. Par exemple, un arôme unique ou une activité anti- cancéreuse, explique Paul Coulerie, président de Nativ’NC et directeur de NC Bioressources. Un laboratoire permet de réaliser des analyses chimiques standard et d’établir la formulation d’un produit. Grâce à cela, un producteur peut justifier la valeur de son produit. » Un laboratoire privé offrirait du matériel d’analyse réellement adapté aux besoins du secteur, une réduction des coûts, du temps d’attente et servirait à augmenter le niveau de compétences pour ne plus dépendre de celles des autres.

Heureusement, la Nouvelle-Calédonie a été lauréate en 2019, de l’appel à projets de l’État intitulé « Territoires d’innovation ». La Caisse des dépôts va verser 1,76 milliard de francs pour quinze projets tournés vers la préservation et la valorisation de la biodiversité. Parmi eux, figure la plateforme analytique pour un montant de 25 millions de francs. « La plateforme devrait voir le jour prochainement avec deux appareils qui pourront analyser une grande gamme de produits marins et végétaux », précise Eleftherios Chalkiadakis, cogérant de Biotecal et membre de Nativ’NC. L’objectif est de la rendre autonome « dans un délai de trois ans » avec, à la clé, des certifications et un label calédonien potentiellement reconnaissable à l’international. À noter que les subventions doivent également bénéficier au développement d’une ferme de production de microalgues (comme la spiruline).

Fort de l’étude d’Alcimed, retranscrite dans une brochure à destination du public, Nativ’NC a entrepris de sensibiliser les pouvoirs publics, le monde de la recherche « pour mettre des moyens en face des volontés ». Le cluster espère aussi susciter des vocations et trouver d’autres producteurs susceptibles de se lancer dans les produits naturels, tout en se rapprochant des autres filières agricoles, de fruits et légumes, etc.

« Aujourd’hui, ce n’est plus un rêve, c’est une réalité. Il s’agit juste de faire ce que l’on a su faire par le passé tout en l’adaptant aux moyens de notre temps. Ce n’est d’ailleurs pas antinomique avec l’industrie », conclut Éric Chevrot, gérant de Pacome et vice-président de Nativ’NC. Alcimed estime qu’il faut « cinq à dix ans » pour structurer une telle filière, avec des emplois stables et une clientèle pérenne. Et selon lui, la Nouvelle-Calédonie est sur la bonne voie.

*Nature innovation & valorisation des substances naturelles en Nouvelle-Calédonie.

Source : Nativ’NC


Un boom mondial

Un produit naturel est un ingrédient obtenu sans modification par une extraction à partir du vivant. Il peut être issu du monde animal (miel, venin, gélatine…), végétal (huiles essentielles…), des champignons et micro-organismes (antibiotiques, etc.) Il s’oppose à la chimie de synthèse et connaît un regain d’attention auprès des consommateurs adeptes de labels faisant référence aux origines naturelles des produits. En raison des politiques de protection de la santé et de l’environnement, la tendance industrielle est aussi à la redécouverte des vertus de la nature et la filière des produits naturels est en pleine explosion dans le monde.

Elle inclut, en tête, le marché des compléments alimentaires (100 milliards d’euros annuels et 6 % de croissance) ; le marché des matières premières issues de plantes à parfum, aromatiques et médicinales (64 milliards de francs annuels) et le marché des cosmétiques biologiques et naturels (34,5 milliards d’euros annuels, avec une croissance de 5 % en un an). La filière concerne également les secteurs de l’agroalimentaire, les teintures et colorants (les colorants naturels représentent désormais près de la moitié des colorants utilisés par les industriels), les produits d’entretien, l’énergie, les pesticides et engrais, les matériaux…. Les biotechnologies marines représentent, de leur côté, 3,8 milliards d’euros avec une croissance annuelle de 5 %.


Une réglementation

En Nouvelle-Calédonie, les trois provinces ont à charge de gérer la protection de l’environnement et la gestion des ressources naturelles. Chacune définit, à travers son propre code de l’environnement, ses réglementations en matière de prélèvement de la biodiversité et du partage équitable des avantages qui en sont issus, en application du protocole de Nagoya entré en vigueur en 2014. Aux Loyauté, le droit à l’environnement est étroitement associé au droit coutumier. On notera aussi que les savoirs traditionnels sur les plantes sont la propriété inaliénable des clans. L’IRD a mené un immense travail de transcription des savoirs, remis à l’Agence de la culture kanak (ADCK).

C.M.

©Shutterstock/ Nativ’NC/ C.M.