« Les premiers effets du confinement pourraient se faire sentir d’ici une semaine »

En raison de la libre circulation du virus durant plusieurs semaines, notre trajectoire épidémique est impressionnante. Il faut espérer que les mesures strictes de confinement et la vaccination rapide des Calédoniens permettront de ne pas vivre une crise aussi dramatique qu’en Polynésie française. Des précisions sur les modélisations avec Morgan Mangeas, directeur de recherche en mathématiques appliquées à l’IRD, membre du comité d’experts Covid-19 NC.

 

DNC : Le démarrage de l’épidémie est-il toujours estimé à quatre semaines ?

Morgan Mangeas : Nous nous basons sur des éléments qui sont difficiles à évaluer parce qu’ils dépendent de certains aspects y compris comportementaux. Le ‘reproduction number’, c’est-à-dire le nombre de cas secondaires par rapport à un cas primaire va influer sur la dynamique de l’épidémie. La période d’incubation du virus est également importante, sachant aussi que certains ne développent pas de symptôme et ne sont pas contagieux. Mais à partir de ces éléments et de la dynamique actuelle, on a effectivement estimé que l’épidémie a débuté entre le 1er et le 15 août et que la Nouvelle-Calédonie se situait dans une dynamique de l’ordre de celle observée en Polynésie avant le confinement.

 

 On pense que l’épidémie a débuté entre le 1er et le 15 août. »

 

Que s’est-il passé avant qu’on identifie les premiers cas ?
Une personne contaminait entre quatre et six personnes en Calédonie. Nous nous sommes donc rapidement retrouvés avec 1 000 à 1 500 cas peu après le confinement et certains, évidemment, ne savaient pas qu’ils étaient porteurs du virus parce que asymptomatiques.

L’hôpital accueille donc aujourd’hui les gens qui ont été contaminés avant le confinement ?
Exact. Parce que nous sommes encore dans l’inertie de l’avant-confinement. Et un certain nombre de gens qui ont été contaminés juste avant le confinement sont en train de développer des symptômes. Dans ce contexte, l’impact du confinement, malheureusement, n’est pas encore mesurable. Il va devenir beaucoup plus significatif dans les prochains jours et devrait engendrer une décroissance du nombre de personnes contaminées.

Est-ce qu’on peut prévoir quand interviendra le pic de l’épidémie ?
Ce pic est en train d’être évalué. Il est encore trop tôt pour avoir des certitudes, mais si on essaye de s’inspirer de ce qui a été fait en Polynésie et à Wallis-et-Futuna, on devrait avoir un effet du confinement d’ici quelques jours. Sachant qu’il y a une différence importanteavec nos voisins polynésiens : la réaction a été plus rapide, malgré le fait que le premier cas ait été tardivement détecté.

Mais il faudra attendre plus longtemps pour avoir un effet sur l’hôpital…
En effet, si un pic en termes de nombre de contaminations devrait être observé prochainement, nous l’espérons, d’après les modèles les effets sur l’hôpital ne devraient être perçus que quinze jours après. Donc les effets sont attendus plutôt fin septembre, début octobre et l’hôpital va continuer malheureusement à être sous pression durant les prochains jours. Ces prévisions restent encore fragiles. Cependant, nous sommes en attente de données consolidées pour commencer à pouvoir anticiper plus précisément les tendances.

Et nous ne reviendrons pas pour autant à une situation normale ?
Si on avait réussi jusqu’à présent à contrôler l’épidémie pour finalement revenir à une situation zéro Covid, cela va être plus compliqué, voire impossible à réaliser cette fois-ci, même s’il y a toujours un espoir. Le bilan global reste, lui, difficile à évaluer parce que si on continue à avoir une circulation active, même contrôlée, il y aura de manière un peu continue toujours des malades qui vont être admis à l’hôpital et en réanimation. Encore une fois, l’objectif est d’éviter une réanimation saturée où les patients atteints, y compris de maladies sans relation avec le Covid, ont une prise en charge dégradée par rapport à une situation normale.

Vous aviez anticipé plusieurs scénarios. Quels étaient-ils ?
L’une des variables de ces scénarios était le temps de détection du premier cas. Avec un premier cas relié au sas sanitaire détecté sept jours après, comme ce qui est arrivé à la fin de l’épisode Wallis-et-Futuna, on avait une situation sous contrôle qui permettait de très vite aller chercher les cas contact et de revenir rapidement à une situation de zéro Covid. Le deuxième prévoyait une détection à 14 jours. Le troisième considérait une détection à 31 jours après introduction avec quelqu’un qui se présente à l’hôpital avec un Covid sévère. Malheureusement sur ce plan-là, c’est bien le pire scénario qui se réalise. Mais il y a d’autres éléments qui sont à prendre en considération : l’introduction d’un confinement strict et de mesures d’atténuation comme la fermeture de certains établissements, le fait d’interdire les grands rassemblements … Sur le pire scénario, on était à quatre mois de mesures très contraignantes avant d’espérer revenir à une situation zéro Covid. Mais encore une fois, on est train d’affiner les choses. Nous aurons des projections beaucoup plus réalistes dans les jours qui viennent.

Les effets du couvre-feu ont-ils été modélisés ?
Nous avions regardé les impacts du couvre- feu en Polynésie, mais j’avoue que c’est assez original d’avoir un couvre-feu et un confinement strict simultanément. Donc, nous ne disposons pas vraiment de données pour pouvoir estimer les effets de ce genre de mesures sur la dynamique épidémique.

 

 À 70 % de vaccination, on a une circulation, mais on n’est pas du tout sur des bases dangereuses pour la société en général. »

 

Les effets de la vaccination sur l’hôpital, en revanche, sont-ils clairement modélisables ?
C’est tout l’enjeu des prochaines semaines. À 50 % de taux de couverture, on commençait à percevoir des effets positifs en cas d’épidémie sur l’hôpital et à plus de 70 %, toujours une circulation, mais des effets relativement absorbables par la société. Le variant Delta étant très contagieux, il est très difficile d’arriver à l’immunité collective et d’espérer n’avoir aucun impact sur la population. À 70 %, on observe encore une circulation, des gens qui vont être hospitalisés, quelques décès, mais nous ne sommes plus du tout sur des bases dangereuses pour la société telles qu’on peut les observer en Polynésie, par exemple, avec une estimation de la surmortalité à 346 %. C’est pourquoi, il faut vraiment que les personnes qui sont dans le déni au niveau des effets de la vaccination sur les formes sévères arrêtent ces discours. Partout dans le monde, on a 80 à 90 % des gens hospitalisés qui sont non vaccinés. Ce qu’il faut maintenant analyser, vu la vitesse de vaccination actuelle et le fait qu’il faille cinq semaines pour avoir un schéma vaccinal complet et la meilleure protection, c’est combien de temps cela va prendre pour qu’un effet important sur la dynamique épidémique soit perceptible.

Ces modélisations détermineront au final les décisions ?
Les décisions vont être prises en fonction des observations et des projections, j’imagine. Le confinement nous donne ce temps nécessaire. C’est pour cela qu’il faut le respecter et laisser du temps aux autorités pour analyser et comprendre la situation. Tout le monde est conscient que le confinement a des effets délétères sur la société, notamment au niveau de l’éducation et de l’économie et du moral des personnes. Mais chaque pays possède ses propres spécificités, ses dynamiques et l’idée est vraiment de comprendre ce qu’il se passe en Calédonie et d’adapter les mesures afin qu’elles soient les plus efficaces possible.

Chloé Maingourd