Si les entretiens menés par la mission de médiation ont pu nourrir ses réflexions, les divisions du camp indépendantiste ont coupé court à tout dialogue avec un interlocuteur pourtant essentiel, le FLNKS.
Les trois hauts fonctionnaires ont rencontré, échangé, se sont même déplacés depuis leur arrivée jeudi 23 mai à Nouméa, dans l’avion du président de la République. Rémi Bastille, Éric Thiers et Frédéric Potier ont parlé politique évidemment, économie et nickel bien sûr, mais aussi société… avec au moins deux axes en tête. Dans sa déclaration faite au haut-commissariat à minuit au terme de sa visite éclair, le chef de l’État Emmanuel Macron avait en effet défini des objectifs auprès de la mission de médiation et de travail : permettre la reprise du dialogue et l’avancée des travaux pour un accord global.
Les 14 jours d’écoute n’ont pas pleinement satisfait les attentes escomptées. Sauf avis de prolongation, les représentants de l’État devaient quitter la Nouvelle-Calédonie mercredi 5 juin, dans le but de présenter un premier bilan à Paris. Un retour sur le territoire serait envisagé une semaine plus tard semble-t-il, afin de poursuivre les entretiens sur le Caillou fragilisé par les émeutes.
AVIS DIVERGENTS
« Pour discuter, il faudrait déjà que l’on puisse avoir les accès libres », soufflait mardi un élu, inscrit dans la liste des interlocuteurs. Mais la plus grosse déconvenue, à ce stade, pour le trio parisien, a trait à la fragmentation de la sensibilité indépendantiste. Le FLNKS n’a pas rencontré officiellement la mission du dialogue avant son probable départ de La Tontouta. Parce que les avis divergent. Le Palika et l’UPM préconisent l’ouverture des discussions. L’Union calédonienne souhaite tout d’abord mener une concertation en comité directeur du parti samedi 8 juin, puis au congrès du Front le 15 organisé sans doute à Poindimié. Les gens « sur le terrain » et, de fait, les titulaires du bureau politique du FLNKS, demandent eux au président de la République de garantir la non-convocation du Congrès de Versailles et ainsi l’abandon de la réforme constitutionnelle sur le dégel du corps électoral provincial, d’après un courrier de la coalition indépendantiste adressé aux membres de la mission de médiation vendredi 31 mai.
La division ne s’arrête pas là. La CCAT, placée en première ligne de la violente contestation, serait traversée de trois courants. En parallèle du mouvement historique lié à l’UC, auraient émergé une ligne plus radicale, s’appuyant sur quelques bases très militantes en Brousse, et un groupe nouméen bénéficiant par le passé d’une connexion syndicale. Ces sphères n’auraient pas de relation entre elles. Ce qui complique la construction d’un discours commun, vu toutes les strates indépendantistes.
« SORTIR DE LA NASSE »
« Nous sommes et nous serons toujours prêts à discuter avec les instances légitimes du FLNKS », a assuré Sonia Backès, cheffe de file des Loyalistes, vendredi 31 mai. « Il faut une solution politique. » Car, pour la présidente de la province Sud, ces émeutes et insurrections à Nouméa et sa périphérie sont soutenues par « une volonté de coup d’État ». Calédonie ensemble a formulé quelques jours plus tard, mardi 4 juin, une proposition déclinée en trois points « pour sortir de la nasse dans laquelle le pays s’enfonce ». Tout d’abord, et le souhait fait causer, « la procédure relative au projet de loi constitutionnelle doit être définitivement interrompue », a avancé Philippe Gomès. Le député Philippe Dunoyer avait pourtant défendu et voté la réforme à l’Assemblée nationale.
Il faut maintenant selon eux acter officiellement le terme du processus de la réforme sur le dégel, source de tant d’affrontements. De toute façon, a rappelé l’élu, la majorité requise des trois cinquièmes des suffrages des parlementaires réunis en Congrès à Versailles paraît aujourd’hui bien lointaine. Deuxième palier, « l’ordre et la paix doivent être rétablis » et, enfin, dernier étage, « le dialogue entre les partenaires de l’accord de Nouméa doit être restauré pour parvenir à un consensus sur un accord global ». Le fondateur de Calédonie ensemble s’appuie ici sur l’avis de divers responsables politiques nationaux, quelle que soit leur chapelle : d’Édouard Philippe et Lionel Jospin à Jean-Marc Ayrault et Gérard Larcher ou Yaël Braun-Pivet.
Quels chemins s’offrent au président de la République Emmanuel Macron ? Il y en a au moins trois. Réunir coûte que coûte députés et sénateurs à Versailles, avec le risque évident de voir la loi constitutionnelle rejetée. À l’inverse, annoncer le retrait du texte, le chef de l’État devant dès lors assumer sa position. Enfin, soumettre la réforme à un référendum national, au nom de la démocratie, quitte à mettre encore plus en colère la Nouvelle-Calédonie. La recherche de la solution doit surtout être guidée par la garantie d’un apaisement.
Yann Mainguet