Les poissons du lagon bientôt démasqués par leur ADN

La première évaluation de la biodiversité des sites marins, inscrits au patrimoine mondial, a été lancée l’an dernier par l’Unesco. Des échantillons d’ADN environnemental sont collectés durant tout le mois de mars sur six zones calédoniennes.

Je suis microscopique. On me trouve dans l’eau, dans l’air et dans le sol. Je suis un fragment de peau, de mucus ou une cellule. Grâce à moi, il est possible de recenser les espèces présentes dans l’environnement. Qui suis-je ? L’ADN oui, mais pas n’importe lequel : l’ADN environnemental, aussi appelé ADNe. Cette méthode « révolutionnaire » se trouve au cœur d’un projet piloté par l’Unesco. Son objectif ? Mesurer la biodiversité marine dans les sites inscrits au patrimoine mondial et les effets que le changement climatique pourrait avoir sur la distribution de la vie sous-marine. Vingt-cinq sites du monde entier participent à cette étude. La Nouvelle-Calédonie en fait partie. « Tout le mois de mars, nous allons prélever des échantillons dans chacune des six zones inscrites : les atolls d’Entrecasteaux, d’Ouvéa et de Beautemps-Beaupré, le grand lagon nord, la zone côtière nord-est, la zone côtière ouest et le grand lagon sud », explique Anaïs Morlon, adjointe du pôle marin de l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité (ex-Conservatoire d’espaces naturels).

LA MAGIE DE LA SCIENCE…
ET DE LA TECHNOLOGIE

Réaliser l’inventaire des poissons de cette façon est presque un jeu d’enfant. Tellement plus facile qu’un suivi en plongée classique. La technique consiste simplement à collecter un peu d’eau de mer et à la filtrer. « Il faut mettre des gants pour ne pas contaminer avec de l’ADN humain », préconise Laurent Vigliola, chercheur en écologie marine à l’IRD. Chaque animal laisse des traces dans son environnement. Cet ADN, recueilli à l’aide d’un filtre, va être envoyé dans un laboratoire en Belgique. À partir d’une base de références, il est possible d’identifier quelles espèces de poissons se trouvent dans l’échantillon. « Les généticiens mettent ce qu’on appelle des amorces pour cibler certains organismes », précise Laurent Vigliola.

Le projet est piloté par Laurent Vigliola de l’IRD, avec l’appui de l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité (anciennement CEN). © IRD / Karla Bussone

L’ADNe fait des miracles lorsqu’il s’agit de repérer des espèces difficilement observables. Un article issu de la thèse de Germain Boussarie, publié en 2018 dans la revue Science Advances sur les requins de récif dans le Parc de la mer de Corail, en est la preuve. « On a tenté une expérimentation pour essayer de détecter ces animaux avec de l’ADN environnemental. Avec 20 échantillons, on avait repéré des espèces qu’on n’observait pas par ailleurs. » La technique de l’ADNe a beau être utilisée depuis très longtemps, l’évolution technologique dans les laboratoires change totalement la donne. « La capacité à trouver des organismes rares, c’est la technologie qui permet de le faire », souligne Laurent Vigliola. Le scientifique voit dans ce projet mondial un premier pas dans le suivi de la biodiversité de ces endroits exceptionnels. « J’espère que cette technologie, qui est très prometteuse et qu’on utilise dans nos programmes à l’IRD, va devenir une technique de routine pour le suivi de l’environnement », confie-t-il.

« LEADER MONDIAL »

Une fois décryptés, les échantillons prélevés sur chaque site seront comparés entre eux. « Le rapport sera produit par l’Unesco en janvier 2024 », informe Anaïs Morlon. Il permettra de comprendre les tendances mondiales, de fournir des informations sur les efforts actuellement déployés pour protéger les écosystèmes marins. Et de garantir que les générations futures pourront en bénéficier. « Pour le bien calédonien, on sait qu’on est un des coins les plus riches en termes de poissons. Ça va confirmer notre statut de leader mondial », assure Anaïs Morlon. 2 200 espèces de poissons sont actuellement connues en Nouvelle-Calédonie. Laurent Vigliola en est presque certain. « On sera dans le trio de tête pour le nombre d’espèces. »

Edwige Blanchon

Photo : © IRD / Karla Bussone

Les Calédoniens impliqués

La population a été associée au projet. « C’est une vraie volonté de l’Unesco. Ça permet de développer l’esprit scientifique et de les sensibiliser à l’importance de protéger les sites inscrits au patrimoine mondial », indique Anaïs Morlon.

 

Prochaine étape : les atolls d’Entrecasteaux

Les prochains prélèvements vont s’effectuer sur les atolls d’Entrecasteaux. Lundi 6 mars, une équipe de scientifiques de l’IRD a embarqué à bord de l’Amborella pour une campagne de 10 jours dans le cadre du projet TIC TAC. Leur mission : étudier l’impact des canicules marines sur les récifs coralliens de cette zone du Parc naturel de la mer de Corail.