Les mesures sanitaires ont-elles encore un sens ?

New Caledonia, Noumea, 2021-10-09. As part of the gradual deconfinement initiated by the Government of New Caledonia during the Covid19 pandemic, food markets are reopening. The Ducos farmers market in Noumea welcomes its first visitors. Photography by Clotilde Richalet Szuch / Hans Lucas. Nouvelle Caledonie, Noumea, 2021-10-09. Dans le cadre du deconfinement progressif initie par le Gouvernement de la Nouvelle Caledonie en cette periode de pandemie de Covid19, les marches alimentaires reouvrent leurs portes. Le marche broussard de Ducos a Noumea accueille ses premiers visiteurs. Photographie par Clotilde Richalet Szuch / Hans Lucas. (Photo by Clotilde Richalet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Alors que le variant Omicron circule très largement avec une gravité bien moindre que son prédécesseur Delta mais un fort pouvoir de désorganisation, la Calédonie s’interroge : faut-il conserver la septaine à l’arrivée, la politique d’isolement, de tests, l’obligation vaccinale ? Comment préserver par ailleurs l’hôpital où des difficultés se profilent ? Le débat est ouvert.

« Il faut s’adapter à l’évolution épidémique. » C’est en substance l’appel formulé par un nombre grandissant de Calédoniens qui trouvent surdimensionnées les mesures auxquelles ils sont toujours contraints alors que l’épidémie de coronavirus a pris une tout autre tournure avec le variant Omicron, certes plus contagieux, mais beaucoup moins grave pour la santé et alors que le taux de vaccination a bien augmenté (65 % en population totale, près de 77 % sur la population vaccinable).

Même si les frontières ne sont plus totalement fermées, en tout cas aux vaccinés, que l’isolement des personnes a été assoupli par le gouvernement depuis l’ère du variant Delta, le mécanisme actuel serait pour beaucoup à revoir en raison d’un impact sociétal disproportionné, à la maison, dans les entreprises, les écoles, les cabinets médicaux, les pharmacies ou lors des voyages…

« Il faut qu’on se calme ! »

En première ligne de cette épidémie, des médecins libéraux se sont exprimés, dans une lettre ouverte signée par 36 d’entre eux, contre l’« incohérence » des protocoles de la Dass.

Ils remettent en cause la septaine et les cohortes de tests à l’arrivée, l’isolement de 7 à 10 jours des cas positifs quels que soient leurs symptômes, l’isolement des enfants de moins de 12 ans en cas de symptômes évocateurs, le dépistage itératif de tous les cas contact, etc. « En atteste l’expérience de nombreux pays touchés par ce variant : Omicron n’entraîne pas de saturation des hôpitaux et encore moins des services de réanimation », observent-ils.

Il est donc « peu pertinent », selon eux, d’arrêter autant de Calédoniens qui veulent et peuvent travailler ou de leur imposer de garder leurs enfants en bonne santé. Le docteur Jean-Marie Radiguet, signataire de la lettre, se veut rassurant. « Sur 300 personnes reçues, deux ont fait une poussée de fièvre à 39 et pas une n’est allée à l’hôpital. Ce virus ne tue aucun enfant, la fièvre chez un bébé dure au maximum 36 heures. » Selon lui, « si un travail remarquable a été réalisé jusqu’ici, il faut maintenant qu’on se calme, qu’on soit raisonnable, et qu’on arrête d’embêter les gens qui sont pleins de bon sens et font attention ».

Il évoque aussi les difficultés pratiques rencontrées par les médecins, submergés dans leurs cabinets par les demandes d’arrêt de travail plus que par les soins. « Désormais, un tiers de notre temps est consacré à l’administratif. On doit être extrêmement intrusifs sur les isolements alors que les gens vont parfaitement bien. Il y a des conséquences humaines, financières ! » Sa volonté, et celle de ses confrères signataires, est de revenir à une « médecine rationnelle ». D’ailleurs, à l’heure où la Cafat est en quasi-cessation de paiement, les médecins s’interrogent sur la capacité de la Nouvelle- Calédonie « à payer de telles mesures pour une virose devenue si peu létale ». Concrètement, ils préconisent de maintenir les gestes barrière, de s’occuper des personnes fragiles, en incitant notamment à la vaccination, et de préparer une réserve pour soutenir l’hôpital en cas de besoin (lire par ailleurs).

Les pharmaciens sont également en première ligne. S’il n’y a pas de telles demandes émanant de la profession, certaines officines ont arrêté les tests en raison de la pression populaire et des tensions sur les effectifs en raison de la maladie. « On arrive au pic, on voit le double de personnes qu’habituellement et de la confusion au sein de la population. Donc c’est compliqué », concède Christophe Delest, président du syndicat des pharmaciens installé à Rivière-Salée, où 100 à 150 tests sont encore effectués chaque jour, malgré la réouverture du centre de dépistage dans le quartier. « On maintient notre rôle en matière de santé publique, il faut bien tester les gens, mais on comprend aussi le désarroi de certaines officines. »

Entreprises désaffectées 

Peu d’entreprises échappent désormais à l’épidémie. « La situation est catastrophique, résume Mimsy Daly présidente du Medef-NC. Certaines ont 100 % de leurs effectifs arrêtés, et plus fréquemment 50 %. Beaucoup ne peuvent tout simplement pas fonctionner. » Pour l’organisation patronale, il est vraiment urgent de réévaluer la situation. « On est toujours à l’écoute des recommandations sanitaires. Mais les dernières évaluations datent d’octobre et ce qui était justifié alors avec Delta ne l’est plus forcément aujourd’hui avec Omicron », souligne-t-elle. Trois volets en particulier sont ici visés : la durée des arrêts de travail, l’isolement des personnes qui ne sont pas malades et la septaine.

Au sein des institutions, certaines voix se font également entendre pour l’évolution du protocole. Le 4 février, les vice-présidents de la province Sud Gil Brial et Philippe Blaise avaient écrit au président du gouvernement, Louis Mapou, pour réclamer un retour à un fonctionnement normal des entreprises et des écoles, l’application du pass sanitaire et le respect des gestes barrière étant jugés suffisamment efficaces. Ils préconisaient, là encore, l’isolement des malades uniquement et la suppression de la septaine (tout en gardant un test au départ et à J+2).

Tous ces sujets sont débattus au gouvernement. L’exécutif a formulé une demande de modification du décret de l’État encadrant les arrivées pour modifier les règles de la septaine. On se dirige, selon son porte-parole, vers un isolement théorique de sept jours qui pourra être levé au bout de deux jours en cas de test négatif. De quoi alléger un peu la machine.

Sur le reste, il s’agit de rester prudent, indique Yannick Slamet, qui pense, cependant à titre personnel, que « la notion de cas contact devra éventuellement disparaître ». « Le problème est que si on lâche les restrictions en plein pic on expose les plus fragiles, l’équilibre général, car les établissements de santé connaissent déjà des difficultés. » Même avec un virus moins dangereux, rien n’est décidément simple dans la prise de décision avec le coronavirus.


 

Manque de communication

Si la qualité du travail effectué sur la première vague est généralement saluée, le manque de communication du gouvernement sur la situation actuelle essuie des critiques. Des élus de l’opposition ont regretté l’absence de réunions de crise depuis deux mois et dénoncent le manque de directives claires. Des médecins s’inquiètent de voir s’appliquer une politique sanitaire « sans concertation » ou de formes de « contre-pouvoir ».

Des syndicats patronaux attendent une prise de parole officielle pour clarifier la situation. Une réunion de la direction opérationnelle s’est finalement tenue mardi. Elles reprendront à un rythme hebdomadaire. Le porte- parole du gouvernement, Yannick Slamet, explique que jusqu’à présent, le recul sur les conséquences du variant Omicron était insuffisant.


 

Le problème se situe toujours à l’hôpital

La hausse du nombre de cas inquiète le Médipôle. L’activité est en hausse de 50 % à l’entrée aux urgences et entre le manque de personnel initial, les soignants atteints du Covid et les récupérations, la tension est réelle. Une centaine de patients sont touchés par le Covid dont 70 hospitalisés pour d’autres raisons. « Mais le nombre de malades du Covid augmente avec du Delta et davantage d’Omicron sur des personnes âgées et fragiles », précise le Dr Thierry de Greslan, président du comité d’établissement. « Le problème est que nous avons dix fois moins de lits que précédemment pour le Covid pur et des gens porteurs dans les autres services. Et plus il y aura de personnes touchées par le virus au sein de la population, plus il y aura de patients nécessitant une hospitalisation. »

Mercredi, les chiffres du gouvernement faisaient état de 36 personnes hospitalisées en unité Covid-19 et deux prises en charge en réanimation. L’idée, on le rappelle, est de toujours préserver une capacité de réanimation (lits + personnel) suffisante en cas de gros accidents.

Si le taux d’occupation venait à augmenter, les autorités se réservent le droit de recourir une nouvelle fois à un couvre-feu, rendu possible par l’état d’urgence. Il permet de limiter les interactions sociales, notamment lorsqu’il y a de l’alcool, les accidents, et donc les prises en charge. Car pour l’heure, rien ne de dit que l’État pourra à nouveau mobiliser une réserve sanitaire, les soignants étant encore sur le front en Métropole. Les médecins libéraux qui se sont exprimés pour une levée de certaines mesures n’occultent pas le problème. Mais ils estiment que l’on devrait re-préparer une réserve sanitaire locale pour intervenir en cas de besoin à l’hôpital. Ces professionnels s’étaient déjà impliqués lors de la précédente vague.


 

Une majorité pour l’abrogation de l’obligation vaccinale ?

Dans le contexte actuel, faut-il concrétiser l’obligation vaccinale qui prévoit des sanctions à compter du 28 février et dont l’application dans les entreprises s’avère très compliquée ? À l’occasion de l’examen d’un texte sur ce sujet, qui devait se tenir jeudi en commission plénière au Congrès (annulé en raison de la dépression tropicale), des élus devaient déposer un amendement pour abroger cette obligation avant un passage en commission permanente. Visiblement, une majorité se serait dessinée : selon nos informations, l’UNI aurait rejoint la position de l’UC-FLNKS Nationalistes-Éveil océanien et AEC (sept membres du Rassemblement et Guy-Olivier Cuénot).

 

C.M. (© Clotilde Richalet/Hans Lucas via AFP) (© archives DNC/C.M.)