Les langues kanak ont leur JT

L’événement est historique. La jeune chaîne de télévision Caledonia a diffusé ce mardi son premier journal en langues kanak. Cette initiative unique est le fruit d’un partenariat entre la chaîne et l’Académie des langues kanak (ALK) conclu en septembre 2016 et dont l’objectif est de faire reconnaître ces langues longtemps marginalisées.

Pour la première fois de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, une chaîne de télévision a diffusé un journal entièrement en langues kanak et sous-titré en français. Une belle performance à la fois technique et linguistique, qui a demandé beaucoup de travail aux équipes de Caledonia et de l’ALK. Pour cette « émission test », quatre langues ont été proposées : le drehu, l’a’jië et le xârâcùù pour les reportages et le paicî pour la présentation. Trois chargés de mission de l’ALK ont assuré la traduction des reportages et les journalistes ont dû faire leur travail dans une autre langue (poser les voix, présenter les sujets, etc.)

Un rendez-vous dans la durée

Les réactions ont été immédiates et enthousiastes. Sur les réseaux sociaux, les téléspectateurs ont salué l’initiative. Il faut dire que si les langues kanak sont entendues ça et là sporadiquement sur nos télés et dans certaines émissions de radio, on est loin d’une présence valorisée. Et c’est tout le but de cette initiative, imaginée par Pierre-Christophe Pantz de l’ALK et mise en œuvre avec Jérémy Gandin, directeur éditorial de Caledonia, tous deux accrochés à cette « volonté de promouvoir les cultures et langues locales. » Il aura, certes, fallu du temps. La chaîne a rappelé que jusque dans les années 1980, les langues kanak ont été marginalisées jusqu’à ce que les accords de Matignon-Oudinot (1988) et celui de Nouméa (1998) améliorent considérablement la prise en compte des langues kanak dans l’enseignement et les médias. Puis conformément à l’Accord de Nouméa, l’Académie des langues kanak (ALK) a été créée en 2007, afin de « fixer les règles d’usage des langues » et de participer à leur promotion et à leur diffusion. Mais il n’existait toujours pas de journal télévisé calédonien en langues, à l’instar de ce qui se fait dans les autres collectivités d’outre-mer.

Un partenariat a été signé dès septembre 2016, puis il a fallu le temps de la mise en œuvre jusqu’à la concrétisation mardi. L’événement a été accompagné d’un débat sur la place des langues kanak et a fait office de lancement pour ce partenariat qui se veut « durable » entre l’ALK et Caledonia. L’objectif est en effet de proposer un rendez- vous régulier aux téléspectateurs. Il faudra pour cela bénéficier du soutien total des institutions locales, a souligné Weniko Ihage, le directeur de l’ALK. En tout cas, Caledonia nous prouve une nouvelle fois qu’elle prend toute la dimension de son rôle et aussi… qu’elle n’a pas froid aux yeux.

Weniko Ihage, directeur de l’ALK

« C’est une grande satisfaction d’assister à la diffusion d’un journal en langues kanak. Les journaux sont déjà exécutés en langues dans les milieux polynésiens ou créoles, mais comme vous le savez, ce sont des zones monolingues. Les choses sont différentes ici, avec la multiplicité de nos langages. Et puis il y a une histoire différente également. La Nouvelle-Calédonie est une terre de colonisation où la décision d’une prise en compte des langues kanak dans l’enseignement et les médias date des accords. Les temps sont toujours très longs et dépendent aussi des volontés politiques. Mais nous y sommes arrivés, à un an de 2018 ! 

L’idée est lancée, nous avons prouvé que nous pouvions le faire maintenant, nous avons besoin du soutien financier des institutions. J’ai vu que nous parlions de cette initiative au-delà de la Nouvelle-Calédonie et je m’en félicite aussi. J’aime cette idée d’Aimé Césaire que les langues n’existent que par les autres langues du monde« .


Un roulement au JT pour les langues

Pas moins de 28 langues kanak coexistent en Nouvelle-Calédonie, dont certaines ne sont plus parlées que par quelques centaines voire dizaines de personnes. Les quatre langues choisies par Caledonia (drehu, paicî, a’jie et xârâcùù) font partie des plus répandues avec entre 5 000 et 16 000 locuteurs, mais il est prévu qu’il y ait un roulement, notamment selon la localisation des reportages effectués.

C.M.

©Caledonia