« Les Kanak et le bagne » : le voile se lève sur un pan de l’histoire

Cette exposition, inédite, explore les liens entre les Kanak et le monde du bagne, révélant un aspect méconnu, les unions qui ont donné naissance à de nombreuses familles calédoniennes métissées. Portée par les associations Témoignage d’un passé et Marguerite, elle doit être inaugurée lundi 16 mai à Nouville et au Fort Téremba.

« L’exposition arrive au moment où il y a une volonté d’inscrire le bagne calédonien à l’Unesco. C’est une première pierre à l’édifice », introduit Manuel Cormier, directeur du Fort Téremba, qui a travaillé sur le projet avec Témoignage d’un passé. Alors qu’il est souvent synonyme « d’histoire des Blancs et de douleur », Manuel Cormier souligne, à l’inverse, que les liens sont nombreux entre le monde kanak et le bagne calédonien.

Yves Mermoud, président de l’Atup, travaille sur le sujet depuis plusieurs années. Si le cas de la police indigène, des spoliations foncières ou des condamnés kanak (115 sur les 30 000 déportés, relégués et transportés) à la suite de la révolte d’Ataï en 1878, entre autres, sont régulièrement évoqués, un pan est resté méconnu, celui des unions. « Une fois libérés, si les anciens bagnards voulaient avoir des relations avec les femmes, ils n’avaient pas vraiment le choix, les colons ne les laissant pas approcher leurs filles, ils se liaient avec des Kanak », raconte Yves Mermoud.

Certains s’installent, d’autres sont de passage

Ces liaisons, acceptées puisque les deux se trouvent en bas de l’échelle sociale, donneront naissance à des enfants, la « première vague de métissage », qui seront soit élevés à l’européenne, soit resteront à la tribu. « Parfois, certains libérés s’y installaient. D’autres n’étaient que de passage et le petit demeurait avec la mère. » C’est le cas de l’ancêtre de Clément Touyada, un ancien condamné algérien qui chargeait le minerai à Pam, où il rencontra une femme kanak. Il poursuivra sa route, mais l’enfant issu de leur union habitera avec sa mère.

« Ce dernier se mariera ensuite avec une femme d’une tribu près d’Arama. Parmi leur descendance, une fille va donner naissance à Clément Touyada qui partage son histoire en expliquant qu’il l’a découverte sur le tard », retrace Yves Mermoud. L’ascendant de Raymond Genet s’est, pour sa part, installé avec une Néo-Hébridaise après avoir débarqué à Karikaté, à Païta. « Leur fille a ensuite épousé un Koindredi et la famille a migré à Naniouni. »

« Vecteur de rapprochement entre les communautés »

Pas facile de trouver d’autres témoignages, « il n’y a pas de recherches », et le sujet reste tabou. Combien de personnes sont concernées ? « On ne sait pas, mais il y en a beaucoup. » Le début d’un processus pour libérer la parole au sein des familles. Les collecteurs de mémoire de l’ADCK doivent d’ailleurs amorcer un travail en ce sens, afin de recueillir des récits.

« C’est important, estime Yves Mermoud. Cela signifie qu’une histoire non dite peut devenir un vecteur de rapprochement entre les communautés. » Ça tombe bien, car pour le classement à l’Unesco, il faut avoir une valeur universelle exceptionnelle, et la particularité du bagne calédonien, c’est qu’il « est plus complexe et global » qu’il n’y paraît, « il touche tout le monde » et s’étend bien au-delà de l’île Nou et de Téremba, dans le Pacifique, jusqu’à l’Indochine, alors colonie française, où des prisonniers kanak sont envoyés. Ce thème fera l’objet d’une deuxième exposition sur les Indochinois et le bagne en 2023. « Il faut qu’on assume et qu’on partage cette histoire », glisse Manuel Cormier, afin de se l’approprier.

 


Soutien

Le gouvernement soutient l’exposition en la finançant (2,5 millions de francs) dans le cadre d’une volonté portée par le président, Louis Mapou, évoquée lors du discours de politique générale en novembre. « Nous voulons accompagner le processus d’appropriation historique et identitaire engagé en valorisant la contribution de toutes les communautés à l’histoire, à l’identité et à la culture, pour conforter le poteau central de la Nouvelle-Calédonie. »

Thématiques

L’exposition, constituée de 22 panneaux, se scinde en deux parties, une sur l’histoire et une autre sur l’héritage. De nombreuses thématiques sont traitées : spoliations foncières, conflits, unions, personnel kanak et administration pénitentiaire, poids du métissage, les Kanak dans l’art du bagne (pilou en mie de pain et nacre et coco gravé), transmission à l’école, etc.

Itinérance

Les deux exemplaires de l’exposition vont être présentés pendant deux semaines au Fort Téremba à Moindou et à Nouville à Nouméa à partir du lundi 16 mai, avant de partir sur la Grande Terre et les Îles en juin, pour être de retour au centre Tjibaou à l’occasion du Caledonia Festival (24 septembre). Et peut-être aller en Métropole après. Un site internet devrait également être consacré à l’exposition qui sera traduite en anglais et dans les langues des huit aires coutumières afin de la rendre accessible au plus grand nombre.

 

A.-C.P. (© collection Jacquet)