Les femmes dans le marché du travail : peut mieux faire

La société calédonienne n’est pas particulièrement progressiste. Cela se traduit par la place réservée aux femmes dans le marché du travail. Inégalités salariales et précarité sont des symptômes des discriminations de sexe qui caractérisent le marché du travail calédonien. À pas très lents, la situation progresse néanmoins. À l’occasion de la Journée de la femme, la province Sud a édité un livret rappelant quelques chiffres relatifs à la condition des femmes et le marché du travail.

Chaque année, la Journée de la femme est l’occasion d’assister à des célébrations aussi pathétiques que contreproductives. Du rose, des massages et autres soins cosmétiques ou encore du yoga pour que les femmes soient belles et se sentent bien. Le pire est peut-être que certains de ces événements sont organisés par les institutions censées promouvoir l’égalité femmes-hommes. Ils traduisent, d’une certaine manière, la vision plutôt condescendante d’une partie de la classe politique, reflet de celle d’une partie de la population. Et les Calédoniens n’ont pas le monopole en la matière. Il y a à peine une semaine, Janusz Korwin-Mikke, un député européen polonais déclarait rien de moins, au sein même du Parlement à Strasbourg, que « les femmes doivent gagner moins que les hommes. Elles sont plus faibles, plus petites et moins intelligentes. Elles doivent gagner moins, c’est tout ».

Petit retour en arrière sur la condition des femmes sur le marché du travail. C’est en 1907 que la loi permet aux femmes de disposer librement de leurs salaires. En 1946, la notion de « salaire féminin » est supprimée. Au XIXe siècle, on considérait que le salaire de la femme avait uniquement vocation à couvrir ses propres besoins et pouvait donc être amputé de 50 % par rapport à celui d’un homme. Onze ans plus tard, en 1957, le traité de Rome pose la règle du « à travail égal, salaire égal ». Ce principe est conforté par une loi qui instaure l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes, en 1972. La Nouvelle-Calédonie a également repris la loi de 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, mais force est de constater qu’elle n’est que partiellement appliquée, tout comme en métropole.

Des écarts plus importants dans le public que le privé

Sur la question des inégalités et de l’emploi, le territoire est pourtant totalement compétent. En matière de droit du travail, le transfert a été effectué et le Code du travail de la Nouvelle-Calédonie a été publié le 1er mai 2008. Deux ans plus tard, un Conseil du dialogue social était même mis en place. Les inégalités demeurent pourtant, en particulier dans le secteur public. Les élus toutes tendances confondues font preuve d’une certaine hypocrisie à défendre publiquement l’emploi au féminin et l’égalité des salaires sans que cela ne se traduise concrètement dans les faits. Il aura notamment fallu attendre la loi de 2000 pour une égalité d’accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives pour voir le nombre d’élues augmenter. Il n’en reste pas moins que certaines d’entre-elles remplissent toujours le rôle de faire-valoir pour équilibrer des listes trop masculines. Au Congrès, les femmes ne représentent que 36 % des élus. Elles sont 43 % au niveau des provinces.
Chaque année, ce sont des millions de francs qui sont engloutis pour l’organisation d’événements publics autour de la femme sans que les collectivités ne fassent en sorte que la loi sur l’égalité des salaires soit respectée. Dans le secteur public, les femmes gagnent 15 % de moins que les hommes. Dans le privé, cet écart est de 4 %. À noter que plus le niveau de diplôme augmente, plus les écarts de salaire sont importants et qu’entre 2013 et 2015, le salaire des femmes a augmenté de 2,4 % contre 4, 8 % pour les hommes. L’écart s’est donc creusé.

Des politiques publiques faibles

Ces discriminations de la part des responsables des ressources humaines et plus généralement des employeurs sont le reflet d’une structure et d’une organisation sociale où la femme est en situation de domination. Outre les écarts de salaires, les femmes se voient confier des emplois plus précaires et peu qualifiés. Les femmes sont par ailleurs plus nombreuses à rechercher un emploi. Elles représentent un peu moins de 60 % des demandeurs d’emploi alors qu’elles sont globalement plus diplômées (*) que les hommes. La situation progresse toutefois puisque le taux d’emploi des femmes a augmenté trois plus vite que celui des hommes ces cinq dernières années. Cette amélioration est principalement due à l’importante progression du secteur des services qui emploie une majorité de femmes. Et si l’on regarde dans le détail, les emplois sont une fois encore des postes peu qualifiés, précaires ou à temps partiel.

Et si le taux d’emploi des femmes progresse, on peut se demander dans quelle mesure on le doit aux politiques publiques. Le manque de répartition du travail non rémunéré comme les tâches ménagères et surtout le fait de s’occuper des enfants constituent des freins importants pour l’insertion des femmes sur le marché du travail. En dépit d’annonces sur la prise en charge partielle des frais de garde, rien n’a été fait, en dehors du renforcement de la réglementation encadrant les structures d’accueil pour les enfants, conduisant à une augmentation des frais de garde. Une crèche revient aujourd’hui à près de 80 000 enfants par mois pour un enfant. En sachant que le revenu médian dans le Grand Nouméa est de l’ordre de 155 000 francs, prendre un emploi reviendrait à travailler 39 heures par semaine pour un revenu supplémentaire de moins de 80 000 francs par mois, sans compter les frais de transport ou de restauration que le travail pourrait occasionner.

La faiblesse des politiques publiques et le poids de schémas pas toujours valorisant, entretenus par les religions et certaines femmes elles- mêmes, ne favorisent pas l’égalité d’accès des femmes au monde du travail. Une inégalité qui est une entrave au développement économique, à l’instar de toutes les autres discriminations. Le fait d’écarter une partie de la population, et donc de sa capacité de production, réduit d’autant la masse salariale disponible et le nombre de consommateurs potentiels.

M.D.

 

*De manière générale, les femmes sont plus diplômées que les hommes. Elles sont 20 % à avoir le bac, alors que seulement 12 % des hommes l’ont obtenu. Près de 10 % des femmes ont un bac+2 contre un peu plus de 7 % pour les hommes. Les femmes diplômées d’un bac+3 et bac+4 sont proportionnellement deux fois plus nombreuses que les hommes. Seul au niveau des bac+5 et plus, la proportion d’hommes est très légèrement au-dessus de celle des femmes mais les deux sont proches de 5 %.


23 %

C’est l‘écart moyen de salaire constaté entre les hommes et les femmes dans le monde. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), il faudra près de 70 ans pour résorber cet écart au rythme de progression actuel.