Les élus s’écharpent sur le prêt de l’État

L’examen du budget supplémentaire de la Nouvelle-Calédonie a mis à jour les intentions des uns et des autres, à quelques semaines du deuxième référendum. En raison de dissensions sur le prêt de l’État, Philippe Gomès, au nom de Calédonie ensemble, suivi par les indépendantistes et l’Éveil océanien, a déposé une motion préjudicielle entraînant l’ajournement de ce budget supplémentaire. Les Loyalistes accusent le député de pratiquer la politique de la terre brûlée et du chaos. Une situation préoccupante qui plonge le territoire dans l’inquiétude et l’incertitude.

Séance très agitée, jeudi dernier au Congrès. Alors que les élus s’apprêtaient à entamer l’examen du budget supplémentaire de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Gomès, au nom du groupe Calédonie ensemble, a déposé une motion préjudicielle pour contester les conditions du prêt de l’AFD accordé à la Nouvelle-Calédonie. Un prêt, d’un montant de 28,5 milliards de francs, selon lui trop coûteux et dont le remboursement fera augmenter les impôts. Cette motion a été adoptée par le groupe CE, le groupe UC-FLNKS, Nationalistes et l’Éveil océanien et l’UNI. La situation a déclenché l’ire des élus du groupe de l’Avenir en confiance qui ont quitté l’hémicycle, suivis de Thierry Santa, le président du gouvernement, ainsi que les membres Avenir en confiance de l’exécutif. Le budget supplémentaire a donc été ajourné.

Une situation préoccupante

Avec le report de ce vote, la Nouvelle- Calédonie risque de se retrouver en cessation de paiement. Les Loyalistes ont organisé dès le lendemain, vendredi, une conférence de presse. Comme l’a souligné Virginie Ruffenach, pour l’Avenir en confiance, si les budgets ne sont pas votés, les salaires des fonctionnaires de toutes les collectivités ne pourront plus être payés dès novembre. Il en va de même pour les salaires du personnel de santé. La Nouvelle-Calédonie sera dans l’impossibilité d’assurer la sécurité sanitaire liée au Covid-19, les hôtels ne pourront plus être réquisitionnés, faute de moyens, et la quatorzaine ne pourra plus être effective. Le Ruamm sera en cessation de paiement dès ce mois-ci. Les collectivités, provinces, communes et la Nouvelle- Calédonie ne seront plus en mesure d’honorer les factures des entreprises, notamment.

En agissant de la sorte Philippe Gomès, les indépendantistes et l’Éveil océanien plongent la Nouvelle-Calédonie dans une situation inquiétante. Les Loyalistes évoquent une attitude « d’irresponsabilité, de malveillance vis-à-vis des Calédoniens et des populations ». Pour eux, il ne s’agit ni plus ni moins d’une « politique dangereuse du chaos et de la terre brûlée, à moins de quatre semaines d’une consultation essentielle pour l’avenir des Calédoniens ». Sonia Backes s’est d’ailleurs adressée directement à Philippe Gomès, lors du débat sur cette motion préjudicielle : « Je m’interroge sur votre volonté réelle pour le 4 octobre prochain, si vous vouliez amener les Calédoniens à voter oui, vous ne vous y prendriez pas mieux ! »

Éléments d’appréciation nécessaires

Pour se défendre, Philippe Gomès et Calédonie ensemble ont expliqué qu’il ne s’agissait que « d’un acte démocratique ». Pour le groupe, les motions préjudicielles visent à ce que le Congrès puisse pleinement délibérer, dès lors qu’il dispose de tous les éléments nécessaires. Or, en l’espèce, « notre Congrès a considéré à une large majorité qu’il ne disposait pas des éléments d’appréciation nécessaires sur le prêt AFD pour pouvoir délibérer sereinement sur son budget supplémentaire », a précisé Philippe Gomès, avant de rajouter que cette situation n’est « ni grave, ni dangereuse, c’est un acte démocratique normal ». Un point de vue partagé par l’Éveil océanien et le camp des indépendantistes. Pierre-Chanel Tutugoro, pour le groupe UC- FLNKS, a même soutenu que « l’État français cherche à maintenir la Calédonie au sein des colonies en utilisant un outil indispensable et justifier sa présence ici. La majorité des élus du Congrès se sentent trahis, trompés, par le gouvernement et l’État français ».

Un acte politique grave

L’ajournement du budget supplémentaire de la Nouvelle-Calédonie est pour le principal visé, le président du gouvernement, une situation grave. Pour Thierry Santa, ce qui vient de se passer, est aussi une remise en cause du rôle du gouvernement. Il a souligné que ce budget avait pourtant été voté à l’unanimité des membres de l’exécutif, toutes tendances politiques confondues, et que cette motion préjudicielle était comme une « motion de censure (…) contre le gouvernement. » Par cette attitude, les groupes politiques non loyalistes signent un dénigrement de leurs propres représentants au sein de l’institution.

Au cours de ses différentes interventions, Thierry Santa a voulu rappeler que, tout comme la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française a bénéficié du même prêt de l’AFD, d’un taux de crédit identique et que l’assemblée polynésienne avait, pour sa part, adopté ces textes à l’unanimité. Et de souligner en passant que Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, en tant que députés, avaient pourtant approuvé ce texte lorsqu’il était passé au Parlement. L’autre risque majeur est que si Calédonie ensemble, l’Éveil océanien et les indépendantistes vont au bout de leur démarche, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie pourrait tomber. Le territoire se retrouverait avec un Congrès et un président indépendantiste à la tête du gouvernement, alors même que 56,4 % de la population a manifesté son appartenance à la France au premier référendum, en 2018. Une situation ubuesque qui n’a rien de démocratique.

En tout cas, et sûrement devant la grogne montante des représentations patronales sociales et syndicales, le Congrès a annoncé ce mardi que les élus seront à nouveau convoqués en séance extraordinaire la semaine prochaine. Mardi pour examiner le texte sur le prêt de l’AFD, puis mercredi et jeudi pour les textes relatifs au budget supplémentaire 2020 de la Nouvelle- Calédonie. Est-ce que les indépendantistes, l’Éveil océanien et Philippe Gomès camperont sur leurs positions ou feront-ils marche arrière ? Réponse dans quelques jours…

D.P.