Les chasseurs, bras armé de la province contre les espèces envahissantes

La province Sud vient de signer une convention cadre avec les chasseurs. Ce document fixe les grandes orientations des actions des chasseurs sur le terrain en matière de lutte contre les espèces envahissantes. Ces fléaux ont des impacts très lourds, autant du point de vue environnemental qu’économique et social.

Après avoir connu quelques tensions, les relations entre la province Sud et la Fédération des chasseurs de Nouvelle- Calédonie sont désormais au beau fixe. L’institution et la fédération ont signé une convention cadre, jeudi 9 juin, sans limitation de durée. Elle fixe les conditions des prochaines interventions de la fédération sur des actions plus précises. De l’aveu même du président de la province Sud et de Nicolas Metzdorf, le président de la commission du développement rural, ainsi que de l’Apican (*) qui finance en particulier la prime à la mâchoire, longtemps, la régulation des cerfs s’est résumée à attendre la sécheresse. Les deux hommes ont volontiers reconnu que la stratégie était un peu courte.

D’autant plus que les dégâts estimés sont loin d’être anodins. Entre les chasses, les barrières anti-cerf, les captures, la prime à la mâchoire ou encore les différentes études, la facture s’élève au bas mot à 1,8 milliard de francs selon une évaluation socio- économique réalisée en 2012. Au bas mot car cette évaluation ne prend pas en compte les impacts en matière de santé publique et notamment le coût de maladies comme la leptospirose ou encore la goutte.

Les chasseurs, au cœur de la lutte 

La population de cerfs pourrait être de près de 400 000 individus (estimation la plus haute), mais les estimations restent très incertaines. Ce qui est plus certain, c’est le poids considérable que pèse le cerf, en particulier pour le monde rural calédonien. Selon l’Apican, la viande chassée représente environ 10 % du total de la viande consommée, soit près de 2 500 tonnes chaque année. Mais force est de constater que les populations de cervidés, cochons sauvages, chèvres, chiens, chats, lapins ou encore bulbuls ne régressent pas. C’est afin de lutter plus efficacement contre ces espèces que la province Sud a souhaité passer une convention avec la fédération de la faune et de la chasse de Nouvelle-Calédonie.

Régulièrement pointé du doigt, le manque de coordination entre les provinces, en particulier Nord et Sud, est plutôt un frein à la lutte contre ces nuisibles. Recourir à la fédération offre davantage de souplesse pour la province Sud mais permet surtout de consolider un partenariat avec un acteur qui a déjà, et depuis bien longtemps, un pied dans le Nord et un autre dans le Sud. Elle est également intervenue dans les Îles face au problème des cochons sauvages.

La province vient d’ailleurs de solliciter la FFCNC pour mettre en place un partenariat plus pérenne. Cette convention-cadre qui se traduit directement par l’attribution d’une subvention de dix millions de francs à la FFCNC, viendra réglementer toutes les futures conventions des différentes interventions des chasseurs, au parc des Grandes Fougères, sur les plantations de la société d’économie mixte Sud Forêt, dans le parc de la Rivière Bleue, sur l’îlot Leprédour ou encore à Deva.Mais le travail est encore loin d’être terminé. Si les chasseurs ont désormais plus facilement accès au foncier provincial, ce n’est évidemment pas le cas des terres privées et, plus grave, du domaine public appartenant à la Nouvelle-Calédonie. Selon Philippe Michel, le président de la province Sud, ce foncier représente quasiment un million d’hectares dans la chaîne et ses contreforts. Des discussions ont été ouvertes sans qu’elles n’aient encore abouti.

Nécessité d’une politique ambitieuse et concertée

La question des moyens se pose également. Chaque année, la province Sud débourse 200 millions de francs pour financer ses différentes actions de lutte. Un chiffre qui peut paraître relativement faible surtout si l’on considère le coût annuel de 1,8 milliard francs et l’urgence écologique à sauver des forêts qui ne se régénèrent plus. Les deux autres provinces n’investissent pas davantage mais chacune tente de développer ses propres programmes, également avec le concours des chasseurs de la fédération.

La convention vient formaliser un partenariat avec les institutions qui dure depuis plus de dix ans. Dix années qui ont vu la structuration de la fédération, avec notamment la mise en place du permis de chasse et surtout de l’assurance. Si la fédération a connu une certaine érosion dans ses rangs, elle compte tout même encore plus 5 000 chasseurs, ce qui est loin d’être négligeable.

Pour les membres de l’exécutif provincial, les institutions doivent maintenant afficher une politique ambitieuse et surtout coordonnée, « au risque de se faire bouffer ». Plus concrètement ce sont toutes les tentatives de reboisement qui seront vouées à l’échec. Dans certaines zones, c’est même l’adduction en eau potable des populations qui est mise en danger. Il est temps d’agir.

(*) Agence pour la prévention et l’indemnisation des calamités agricoles ou naturelles

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Trop de viande à pourrir

Cela fait plus de dix ans que l’idée est dans l’air : permettre de commercialiser la viande de cerf chassée. Sonia Backes, alors membre du gouvernement en charge des affaires agricoles, a bien fait une tentative en 2015. Un projet de délibération avait même été couché sur le papier, selon l’élue du groupe les Républicains qui, en parallèle, avait mis un terme à la prime à la mâchoire. La tentative est morte née. Dès le départ de Sonia Backes du gouvernement, elle a été enterrée. Résultat, des tonnes de viandes continuent de pourrir dans les brousses. Une gabegie difficile à comprendre dans ce contexte de lutte contre la vie chère.

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La prime à la mâchoire

Le dispositif financé par l’Apican et géré par la Conservatoire d’espaces naturels existe depuis 2008 mais est régulièrement mis à l’index. Son principe est simple, il consiste à acheter aux chasseurs les mâchoires des animaux abattus afin de les inciter à en tuer davantage. Peu évalué et très souvent modifié, on mesure assez mal le dispositif et ses effets. Il a pourtant coûté plus de 500 millions de francs sur sept ans (montant qui comprend le financement des études), soit près de 50 millions de francs par an redistribués aux chasseurs pour quelque 14 000 cerfs abattus.

Un chiffre relativement faible si on le rapporte à la population totale dont la fourchette varie entre 250 000 et 400 000 individus. Au fil des modifications de la prime, celle-ci est toutefois plus qualitative, et donc efficace, qu’à l’origine. Depuis le mois de janvier, la prime est progressive en fonction du nombre de bêtes tuées. Plus on présente de mâchoires, plus la prime est élevée. Cette nouvelle disposition favorise les « gros » chasseurs et d’une certaine manière les grands propriétaires.

Elle avait déclenché la colère des chasseurs qui proposaient exactement le contraire, de façon à privilégier les « petits » chasseurs. Ces derniers ont finalement accepté de rediscuter de la prime l’année prochaine, après évaluation. Pour la province Sud, il est juste question de favoriser la « professionnalisation » des chasseurs. Un objectif qui se traduit également par une plus grande sélection des mâchoires. Pour les cerfs, seules celles des faons et des femelles sont désormais primées.

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Icône, le bon élève ? 

Icône est une expérimentation de lutte contre le cerf en province Nord. L’intervention fait appel à un hélicoptère et un tireur professionnel. Si aucun bilan n’a encore été présenté, il semble que ce type d’opération présente un excellent rapport coût-efficacité. Ce type de chasse implique un gros travail de reconnaissance pour définir les zones où les interventions seront les plus efficaces. Icône est mis en œuvre depuis plus de trois ans et fait appel à un tireur professionnel néo-zélandais. La province Sud s’est dite très intéressée.

M.D