[DOSSIER] Les Calédoniens contraints à la vigilance

John Trupit, directeur de la Direction des affaires économiques, et Gilles Vernier, président de l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir. (© A.-C.P.)

Le meilleur vecteur de lutte contre l’inflation, c’est l’information du consommateur, estime la Direction des affaires économiques, qui veut en faire des « consom’acteurs ».

Huile de tournesol, farine de blé, café, sucre, riz, etc. Sur la quinzaine de produits de première nécessité réglementés, la Direction des affaires économiques (DAE) n’a relevé aucune irrégularité sur les 440 contrôles réalisés depuis le 13 mai dans 274 établissements. « Le taux de conformité est de 95 %. Les 5 % restant représentaient du défaut de publicité, d’étiquetage et de facturation », détaille John Trupit, directeur de la DAE.

Leurs prix ont connu « une baisse entre décembre 2023 et juillet 2024 et, entre mai et juin, sont restés stables ». Il faut dire que c’est rarement sur ces aliments que les grandes et moyennes surfaces (GMS) se font leur marge. « Ce sont des produits d’appel sur lesquels les GMS appliquent des marges inférieures pour attirer le chaland. »

La DAE suit également l’évolution de paniers mis en place afin de soutenir le pouvoir d’achat ces dernières années, même s’ils ne sont plus en vigueur, à l’image des 60 produits à prix mini. « 45 familles d’articles sont concernées par cet accord, développe John Trupit. Une augmentation de 1 à 5 % a été observée sur 19 d’entre eux et une supérieure à 10 % pour 10. Sur 16 autres familles, une baisse de 1 à 18 % a été constatée. »

Gilles Vernier, président de l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir, considère cette hausse de l’indice des prix comme « un retour à la normale », après une faible évolution depuis le début de l’année.

LOGISTIQUE, PÉNURIE, TRANSPORT : DE MULTIPLES FACTEURS

Le directeur des affaires économiques met surtout en avant un effet mécanique. Il y a la destruction de magasins – diminuant la surface de vente – et d’industries ou leur inaccessibilité. « Saint-Vincent n’a pas fait de riz, donc du riz thaï a été importé. Mais quand il s’agit de petites quantités, ce n’est pas le même prix. Dans une grande surface, le coca fidjien a remplacé le local et il est plus cher », expose Gilles Vernier.

À cela s’ajoutent les problèmes de logistique, d’approvisionnement, les pénuries – faisant changer, par nécessité, les consommateurs d’habitudes, contraints d’aller dans un autre magasin ou d’acheter un article plus cher -, le transport, etc. Les petits commerces ont été particulièrement affectés. « Les marchands ont dû aller chercher les livraisons, payer l’essence, utiliser des barges pour le Mont-Dore Sud ou faire appel à des transporteurs. Ils ont rajouté cette dépense supplémentaire au prix de revient, ce qui a un impact direct sur les prix. »

Et puis, les agriculteurs ont éprouvé des difficultés pour écouler leurs fruits et légumes. « Certains ont été obligés de jeter leur récolte parce qu’ils n’arrivaient pas à livrer, d’autres ont parfois fait plusieurs heures de route et pris des risques pour venir à Nouméa. Alors pour essayer de faire un peu de chiffre d’affaires quand on a perdu de l’argent, c’est normal que les prix augmentent. »

Gilles Vernier pointe du doigt une « explosion » de certains articles, comme les gâteaux, le camembert, etc., et reconnaît l’existence du phénomène de reconstitution des marges. John Trupit indique « qu’il y a peut-être eu des dérives ici et là, il y a toujours des effets d’aubaine et des opportunistes de crise ».

CONCURRENCE ET BONNE INFORMATION

Pour tenter de contrer l’inflation, l’UFC-Que Choisir ne serait pas opposée, temporairement, au vu de la crise que traverse le pays, à davantage de contrôle « pour remettre un peu d’ordre ». « Dans la situation actuelle, il faut éviter que des gens s’en mettent dans la poche alors que d’autres ne peuvent pas s’acheter à manger. »

L’association insiste aussi sur la nécessité de privilégier « des contrats d’importation réguliers avec des quantités prévisibles hors quota », contre lesquels l’UFC « se bat depuis des années », afin de réduire les coûts. Mais également d’agir sur l’ensemble de la structuration des prix – aconage, déchargement, livraison, etc. -, afin de favoriser la production locale et de renforcer les moyens de la DAE. « Je suis pour qu’elle ait, comme dans l’Hexagone, un pouvoir de police », insiste Gilles Vernier.

Et, bien sûr, stimuler la concurrence entre les opérateurs. « Ils ont tout intérêt à ne pas augmenter leurs marges mais à compenser par une volumétrie plus importante en gagnant des consommateurs. Et pour les faire venir, il n’y a que la question du prix », affirme John Trupit.

Enfin, une des premières actions serait de sensibiliser et donner une bonne information aux consommateurs. C’est ce que s’emploie à faire la DAE avec le site et l’application prix.nc, en sommeil forcé depuis le mois de mai. « On plaide pour qu’ils deviennent des consom’acteurs afin de leur donner le pouvoir et faire jouer au mieux la concurrence pour tirer les prix vers le bas. »

 

PRODUITS DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ RÉGLEMENTÉS

Poulet, lait, café soluble, margarine, cacao en poudre, riz jasmin, huile de tournesol, saucisse surgelée, sucre en poudre, pâte, beurre, farine, tortillon et répulsif corporel composent la liste des PPN de marque déterminée. Le coût de la majorité de ces produits a légèrement diminué entre mai et juin (le poulet est passé de 1 168 à 1015 francs, l’huile de tournesol de 592 à 551 francs). Les autres ont suivi la tendance inverse (le lait était vendu 612 francs contre 545, la margarine 551 contre 522 et le cacao 673 contre 653).

Une réglementation plus importante des prix et des marges est souvent évoquée. Ce n’est pas une si bonne idée, selon John Triput, directeur de la DAE. « Cela peut amener à geler les salaires et les embauches, ou à provoquer un effet plateau – tout le monde colle au maximum autorisé. Afin de préserver son revenu, l’opérateur peut aussi choisir de commercialiser des produits plus chers, ce qui augmente la marge et entraîne de l’inflation. »

 

 

VERS UN CHANGEMENT DES HABITUDES ALIMENTAIRES ?
La DAE a remarqué une évolution des comportements des consommateurs depuis plusieurs années, témoigne John Trupit. « Le panier du ménage calédonien a glissé. De produits de marque (Géant, Casino), on passe à ceux de distributeurs, voire discount (Leader Price). » Cette orientation devrait se poursuivre. « En crise, le seul argument d’achat c’est le prix. Cela se verra dans la composition des paniers, avec une population qui se paupérise. On devrait aussi voir s’opérer un glissement du frais vers les conserves et les surgelés ainsi que sur le basique pâte, riz. Cela va toucher la façon de consommer. »

 

Anne-Claire Pophillat