L’emprunt qui fait tousser

Infographie: David Mollard - Données: Gouvernement NC.

Tant attendu pour assurer la survie des comptes publics, le prêt de 119,3 milliards de francs garanti par l’État suscite un bras de fer entre Bercy, le ministère des Finances à Paris, et les autorités calédoniennes.

Bouée de secours pour les uns, fardeau pour les autres, le « grand emprunt » discuté avec l’Agence française de développement (AFD) figurait dans la liste des principaux reproches formulés par le parti Calédonie ensemble à l’égard du gouvernement Mapou à l’heure de sa chute, en fin d’année passée.

Ce prêt de 119,3 milliards de francs garanti par l’État est au centre du débat sur le budget primitif 2025 de la Nouvelle-Calédonie, vendredi 28 mars au Congrès.
Les échanges se poursuivaient, il y a peu encore, sur ce dossier entre les instances parisiennes et l’exécutif calédonien, avec une certaine confidentialité. Le nœud de l’affaire repose dans les conditions d’accès à cette somme significative. Un montant aujourd’hui prévu sur trois ans ‒ 2025, 2026 et 2027. Dans le projet de loi de finances 2025, définitivement adopté mercredi 5 février à l’Assemblée nationale, puis le lendemain au Sénat, il n’était pas fait mention de cet étalement triennal. D’où un réel agacement en Nouvelle-Calédonie. L’État toutefois n’en démord pas.

Signé par les représentants des institutions et les élus des groupes politiques du Congrès vendredi 14 mars, un courrier adressé au ministre d’État des Outre-mer, Manuel Valls, que le journal DNC a pu consulter, a intégré « des demandes fortes de corrections de certaines conditions qui nous sont imposées ». Un rappel est tout d’abord souligné : que « ce concours financier puisse être transformé en subvention ».

Deux points majeurs sont avancés dans la lettre. Primo, les politiques calédoniens ont demandé un décaissement concentré sur l’année 2025 et « fondé sur une assiette fiscale minimale » du budget de répartition de 101,8 milliards de francs. Une mesure capitale afin notamment d’assurer « la viabilité de nos collectivités ». Secundo, face au poids des charges financières de l’emprunt sur la période 2025- 2027 ‒ environ 113 millions d’euros ‒ jugé « insoutenable », les élus ont sollicité « une prise en charge par l’État des intérêts intercalaires de ce prêt durant les trois années ».

DE NOUVELLES CONDITIONS, UN PROBLÈME

Il y a eu arbitrage. Si les services financiers de Bercy et de l’AFD ont accepté de mobiliser une somme plus élevée cette année, des intérêts ‒ pour 3 milliards de francs tout de même ‒ devront être payés tout de suite. Cette position stricte de Paris est peut-être la réponse au vote d’une réforme de la TGC sensiblement déconstruite, au Congrès mi-janvier. L’État voyait, à travers le projet de loi du pays initial, une condition du soutien financier.
D’après le gouvernement, 94,6 milliards ‒ de cet emprunt global de 119,3 milliards ‒ seront utilisés sur l’exercice 2025. Et donc, soustraction faite, 24,7 milliards devront couvrir les années 2026 et 2027. Bien maigre.

Débloquée en cette fin mars dès le vote du budget primitif, la première tranche du prêt sera essentiellement dirigée vers le remboursement des avances de trésorerie établies à 46,6 milliards de francs. La seconde part attendue en juillet risque elle, d’après des échos, d’être adossée à une convention encourageant l’adoption de réformes voulues efficaces.

« La conditionnalité est de nouveau un problème », souffle un élu. Ce chapitre sera très certainement abordé avec le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, lors de sa visite débutée samedi 29 mars. Un autre élément chiffonne : le taux d’intérêt de 4,75 % pratiqué, « un taux de droit commun », a observé jeudi 20 mars Thierry Santa, membre du gouvernement en charge du budget et des finances, qui espérait toujours un assouplissement.

Ce ratio serait nettement supérieur à celui apposé sur les avances remboursables accordées par France Trésor et la Banque des territoires en 2024. Ce qui a provoqué une incompréhension parmi la classe politique calédonienne. Le marché serait ainsi, mais tout de même, à l’heure où la Nouvelle-Calédonie ne se remet pas d’une chute de 20 % de son produit intérieur brut (PIB) l’an dernier. Ce taux de 4,75 % correspond presque au tarif d’un prêt bancaire.
Alcide Ponga, président du gouvernement, doit désormais être habilité par les élus du Congrès à signer le prêt de 119,3 milliards de francs. Le sera-t-il ?

Yann Mainguet