L’économie sociale et solidaire, remède ancien aux inégalités actuelles

L’ESS a fait l’objet d’une vaste étude de l’AFD en 2021, puis d’une proposition de loi des Loyalistes au mois de septembre. Une semaine de sensibilisation y était consacrée du 14 au 18 novembre. Si ce concept antique a le vent en poupe, c’est que ses valeurs sont de possibles réponses aux problèmes socio-économiques d’aujourd’hui, ici comme ailleurs.

« L’HOMME PLUTÔT QUE LE PROFIT »

L’Agence française de développement (AFD) a publié en novembre 2021 une vaste étude sur l’économie sociale et solidaire en Nouvelle- Calédonie. L’ESS y est définie comme un « nouveau mode d’entreprendre plaçant l’homme plutôt que le profit au centre de son fonctionnement ».

5 600 SALARIÉS, DES FEMMES ET DE LA PRÉCARITÉ

Le « cœur traditionnel » de l’ESS – associations (94 %), coopératives, mutuelles et fondations – était constitué en 2019 de près de 14 000 entités, soit 23 % environ des sociétés enregistrées au Ridet, et 5 600 personnes, soit 8,2 % des salariés du privé.

La « qualité de l’emploi » y est « moindre » que dans le reste de l’économie calédonienne : seuls 47 % des emplois de l’ESS sont des postes à temps plein, contre 78 % tous secteurs confondus. Les femmes sont les premières concernées : elles représentent 69 % des effectifs de l’ESS (46 % tous secteurs confondus).

UNE « OPPORTUNITÉ » POUR LE TERRITOIRE

Ancien, le concept attire l’attention depuis « une quinzaine d’années » dans plusieurs pays, dont la France : il promet une économie « plus inclusive et durable » et un « fort potentiel de création d’emplois ». Pour l’AFD, l’ESS est « une opportunité à explorer » pour répondre aux défis actuels de la Nouvelle- Calédonie : « écarts de richesse, population jeune et difficultés d’insertion, recherche de relais de croissance dans un contexte post-nickel, crise des finances publiques ».

L’économiste Laïsa Ro’i livre une analyse similaire. « Les métiers de l’ESS amortissent des chocs sociaux et environnementaux. Si l’on prend aujourd’hui la mesure de ces missions remplies dans un but non capitaliste, c’est sûrement parce qu’on est au pied du mur. »

Il s’agirait ainsi de créer la solidarité là où elle n’existe pas ou plus. « Dans les sociétés océaniennes traditionnelles, pas de crèche ni de maison de retraite. Tout le monde vit ensemble, chacun s’occupe des plus vulnérables. Ce que l’on nomme aujourd’hui ESS, finalement, est un retour aux sources, à nos racines. »

LES LOYALISTES VEULENT UNE LOI

Dans l’objectif d’une « relance économique » par l’accroissement « du nombre des actifs », Naïa Wateou a déposé le 23 septembre une proposition de loi visant à instaurer une définition calédonienne de l’ESS. Le texte comporte des similitudes avec celui adopté au niveau national en 2014, mais tient compte des particularités locales : il est notamment question d’un intérêt particulier pour les terres coutumières et pour l’emploi des femmes, et d’une inclusion des GDPL (groupements de droit particulier locaux).

Au-delà de la définition, le texte laisse aux trois provinces le soin de développer l’ESS sur leur territoire, notamment en délivrant des agréments aux entités concernées, et en dirigeant la dépense publique.

Parmi les activités éligibles : soutien aux personnes en situation de fragilité économique, sociale et médicale, éducation à la citoyenneté, etc. Parmi ces thèmes classiques figurent également le développement durable, les transitions énergétique et alimentaire, des secteurs où les entreprises sont nombreuses et seraient donc également éligibles.

EN PLUS DU CADRE, IL FAUDRA DES MOYENS

La mise en lumière et la clarification promises par la loi seront bienvenues, apprécie Mathieu François, directeur de l’Association calédonienne des handicapés. « On pourra se positionner. Mais si c’est juste un cadre, ça ne suffira pas. Si ça permet de mettre en place des moyens, des formations, ce sera très utile. »

Car l’ACH, 90 salariés à plein temps, gestionnaire du foyer Paul-Reznik et du Centre d’accueil pour les jeunes enfants, connaît des difficultés communes au secteur associatif, en ces temps de raréfaction des ressources publiques. « On a appris à fonctionner au maximum par nous-mêmes. La pérennité, on se l’est construite. » « S’il y a des inégalités, il y a de la richesse », énonce Laïsa Ro’i. Pour financer les activités relevant de l’ESS, sorte de délégations de service public, « on pourrait imaginer que dans le cadre de la responsabilité sociétale et environnementale des grandes entreprises, un pourcentage des profits soit reversé ».

Gilles Caprais

Photo : La direction de l’ACH voit d’un bon œil l’encadrement de l’ESS, mais estime qu’il faudra réfléchir aux moyens consacrés. / © ACH, Mylène Godard