Le World Mosquito Program consulte les Nouméens avant les lâchers de moustiques

Le déploiement du World Mosquito Program (WMP) avance à Nouméa. Après une phase de préparation de plusieurs mois et avant les lâchers de moustiques porteurs de la bactérie Wolbachiaau mois de juillet, le projet passe à la vitesse supérieure avec une grande campagne d’information et un sondage pour recueillir l’avis des Nouméens.

Nouméa serait-elle en train de vivre sa dernière épidémie de dengue ? On en rêve alors que le pays déplore une deuxième victime cette semaine, une fillette de huit ans originaire de Pouébo et que 3 667 cas ont été recensés depuis le début de l’année dont une majorité (1 090) dans la capitale. Certes, le projet ne concerne que Nouméa, mais il pourrait néanmoins constituer une première étape et motiver, s’il fonctionne, un déploiement plus global dans les autres communes du territoire.

En attendant, le World Mosquito Program ne ménage pas ses efforts pour concrétiser son opération. L’accord pour le lancement de ce programme innovant que l’on doit à la Monash University, à Melbourne, avait été signé en mars 2018 avec la Direction des affaires sanitaires et sociales (Dass-NC), l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie et la ville de Nouméa. Une équipe de spécialistes a été constituée et est à pied d’œuvre depuis juin 2018 pour construire le projet scientifique, nouer des partenariats et se faire connaître auprès des populations.

Pour ou contre ?

Le travail préparatoire en laboratoire et sur le terrain, on le verra, est abouti. L’espoir que le projet fonctionne comme partout ailleurs est tout à fait réel, mais avant de concrétiser les choses, il est essentiel pour le WMP de savoir si la population est bien au fait de ce qu’il implique et surtout, si elle soutient le programme. Certains Nouméens ne connaissent pas encore le projet, d’autres ont des interrogations voire certaines appréhensions sur les lâchers de moustiques… et leur approbation est vraiment un élément « essentiel » pour que le programme puisse se mettre en place, souligne Magali Dinh, responsable communication et engagement communautaire au WMP.

Avant de passer aux choses sérieuses, le WMP a donc souhaité obtenir concrètement l’aval des populations concernées. L’institut Quid Novi a été missionné pour réaliser un sondage sur le sujet. Il a commencé la semaine dernière et se poursuivra durant un mois, jusqu’à la mi-juin. 1 080 foyers seront interrogés. Différents âges, ethnies, quartiers sont ciblés. Les questions doivent permettre de voir quelle connaissance ils ont du programme et s’ils y sont favorables. Un autre sondage doit être mis en ligne prochainement sur la page Facebook du WMP.

En parallèle, une nouvelle campagne de communication est lancée pour permettre d’informer le plus grand nombre de personnes. Toujours sur ce slogan « Je ne suis pas dengue », elle insiste sur la protection des familles, qui est tout l’enjeu du projet. Elle sera déployée à la télévision, au cinéma et sur les réseaux sociaux. Une première campagne menée sur le terrain (Jeudi du centre-ville, Dimanche en modes doux, marché) et dans les médias avait déjà permis de préparer le terrain avec des « résultats encourageants ». Les nombreux partenaires du WMP (EEC, OPT, CCI, mutuelles, Cafat, CHT) sont de bons relais. Il s’agit aussi de toucher les plus jeunes via l’Ecole de gestion et de commerce, l’école d’infirmières et l’accent doit encore être mis dans les écoles, les collèges, les lycées. Un groupe de référence communautaire a par ailleurs été constitué au début de l’aventure. Une dizaine de personnes, des bénévoles, accompagnent le projet, donnent leur avis, des conseils, ce qui permet, par exemple, parfois de réajuster certains messages. Ils sont aussi d’excellents relais dans les communautés.

Sur la base des résultats des sondages, un rapport sera rendu fin juin au comité de pilotage réunissant les différents partenaires et celui-ci aura la responsabilité de juger si les conditions sont réunies pour engager l’opération ou s’il faut repartir sur une phase d’information.

Outils de mesure

Sur le plan scientifique maintenant, 230 pièges à moustiques ont déjà été installés chez des particuliers volontaires. Ils ont permis d’évaluer les quantités de moustiques – en particulier des Aedes aegypti – dans les différentes zones et permettront, une fois l’opération lancée, de suivre l’évolution de la bactérie Wolbachiadans les populations de moustiques au fil des semaines. Une cartographie des zones et des points de lâchers a été constituée.

Si tout se passe bien, des moustiques porteurs de Wolbachia seront lâchés une fois par semaine durant six mois sur 3 300 points couvrant tous les quartiers de la commune. Pendant ce temps, les équipes du WMP continueront de suivre l’évolution de la population de moustiques porteuse de Wolbachia pour s’assurer qu’elle est bien établie et fera également un suivi épidémiologique, il s’agira en clair d’observer une diminution ou non des cas de dengue dans la ville. La période de six mois est « assez longue, mais elle nous permet de nous assurer que l’ensemble de la commune aura bien été couverte », précise Magali Dinh. En Australie, pays de référence, dix semaines ont été suffisantes pour que les moustiques porteurs de Wolbachia, et donc incapables de transmettre la dengue, prennent le dessus. En Nouvelle Calédonie, l’équipe s’est laissé une marge plus importante en prévoyant d’éventuelles perturbations météorologiques en saison chaude, notamment des pluies qui pourraient déranger les lâchers. L’opération pourrait également être suspendue quelques jours sur certains points en cas d’épidémie pour laisser la place à d’éventuels épandages.

Au final, insiste Magali Dinh, la priorité reste la protection des populations et ces méthodes peuvent très bien fonctionner côte à côte. Il s’agit également de rappeler un autre message essentiel : en aucun cas, les Nouméens ne doivent changer leurs habitudes en raison de ce programme. Il sera en effet impossible de faire la différence entre les moustiques vecteurs de dengue ou non, et tous continueront de piquer !


Rappel du procédé

Le WMP entend réduire les épidémies de dengue à Nouméa en transmettant aux moustiques la bactérie Wolbachia qui les rendra incapables, ainsi que leur progéniture, de transmettre le virus. Wolbachia est une bactérie symbiotique présente à l’état naturel chez 60 % des insectes à travers le monde – mais pas chez le moustique Aedes aegypti – et qui a la particularité de bloquer la réplication des arboviroses dans le corps de l’insecte et, par conséquent, la capacité de transmettre les virus à l’homme. L’idée est d’introduire la bactérie dans des populations de moustiques, puis d’effectuer des lâchers dans l’environnement. Par le biais de la reproduction, ces moustiques porteurs de Wolbachia remplacent en quelques mois les populations de moustiques sauvages.


Le WMP dans le monde

La stratégie du World Mosquito Program a été pour la première fois déployée en Australie en 2011 pour protéger la population des épidémies de dengue, Zika et chikungunya. Dix ans de recherche en laboratoire avaient été nécessaires pour que les scientifiques de l’université de Monash, à Melbourne, développent cette méthode innovante et la mettent en œuvre en situation réelle.

Elle a été testée en 2011 en zone rurale et le premier essai urbain a débuté en 2014 à Townsville, dans le Queensland. Depuis, la bactérie Wolbachia se maintient à des taux élevés dans les populations locales d’Aedes et surtout, aucune transmission locale de la dengue n’a été observée dans les zones où les insectes ont été lâchés.

Le programme a été depuis mis en place dans dix autres pays concernés par les épidémies (Brésil, Colombie, Indonésie, Vietnam, Fidji, Vanuatu, Kiribati…). La Nouvelle-Calédonie est le 11e territoire à prendre part à ce projet soutenu par l’Organisation mondiale de la santé et des fondations d’importance comme la Fondation Bill et Melinda Gates. Des études scientifiques viennent de confirmer que Wolbachia est aussi efficace contre la fièvre jaune.


Partenariat

À Nouméa, le World Mosquito Program représente un budget d’environ 230 millions de francs sur deux ans et répartis entre les quatre partenaires : la ville de Nouméa, le gouvernement, l’Institut Pasteur et l’Université de Monash en Australie. Pour rappel, le coût estimé d’une épidémie de dengue est de 1,6 milliard de francs. (source : Dass-NC 2014) Les partenaires apportent des moyens financiers, matériels ou humains. L’équipe dédiée est composée d’une vingtaine de personnes dont six agents de terrain en cours de recrutement.


Un deuxième décès à déplorer

Une fillette de huit ans résidant à Balade, sur la commune de Pouébo, est décédée des suites de la dengue, lundi, au Médipôle de Koutio. Cette petite fille, qui avait des antécédents pathologiques, présentait des signes cliniques depuis une quinzaine de jours. Elle a d’abord été hospitalisée au CHN de Koumac avant d’être transférée au Médipôle, samedi soir. Son état de santé s’est aggravé dimanche et elle est décédée le lendemain. Il s’agit de la deuxième victime depuis le début de l’épidémie de dengue, déclarée fin décembre 2018. La première était une femme de 43 ans, décédée en mars.

C.M.

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