Le territoire presque à l’arrêt

Mercredi dernier, 18 mars, la Nouvelle-Calédonie prenait connaissance de ses deux premiers cas de coronavirus avérés. Sept jours plus tard, le 25 mars, quatorze cas au total ont été recensés et la circulation locale du virus vérifiée. En une semaine, les autorités ont pris des mesures inédites pour éviter sa propagation. Retour sur une course contre la montre.

La Nouvelle-Calédonie savait qu’elle n’échapperait pas au choc pandémique du Covid-19. Comme tous les pays de la planète. Et en l’occurrence de par ses relations étroites avec la France, ses connexions avec le Japon, l’Australie… où le virus gagnait du terrain. Les autorités se préparaient donc déjà à son apparition : les outils de gestion sanitaire s’affinaient entre la Dass et le Médipôle, les contrôles se renforçaient progressivement aux entrées aériennes et maritimes. La caméra thermique fut instaurée, en renfort du suivi sanitaire et du contrôle de fiches, le 6 mars, à Tontouta, avec l’entrée de la Métropole et du Japon en zone à risque. L’opinion publique, avec toujours un temps d’avance et une inquiétude grandissante, jugeait les mesures insuffisantes, tout comme une partie de la classe politique et coutumière.

L’escalade

Le mardi 17 mars, l’isolement à domicile de tous les passagers sans symptômes venant de l’international est finalement entré en vigueur. (Les passagers avec des symptômes étaient déjà destinés au Médipôle et les personnes contact au Cise de Koutio). Ce même jour, l’arrivée des navires de croisière a été suspendue, les déplacements extérieurs déconseillés et les voyages scolaires à l’étranger interdits. Là encore, l’opinion tançait, assurée que des personnes feraient voyager ce virus jusque chez nous.

Elle avait raison : le mercredi 18 mars, après maintes rumeurs démenties, les autorités ont annoncé nos premiers cas de coronavirus sur deux personnes en provenance de Sydney. Le lendemain, 19 mars, Thierry Santa et Laurent Prévost tenaient leur première conférence de presse commune. Ils annonçaient la mise en quarantaine stricte d’un millier de passagers dans les hôtels réquisitionnés. Un dispositif mobilisant des moyens colossaux et qui s’avérera finalement rapidement intenable (lire plus bas). Mais il était destiné à s’assurer du respect des règles de confinement qui, assurément, ne l’étaient pas par tous, à domicile.

Le président du gouvernement et le représentant de l’État ont aussi annoncé, ce jour-là, l’interdiction des rassemblements de plus de 20 personnes, l’annulation de toutes les manifestations publiques, la fermeture des lieux de loisirs, la suspension des rotations aériennes et maritimes vers les îles, la fermeture, le soir même, des établissements scolaires, suivis, le lendemain, des crèches et des internats.

Ils ont décrété, par ailleurs, la fermeture des liaisons internationales pour le mardi suivant, le 24 mars. Elles ont finalement, contre toute attente, et peut-être compte tenu des difficultés matérielles d’accueil et de la pression générale, fermé le lendemain, vendredi 20 mars, à minuit, suscitant la satisfaction, mais aussi un vent de panique pour les résidents à l’étranger.

Le dimanche 22 mars, la pression est encore montée d’un cran avec deux nouveaux cas positifs et, surtout, le premier cas non-importé ou « autochtone », preuve de la circulation du virus sur le territoire, ce que les médecins soupçonnaient depuis un moment.

Le confinement, demandé instamment par la population, les coutumiers, la présidente de la province Sud et autres représentants politiques et même les organisations patronales, n’a plus fait de doute. Il a été annoncé le dimanche pour une entrée en vigueur le lundi soir. Les commerces non essentiels allaient fermer. Le télétravail serait privilégié. Sonia Backes a demandé aux Calédoniens qui le pouvaient de ne pas attendre un jour de plus. Lundi 23 mars, les supermarchés, les routes étaient bondées, histoire de faire le plein, mais les entreprises ont pu se préparer. Une journée d’angoisse qui marquera sans aucun doute beaucoup d’entre nous.

À la maison ou presque

Mais il y a aussi une bonne nouvelle et une preuve que les Calédoniens prennent la situation très au sérieux : le confinement a été respecté dès son entrée en vigueur. Et il continue de l’être sur l’ensemble du territoire. L’État a salué le civisme général.

Son cadre s’est aussi affiné au fil des jours, notamment par l’application sur le territoire de l’urgence sanitaire nationale. Les attestations, identiques à celles utilisées en Métropole, ont été mises en ligne la veille et un numéro d’information a été mis en place au haut-commissariat (26 63 26). Les mairies se sont constituées en relais pour mettre à disposition des exemplaires. Les attestations peuvent aussi être recopiées sur papier libre.

On sait désormais que l’on doit rester à la maison, télétravailler quand c’est possible, travailler quand c’est indispensable. La plupart des Calédoniens ne peuvent sortir que pour des raisons de santé, pour porter assistance à des proches, faire des courses, se dégourdir les jambes ou sortir les chiens dans un périmètre restreint, une fois par jour. Les balades à vélo ont été interdites de même que la navigation, les mouillages aux abords des îles et îlots, les loisirs nautiques, la pêche, la baignade.

3 500 contrôles ont été effectués sur la journée de mardi. Si les forces de l’ordre ont fait de la pédagogie, à compter de ce jeudi, elles verbalisent. Les contrevenants risquent 89 000 francs d’amende, puis 179 000 francs pour deuxième infraction dans les 15 jours et jusqu’à 447 000 francs pour une troisième dans le mois. Les personnes pourront aussi être poursuivies pour « mise en danger de la vie d’autrui », un motif passible d’un an de prison.

Le confinement a aussi impliqué l’établissement d’une liste très attendue des secteurs habilités à opérer. Celle-ci a été diffusée lundi, quelques heures avant le confinement. Il a fallu juger ce qui était essentiel pour nourrir, soigner, faire fonctionner la Calédonie a minima. Tout en demandant aux instances et entreprises de garantir la sécurité des salariés et des clients, notamment par les mesures de distanciation et les gestes barrières. La liste a été jugée trop large par beaucoup avec des questions notamment sur la nécessité de faire fonctionner certains commerces, le BTP sur des chantiers non essentiels.  Et des interrogations également sur l’applicabilité des mesures de protection. Certains n’ont pas attendu l’arrêté de l’État. Des entreprises et lieux qui pouvaient rester ouverts ont fermé. Nouméa a, par exemple, fermé son marché (la Métropole a longtemps attendu à ce sujet). D’autres ont bataillé pour rester ouverts.

Instauré depuis la fermeture des écoles, l’accueil des enfants âgés de 3 à 16 ans dans les professions prioritaires s’est aussi organisé, la liste des personnes concernées a été étendue. Elle concerne les professionnels médico-sociaux, mais aussi de secours, de gestion de crise, les forces de l’ordre, pénitentiaires… En province Sud, environ 1 000 enfants sont concernés. Ceux du 1er degré sont accueillis dans des écoles de Nouméa et du Grand Nouméa. Les élèves du second degré sont accueillis dans des collèges et lycées. Les enfants de 0 à 3 ans sont accueillis dans une quinzaine de crèches. En province Nord, un service d’accueil est centralisé sur Koné pour les enfants du primaire et du secondaire sans service de crèche.

Une idée dans une semaine

Depuis, chacun donc sait ce qu’il doit faire. Et comme l’ont répété Thierry Santa et Laurent Prévost, « il n’aura jamais été aussi simple de s’engager pour les autres », « de contribuer à sauver des vies ». Un effort de communication important est fait par les autorités qu’elles soient territoriales, nationales, provinciales, communales et coutumières pour ressasser chaque jour et sur tous supports, les règles à respecter et gestes barrières à appliquer au quotidien.

La guerre continue d’être menée par les autorités sanitaires, les médecins. Le travail est rendu plus compliqué avec l’épidémie de grippe qui sévit actuellement, compte tenu du fait de la similarité des symptômes. Un élargissement des tests a été annoncé. Et la Dass continue de retracer le parcours des personnes diagnostiquées. Nous aurons une idée plus précise de l’importance de la propagation du virus d’ici une semaine, soit quinze jours après l’annonce des premiers cas. Et nous verrons progressivement si le confinement a été pris à temps, si les quarantaines ont été suffisantes et si la stratégie sur le maintien de l’activité d’un nombre non négligeable d’entreprises n’était pas une erreur. Nous verrons si le virus s’est propagé dans les familles, au travail.

La Nouvelle-Calédonie fait face à une menace réelle avec un manque criant de moyens de protection qu’elle aurait dû être en mesure de préparer, en premier lieu pour les personnes exposées (personnel médical, forces de l’ordre, employés de supermarché, etc.), et des populations à risque sur le plan sanitaire. Mais le territoire a aussi la chance d’avoir une structure hospitalière digne de ce nom et, espérons-le, un soutien financier qui permettra à terme d’éviter le scénario du pire. Mais ne nous leurrons pas, la vie ne sera certainement plus la même.


Le casse-tête des quatorzaines et des bloqués

Mercredi soir 1 758 personnes sans symptômes étaient isolées : environ 900 dans les hôtels et le reste à domicile. 24 personnes contact, et donc davantage à risque, étaient placées en quatorzaine au Cise de Koutio. Les quatorze personnes porteuses Covid-19 étaient au Médipôle dans un état stable. Plus de 200 personnes ont déjà quitté les hôtels et les sorties vont se poursuivre toute la semaine. Sont uniquement concernées celles qui peuvent être dans un isolement total chez elles, seules et sans symptômes. Des contrôles sont assurés par les forces de l’ordre. Elles ne peuvent absolument pas sortir, risquent 90 000 francs d’amende et peuvent aussi être poursuivies. Une cellule d’information sur la quatorzaine a été créée. Elle est joignable au 26 63 26, tous les jours.

On a bien compris qu’il n’était évident pour les autorités de gérer le retour des résidents sur le territoire en pleine pandémie mondiale. Même si la plupart des personnes que nous avons contactées ont salué le travail des autorités et le déroulement de leur prise en charge, cette situation a forcément entraîné des incohérences. On a placé des personnes qui ne se connaissaient pas ensemble dans des chambres d’hôtel (sans symptômes, donc espérons sans risques), des gens en isolement dans des hôtels ont finalement été sommés de partir s’isoler à la maison et à l’inverse, on a rappelé des gens qui étaient rentrés avant la décision sur l’isolement des voyageurs, pour qu’ils se confinent finalement à la maison…

C’est cette situation «intenable», selon les mots du président gouvernement, Thierry Santa, et les premiers cas importés, qui ont conduit à la fermeture de l’aérien sauf pour les urgences ultimes (personnel médical, urgences humanitaires). Toutes celles et ceux qui ont un logement ou de la famille sur place et dont la situation n’est pas prioritaire ont été invités à rester à l’endroit où ils trouvent. Des personnes, on les estime à un millier, se retrouvent donc aujourd’hui bloquées en métropole et à l’étranger. Celles qui ont un logement et sont en sécurité sont invitées à ne pas rentrer. Un plan de rapatriement est en cours. Une plateforme téléphonique a été mise en place localement (05 05 05) et joignable depuis l’étranger au +687 207 714. La province Sud a annoncé une aide exceptionnelle et forfaitaire de 50 000 F aux ressortissants bloqués en situation de grande précarité dans les aéroports.

Tous les Calédoniens seront rapatriés dès que les conditions de sécurité sanitaire seront réunies. La question n’est plus aux règlements de compte, mais on peut néanmoins constater que le choix des personnes simplement parties en vacances et qui avaient l’opportunité de reporter leur départ coûte cher en termes de mobilisation…


Fermeté 

On peut se féliciter de l’attitude ferme de personnalités politiques et de coutumiers impliqués dans le dispositif qui ont appelé rapidement dans cette crise à la plus grande fermeté en Nouvelle-Calédonie. Pour la plupart, dans le respect et l’unité. En tout cas, publiquement. Elles ont raison : l’expérience vécue ailleurs montre que la « guerre » contre ce virus se gagne avec des mesures rapides et radicales. Et les autorités en charge ont réagit de manière relativement rapide depuis l’annonce des premiers cas. Elles n’excluent pas d’ailleurs de continuer à renforcer les dispositifs.

Paul Néaoutyine, le président de la province Nord, a estimé que l’heure n’était pas aux polémiques et il a demandé aux citoyens d’être à la hauteur de ce qu’on leur demande. Tout en comprenant l’inquiétude, il a demandé aux populations de ne pas entreprendre d’actions inconsidérées ou irréfléchies, contre-productives. « C’est dans les épreuves difficiles que se révèle la grandeur d’un peuple », a-t-il déclaré.

L’Union calédonienne a exprimé une position plus offensive par la voix de son président, Daniel Goa. Tout en qualifiant d’erreur le maintien des dessertes aériennes en provenance de la France (son membre du gouvernement n’est- il pas en charge des transports ?) celui-ci trouve scandaleux que nos ressortissants n’aient pas été rapatriés avant la fermeture et estime que les personnes auraient pu être placées dans des salles omnisports. Il juge, par ailleurs, qu’en tant que territoire « aspirant à devenir un État souverain », nous aurions dû nous comporter comme tel en prenant nos propres décisions. Il estime, enfin, que le maintien des activités économiques est un modèle qui n’a pas fonctionné ailleurs.

Tous ont, en tout cas, rendu hommage au personnel soignant, agents de sécurité, bénévoles…


Bas les masques

Le haut-commissaire, Laurent Prévost, a appelé à plusieurs reprises à un « sursaut » alors que des vols de matériel médicaux de protection, masques et gels, ont été signalés ces dernières semaines. On peut d’ailleurs imaginer l’étonnement des soignants qui sont en première ligne et font face à une pénurie en observant le nombre de Calédoniens qui, eux, ont tout de même réussi à s’en procurer… En France, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a également fait part de tels actes jugés « mortifères ». La nation a commandé 250 millions de masques. Espérons, ici, que les deux millions de masques commandés localement arriveront à bon port. Cette denrée rare dans nos pays fait en effet l’objet de toutes les convoitises. La République tchèque a ainsi été rendue coupable d’avoir subtilisé 650 000 masques envoyés par la Chine pour l’Italie.

C.M.