« Le territoire possède un puits de carbone très conséquent »

La compensation carbone ? Un enjeu majeur pour l’avenir, estime François Tron, directeur de programme chez l’ONG Conservation International, au vu de la forte demande dans ce secteur. Il pourrait se développer en Nouvelle-Calédonie, qui dispose d’un potentiel important considérant la taille de son territoire.

DNC : Qu’est-ce que la compensation carbone ?

François Tron : Il s’agit de la dernière séquence de la hiérarchie ERC, « éviter – réduire – compenser ». Après avoir évité (c’est la sobriété énergétique) ou réduit (c’est l’efficacité énergétique, par exemple, la bonne isolation d’un bâtiment) ses émissions de carbone, cela consiste à investir dans des actions qui permettent de diminuer les rejets « résiduels ».

Est-ce que compenser n’est pas s’offrir, en quelque sorte, un droit à polluer ?

Si on compense ses émissions résiduelles en finançant un projet qui ne se serait pas fait sans cela et si ça peut permettre à des entreprises de se sentir responsables sur un plan climatique, tant mieux. Tous ceux qui ont envie de faire quelque chose doivent pouvoir le faire, c’est mieux que de ne rien faire du tout. Le problème, c’est quand l’entreprise n’entreprend aucun effort préalable d’évitement ou de réduction avant d’engager un financement au titre de la compensation carbone, parce que c’est facile et pas cher.

Comment encadrer un projet carbone ?

La crédibilité des projets carbone tient à leur certification selon des standards exigeants – suivi, évaluation et publication des résultats – et à la valorisation des co-bénéfices en termes de conservation et de restauration de la biodiversité, comme l’alimentation en eau potable, la lutte contre l’érosion… Si ce n’est pas le cas, l’utilisation du terme compensation carbone peut être remise en question. Après, développer un projet carbone certifié coûte cher parce que tout est compté et publié. Il s’agit, par exemple, de vérifier si les tonnes de CO2 qui ont été payées par une entreprise à une association sont vraiment captées.

 

Là où se trouve le problème, c’est quand aucun effort préalable d’évitement ou de réduction n’est fait par l’entreprise avant d’engager un financement au titre de la compensation carbone, parce que c’est facile et pas cher.

 

Quelle place peut prendre la Nouvelle-Calédonie dans ce domaine ?

Avec ce qu’offre la nature, le territoire possède un puits de carbone très conséquent. On perd 3 000 hectares de forêt en moyenne chaque année. Le principal facteur de perte est le feu, qui représente 1 à 2 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. De l’autre côté, on a un million d’hectares pas ou peu utilisés.

Qu’est-ce qui pourrait être fait ?

Il faut agir pour maîtriser les feux, lutter contre les dégâts occasionnés par les cerfs et planter. Mais on ne peut pas planter des milliards d’arbres – sur un plan logistique et matériel ce n’est pas possible – et le coût unitaire du reboisement est dix fois plus important que ce que rémunèrent les crédits carbone à l’heure actuelle sur le marché mondial. Des stratégies de restauration forestière plus efficientes sont nécessaires, planter des espèces pyro-retardantes, comme le bourao et le palétuvier de montagne, et passer à des approches innovantes comme le semis de graines, une technique à large échelle et à moindre coût. Et ce sont des projets à long terme, on parle de trente ans. Avec un paiement sur résultat. Le carbone n’est pas là ? Le paiement n’est pas là.

 

J’estime le gisement d’emplois à plusieurs centaines d’équivalent temps plein dans l’idée de valoriser 30 % du potentiel théorique existant, ce qui serait déjà une belle performance.

 

La création d’un secteur d’activité économique est-elle envisageable ?

Les volumes échangés sur les marchés mondiaux de la compensation carbone sont croissants, la demande est supérieure à l’offre et on s’attend à un fort développement du secteur. Valoriser 30 % du potentiel théorique qu’offre la nature permettrait la création de plusieurs centaines d’emplois et contribuerait à la responsabilité climatique du pays. Ce serait déjà une belle performance.

C’est un marché local, mais aussi international, on pourrait vendre ailleurs. Pour cela, il faut avoir de la crédibilité et de la visibilité, et donc que la Nouvelle-Calédonie se positionne sur ce secteur de manière officielle et politique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

 

Il y a des programmes de compensation extrêmement modestes en Nouvelle-Calédonie et une absence de transparence en matière d’évitement.

 

Pourrait-on obliger les entreprises à avoir recours à la compensation carbone à partir d’un certain niveau d’émission ?

Une réglementation peut être mise en place pour que les entreprises, au-delà d’un certain seuil, soient contraintes à des objectifs de réduction ou à payer. En Europe, celles qui ne réduisent pas leurs émissions doivent s’acquitter d’une sorte de taxe carbone. Ce système a ses limites, mais il a aussi permis de moderniser l’industrie. On constate, depuis quelques années, qu’il y a un début de découplage entre le PIB et les émissions de CO2.

On parle beaucoup de nickel « vert », cela peut-il représenter une solution ?

Que signifie nickel vert ? Les communautés locales riveraines d’exploitations, les botanistes et la société civile ont peut- être un autre avis quant à l’efficacité de la séquence « éviter – réduire – compenser ». À ma connaissance, les programmes de compensation sont très modestes en Nouvelle-Calédonie et la transparence en matière d’évitement n’est pas au rendez-vous. Il y a, certes, des programmes de réduction et de réhabilitation, mais qui ne peuvent être assimilés à de la compensation.

 

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)