Le territoire dans des impasses

« N’oublions jamais le magnifique préambule de l’accord de Nouméa qui doit tant à Lionel Jospin », a déclaré le ministre Manuel Valls, jeudi 8 mai. Photo : Y.M.

Avancé, en vain, par le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, le projet fondé sur une souveraineté avec la France a clivé au lieu de rassembler les délégations politiques, à Deva. Entre les possibles calculs des uns et postures des autres, la Nouvelle-Calédonie doit faire face à plusieurs impasses.

Le constat est là, brutal et décevant : les négociations, entre le 5 et le 7 mai à Bourail, en vue de conclure un accord global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, se sont terminées sur un échec, synonyme d’impasse politique.

Le ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, avait mis dans cette phase cruciale beaucoup d’ingrédients empruntés à la méthode Rocard de 1988 : un long dialogue avec les forces politiques en rencontres bilatérales ou plénières, de la confidentialité, un contact direct avec les populations, et un isolement des partenaires durant plusieurs jours pour une réflexion commune. Une stratégie opposée à celle d’un prédécesseur, Gérald Darmanin.

Néanmoins, si Manuel Valls a réussi à réunir puis maintenir les élus non indépendantistes et indépendantistes autour de la table – un pari qui n’était pas gagné d’avance après la phase insurrectionnelle – le « conclave » de Deva n’a débouché sur aucun accord, ni sur une quelconque signature d’un document d’engagement.

Seuls « des points de convergence ont été identifiés », selon le locataire de la rue Oudinot. Tels que le renforcement de l’exercice en matière de relations internationales et du pouvoir fiscal des provinces ou encore le maintien du caractère collégial et proportionnel du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

NAÏF ?

Pourtant fin connaisseur de la Nouvelle- Calédonie, de ses équilibres fragiles et des arcanes de la politique, Manuel Valls a créé un clivage en déposant sur la table de Deva son projet fondé sur une souveraineté avec la France. Non-indépendantistes et indépendantistes, englués dans un refus de discussions par le passé puis un échange improductif, souhaitaient que l’État prenne l’initiative. En voilà une, très forte, qui avait au moins deux ambitions : conserver le FLNKS dans les pourparlers et encourager Les Loyalistes-Rassemblement-LR à s’emparer de la proposition pour en gommer les aspérités non conformes à leurs aspirations.

Était-ce bien naïf, surtout après les violences du 13 mai 2024 ? Une hypothèse : vu l’urgence de la situation en Nouvelle-Calédonie, le ministre aurait estimé qu’aucun des politiques présents, et surtout Loyalistes, ne prendrait le risque de n’aboutir à rien. Or le train de la négociation a déraillé. Les indépendantistes ont adhéré illico au projet présenté, quitte à ne plus bouger. Les Loyalistes et Rassemblement-LR l’ont, à l’inverse, rejeté tout de go, voyant là une indépendance-association, une formule inconcevable à leurs yeux à la suite des trois référendums en faveur du maintien du territoire dans la République française.

Sonia Backès et Nicolas Metzdorf auraient même fait part de leur colère auprès des hautes sphères parisiennes : des ministres, Sébastien Lecornu et Bruno Retailleau, au Président Emmanuel Macron. Leur contre-proposition basée sur le fédéralisme au sein de la République française, qui peut amener à une partition du territoire selon des analyses, n’a pas permis de rassembler les points de vue. Au passage, Manuel Valls, ancien socialiste, en a pris pour son grade.

« UN AUTRE MINISTRE, UN AUTRE PROJET »

L’échec de Deva plonge le Caillou dans une triple, voire une quadruple impasse désormais. Tout d’abord, les indépendantistes, satisfaits du projet Valls, ne veulent plus négocier en deçà de son contenu. Ensuite, les Loyalistes et Rassemblement-LR sont sur la défensive. Effleurée lors de la rencontre avec les militants, mercredi 23 avril à l’hippodrome Henry-Milliard, et exprimée lors d’une conférence de presse, jeudi 8 mai, une phrase de Sonia Backès est lourde de sens : « Il y aura demain un autre ministre, un autre projet ».

Est-ce finalement la stratégie ? La potentielle chute du Premier ministre, François Bayrou, à la cote aujourd’hui très affaiblie, éjecterait très probablement Manuel Valls du gouvernement central. Autrement dit, Loyalistes et Rassemblement-LR attendent- ils l’heure ?

Troisième impasse, l’actuel ministre d’État des Outre-Mer va avoir bien du mal à revenir en Nouvelle-Calédonie pour poursuivre d’éventuelles négociations avec l’ensemble des partenaires. D’ailleurs, Virginie Ruffenach, présidente du groupe Rassemblement au Congrès, l’a confirmé sur la radio France Inter : Manuel Valls « n’a aujourd’hui plus de légitimité à mener des discussions ».

Enfin, les Calédoniens, qui comptaient beaucoup sur les discussions de Deva, sont déçus. Ce qui pourrait accroître davantage encore l’écart entre les politiques et la société civile au sens large. Élus de proximité et citoyens croisent maintenant les doigts afin que la perspective d’une opposition sur le corps électoral gelé pour le prochain scrutin provincial n’entraîne pas le territoire dans une cinquième et terrible impasse. Les délégations politiques de Deva sont attendues.

Yann Mainguet