« Le système éducatif reste une machine à reproduire les élites »

Lors de la deuxième session des Assises de l’enseignement, les 24 et 25 novembre à l’Université, l’Alliance scolaire des églises évangéliques (Asee) et plusieurs de ses invités ont sévèrement analysé l’école calédonienne, jugée globalement défavorable aux Océaniens. 

Le ton est grave et sera celui de la matinée. Luther Voudjo, directeur de l’Alliance scolaire des églises évangéliques (Asee) parle d’une « baisse » du niveau scolaire, évoquant des statistiques réalisées dernièrement par la Direction de l’enseignement.

À l’entrée en classe de sixième, seuls 42 % des élèves maîtriseraient les fondamentaux en mathématiques. En français, la performance serait meilleure (76,3 %), mais resterait loin d’être satisfaisante.

Pour plusieurs intervenants invités par l’Asee, ces chiffres ne sont qu’une confirmation d’un sentiment ancien, celui de la déconnexion entre l’école calédonienne et une partie des élèves, les Océaniens en particulier.

« Les solutions venues d’ailleurs ne peuvent pas nous convenir », considère Vaimu’a Muliava. Le membre du gouvernement, chargé de la Fonction publique, partage le souvenir de ses nombreuses déconvenues scolaires, de son sentiment d’inadéquation vis-à-vis de professeurs venus de Métropole et d’enseignements qui lui semblaient du charabia.

Il espère voir émerger « un système éducatif qui nous ressemble ». « Certains voudraient faire du négationnisme, et dire « débrouillez-vous, rentrez dans le cadre ! ». Mais tous n’y arriveront pas ! » Or, « si les autochtones ne vont pas bien, le pays n’ira jamais bien ».

DES ENFANTS CONVAINCUS PAR « L’INUTILITÉ DE L’ÉCOLE »

« Les enseignants sont-ils là pour satisfaire l’inspecteur ou pour enseigner les fondamentaux ? », questionne Joël Kasarhérou, qui juge « assez mauvais » le bilan du projet éducatif de la Nouvelle-Calédonie, adopté en 2016.

Le président du parti Construire autrement s’inquiète du coût financier de l’illettrisme, qui touche 18 % de la population calédonienne contre 5 % au niveau national. Pour lui, de toute évidence, « le système éducatif reste une machine à reproduire les élites ».

Le sociologue Jone Passa livre une analyse encore plus sévère : le système éducatif calédonien reste fortement structuré par une matrice « coloniale ». « Je parle de colonisation sans arrière-pensée. C’est notre réalité », précise-t-il. Face à elle, « les Océaniens sont dans une forme de résistance qui ne dit pas son nom ».

Dans le cadre de l’École de la réussite, qu’il appelle encore École de la deuxième chance, son ancien nom, Jone Passa suit « des générations d’enfants convaincus par l’inutilité de l’école, et dont les parents ont déjà eu maille à partir avec l’école ».

Le chercheur dénonce une surmédiatisation des réussites scolaires et professionnelles des Kanak, corollaire d’une sous-médiatisation de leurs difficultés globales. « On est contraint d’inventer un roman pour justifier un système qui n’est pas efficace… Il en faudra, des arbres, pour cacher la forêt. »

« CHOQUÉE QUE L’ON NE PARLE QUE D’ÉCHEC »

Quand il rend le micro, Chérifa Linossier a « les oreilles qui saignent ». « Je suis choquée que l’on ne parle que d’échec », lance l’ancienne présidente de la CPME. Citant son histoire familiale, celle de sa mère illettrée, elle invite les participants à ne pas systématiquement rejeter la faute des échecs « sur le gouvernement ou sur l’école ».

Jean-France Toutikian, représentant de l’Union des groupements de parents d’élèves (UGPE), juge nécessaire de « modérer » les conclusions de Jone Passa. « Le système a quand même beaucoup changé, mais cela ne va pas assez vite et il reste élitiste. »

À l’appui de cet adjectif, il veut pour preuve la composition des classes préparatoires, l’identité des lauréats du bac avec mention très bien. Il aimerait revoir des statistiques ethniques du côté du vice-rectorat, ce qui serait à son sens le signe d’une plus grande préoccupation vis-à-vis des inégalités de réussite à l’école.

L’Asee mise sur l’adaptation à l’enfant 

Pour l’Asee, la solution numéro un au problème de l’échec scolaire, chez les Kanak en particulier, réside dans l’adaptation à l’enfant. « Faire du cas par cas, ce n’est jamais une perte de temps, et c’est la force des écoles confessionnelles », estime Jone Passa. Jean-France Toutikian est d’accord, mais l’enseignement public « fait aussi de bonnes choses », insiste-t-il. « Essayons de comprendre comment c’est possible, comment chacun arrive à favoriser la réussite. »

Gilles Caprais

Photo : G.C. « Un taux d’illettrisme de 18 %, ça ne veut pas dire 18 % de crétins. Ça veut dire que le système éducatif doit changer », insiste Joël Kasarhérou.