Le soutien au nickel est-il adapté ?

L’État et les collectivités calédoniennes sont un soutien important au secteur de la mine et de la métallurgie. La Cour des comptes s’est interrogée, dans un référé en date du 3 janvier, sur les interventions de l’État et leur efficacité. Une fois encore, les magistrats pointent du doigt la défiscalisation.

Le nickel et la Nouvelle-Calédonie entretiennent des liens anciens et complexes. Source de création de richesses indéniable pour le territoire, ses externalités environnementales, sociales ou fiscales sont loin d’être neutres. Alors que le Code minier, adopté en 2009, a fourni un cadre au développement du secteur, de nombreuses questions restent posées et suscitent de profondes divergences de point de vue. Le référé de la Cour des comptes qui examine « vingt ans de soutien financier de l’État à la filière du nickel en Nouvelle-Calédonie » en est la parfaite illustration.

Les magistrats rappellent en particulier comment les derniers projets métallurgiques, ceux du Nord et du Sud, ont pu voir le jour. Pour mémoire, l’usine du Nord a bénéficié d’un premier soutien de l’État au travers de l’échange des massifs miniers de Poum et de Koniambo qui a permis de fournir la ressource nécessaire à l’exploitation de l’usine. Cet échange a été rendu possible par l’indemnisation d’Eramet par l’État à hauteur de 18 milliards de francs (150 millions d’euros). Un prêt a également été accordé par l’Agence française de développement pour un montant d’un peu plus de 20 milliards de francs afin de permettre la construction du complexe industriel (un prêt aujourd’hui remboursé aux deux tiers). La Cour des comptes estime que le risque de non-remboursement est élevé.

La SLN a également bénéficié d’un soutien important de l’État, en particulier depuis 2015 qui avait été marqué par une chute brutale des cours du nickel. Le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, avait annoncé, lors de son déplacement à Nouméa, l’octroi d’un prêt de 24 milliards de francs pour sauver la SLN et assurer sa pérennité. Ce prêt suscite une certaine inquiétude de la Cour des comptes vu la situation de l’industriel et de son incapacité à sortir de l’ornière. Elle rappelle notamment que les programmes successifs « SLN 2018 », « SLN 2020 » ou encore « Plan de sauvetage » n’ont pas suffi à redonner la compétitivité escomptée au métallurgiste faisant courir un gros risque financier à l’État.

Une pluie de milliards

De la même façon, cette compétitivité passe par la construction d’une nouvelle centrale électrique à Doniambo en remplacement de celle au fuel. Un projet qui connaît de nombreux atermoiements et pour lequel l’État a accordé une garantie de près de 40 milliards de francs. Des engagements qui exposent sensiblement les intérêts de la puissance publique. La Cour estime indispensable que les conditions du « fonctionnement futur et du financement de la centrale » soient clarifiées avant d’octroyer la garantie de l’État. L’appel à projets lancé par le gouvernement devrait pouvoir apporter des réponses d’ici la fin de l’année, mais la réalisation de l’équipement pourrait prendre plusieurs années.

Vale a bénéficié des mêmes conditions que la SLN via un prêt de 24 milliards de francs pour faire face à ses difficultés de trésorerie. L’industriel a remboursé les intérêts de cet emprunt, mais le capital reste à solder d’ici 2026. La garantie de l’État a, par ailleurs, été sollicitée par Vale pour assurer le financement du projet Lucy, finalement reporté. La Cour des comptes recommande que la garantie fasse l’objet d’un réexamen lorsque le futur repreneur du site de l’usine du Sud relancera le projet considéré comme indispensable à la viabilité économique de l’exploitation.

Le constat peut paraître amer, les dizaines de milliards n’auront pas suffi à redonner de la vigueur aux trois métallurgistes qui se trouvent toujours dans des situations délicates. À ces aides directes, il faut ajouter celles de la défiscalisation. Un précédent rapport datant de 2012 concluait à la nécessité de supprimer ce dispositif jugé coûteux pour les finances publiques, générateur de rentes et peu profitable aux investisseurs finaux, l’avantage pouvant être capté par l’importateur et le distributeur et comportant de sérieux risques de fraudes, faute de réels contrôles des opérations sur le terrain. Pire, les services ne sont pas en mesure de présenter des données fiables et globales permettant de savoir précisément à qui ont bénéficié les opérations et quel en est le coût financier, et ce, malgré de lourdes procédures administratives. La Cour estime que ce dernier représente environ 10 % de la valeur ajoutée totale du secteur nickel. De la même façon, le référé s’interroge sur la pertinence de ce dispositif pour atteindre l’un de ses principaux objectifs : le maintien de l’emploi.

Le rapport de 2012 avait évalué le coût pour la création d’un emploi direct à environ 87,6 millions de francs sur la période de référence de vingt ans. Une évaluation confirmée par de nouveaux calculs. Une fois encore, il est recommandé de substituer des aides directes des collectivités locales, de l’État ou de Bpifrance à la défiscalisation.

Dans sa réponse, le Premier ministre, Édouard Philippe, a rappelé l’esprit du soutien de l’État au secteur du nickel calédonien. « L’intervention de l’État dans ce secteur […] s’inscrit dans un contexte économique donné, mais elle n’est motivée sur le long terme que par les engagements politiques des gouvernements successifs vis-à-vis de la Nouvelle-Calédonie, engagements posés par les accords de Matignon- Oudinot et de Nouméa et les accords de Bercy ».

Logique politique, mais pas forcément économique

Si le maintien de l’emploi est tout à fait compréhensible à moyen terme, l’injection d’argent public toujours plus massif, justifié politiquement, peut laisser penser à une fuite en avant sur le plan économique, d’autant plus que ce bilan ne tient pas compte des aides des collectivités locales, qui sont proportionnellement aussi très élevées. Sans en faire le détail, la liste des exonérations fiscales au secteur est extrêmement importante. Plus directement, on peut rappeler la dernière en date, pour la SLN, qui consiste à subventionner l’achat de son énergie au travers du versement d’une compensation lorsque le cours du nickel est en dessous de la barre des 15 000 dollars US la tonne. Un dispositif qui coûte un milliard de francs à la collectivité.

Tout porte à s’interroger sur le sens de ces soutiens à un secteur qui contribue très peu aux finances publiques calédoniennes. Comme le souligne les travaux de Gaël Lagadec et Olivier Sudrie dans « Du court au long terme : un scénario « norvégien » pour pérenniser la rente nickel en Nouvelle-Calédonie ? », autant les recettes du nickel ont été conséquentes entre 2004 et 2008, sur la période 2002-2011, elles étaient proche de zéro. De la même façon, selon les derniers chiffres de l’Isee, le nickel pesait globalement 2,9 % du PIB calédonien (2015). Si les retombées se comptent surtout en salaires pour le territoire, les externalités négatives sont mal prises en compte, que ce soit du point de vue environnemental, sanitaire ou social. C’est tout particulièrement le cas des conséquences de la mine sur la ressource en eau qui conditionne, pour une large part, le développement du reste de l’économie en Nouvelle-Calédonie.

Comme le montrent les travaux notamment conduits par Vincent Géronimi et Séverine Blaise et publiés dans l’ouvrage La Nouvelle-Calédonie face à son destin, le modèle économique n’est soutenable qu’au prix des transferts de la Métropole et en acceptant le fait que l’on puisse substituer du capital naturel à d’autres formes de capital. Tous ces constats poussent dans la même direction, celle de parvenir à capter une plus grande partie de la valeur ajoutée au profit des générations futures, comme le font régulièrement valoir les différents partis politiques, au travers d’un fonds dédié, alimenté par une fiscalité spécifique. L’annonce de la réforme fiscale portée par le gouvernement devrait permettre aux élus du Congrès d’étudier ces options qui apparaissent désormais indispensable à la poursuite du développement économiques et social calédonien.

M.D.