Le Sénat coutumier proclame un an de « deuil national » kanak

Le Sénat coutumier a proclamé un deuil d’un an pour respecter la disparition des nombreuses victimes du Covid. Le moment n’étant pas au vote pourles chefferies, une lettre a été envoyée au président de la République pour demander le report du troisième référendum.

Le monde coutumier s’aligne aux côtés des politiques indépendantistes contre la tenue du référendum au 12 décembre. Le Sénat, qui s’était déjà positionné en faveur d’un report lors de la venue du ministre des Outre- mer en octobre, a apporté « plus de consistance » à son propos en proclamant, mardi, un an de deuil kanak à l’échelle du territoire du 6 septembre dernier, date du premier cas avéré de Covid-19, au 6 septembre 2022. Une décision « lourde de sens ».

« Traumatisme »

L’institution souhaite « respecter collectivement » la disparition des nombreuses victimes du virus (271 au 10 novembre) dont plus de 52 % de Kanak. « 500 familles sont concernées, plus d’un millier de clans sont endeuillés et n’ont pas pu accompagner dignement leurs défunts ni faire leur travail de deuil », expose Justin Gaïa, porte-parole de l’institution. « Les corps des défunts sont compilés dans des boîtes. C’est un traumatisme dans notre façon d’être et de faire, ce sont des tabous qui sont piétinés », ajoute John Tindao, président du conseil coutumier de l’aire Drubea- Kapumë.

Le président de l’institution, Yvon Kona, explique que cette période d’un an doit servir à un travail préparatoire pour organiser la remise des corps aux clans maternels et pour déterminer les nouvelles alliances claniques. Durant cette période, les familles touchées vont devoir s’adapter et, notamment, attendre la levée du deuil pour les mariages. Il est demandé aux familles, clans et chefferies « d’en saisir toute la portée et de la respecter ».

Un risque de rupture

Les sénateurs font état d’un choc moral et psychologique qui ne permet pas d’organiser le référendum dans la paix et la sérénité. Il doit donc être repoussé à l’année prochaine. Une lettre en ce sens a été envoyée mardi au président de la République, Emmanuel Macron. « S’ils décident de le faire à tout prix, cela veut dire qu’ils ont un cœur de pierre, une approche qui n’est pas humaine », estime Justin Gaïa. Les sénateurs rappellent que ce référendum est « le plus important des trois » dans la mesure où il vient clore le « cycle historique de la première étape de la décolonisation » et que de son issue dépendra l’avenir statutaire et constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

L’organiser « dans la précipitation » viendrait, selon eux, à réduire sa portée et banaliser l’histoire. Ils alertent d’ailleurs Emmanuel Macron des « risques de rupture » qui se présentent dans un contexte de « déstabilisation générale », d’incertitude. Ils insistent sur un « clivage ethnique renforcé » ces dernières années et un « processus d’émancipation inachevé ».

Pour les sénateurs, cette année de deuil collectif devrait d’ailleurs servir à faire le bilan des 37 dernières années et à honorer des personnalités historiques qui ont marqué cette période. Ils demandent aussi des discussions approfondies sur les conséquences du Oui et du Non et sur la place de la coutume, l’identité kanak, quel que soit le choix des Calédoniens.


Une réflexion sur le devenir du Sénat coutumier

Le Sénat coutumier entend mettre à contribution cette période d’un an, à la fin de l’Accord de Nouméa, pour réfléchir au devenir de l’institution, a déclaré Justin Gaïa. « Avant, les grands chefs étaient les patrons du pays (…) Peut- être que demain, il y aura une cinquantaine de sénateurs qui s’occuperont de sujets autres que l’identité kanak. Peut-être de la défense, de l’intérieur, de la monnaie, d’autres grands sujets régaliens. »

C.M.

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