Le report des élections acté, mais la reprise du dialogue en suspens

Le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou (Gauche démocrate et républicaine) a exprimé, mardi 28 octobre, son opposition à un nouveau report des élections provinciales en Nouvelle- Calédonie à juin 2026. « Aujourd’hui, la confiance en l’État est clairement entamée », a prévenu le parlementaire. © Bertrand Guay / AFP

Le report des élections provinciales au plus tard à fin juin 2026, pour permettre « un accord consensuel sur l’avenir institutionnel », ne garantit pas une reprise des discussions entre les acteurs politiques. La proche visite en Nouvelle-Calédonie de la ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou, peut s’avérer prématurée.

Soulagement d’un côté, colère de l’autre. Mardi 28 octobre, l’Assemblée nationale a adopté, par 279 voix pour et 247 voix contre, la proposition de loi organique (PPLO) reportant la tenue des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie « au plus tard le 28 juin 2026 ». Une première étape franchie. Le Sénat devait dans la foulée, mercredi 29 octobre, adopter à son tour le texte, qu’il avait largement approuvé en première lecture, deux semaines plus tôt, avant que le Conseil constitutionnel en soit automatiquement saisi et se prononce, probablement la semaine suivante, sur sa conformité à la Constitution. Ce n’est qu’après que celui-ci aura rendu sa décision que la loi organique pourra être promulguée.

Pour tous les acteurs – gouvernement, opposants et partisans –, cette PPLO constituait bien la première marche du processus législatif et constitutionnel de mise en œuvre du projet d’accord signé le 12 juillet à Bougival. Sauf qu’en chemin, les embûches se sont multipliées, aggravées par les péripéties de la situation politique hexagonale, et le parcours aura été loin d’être limpide, laissant planer jusqu’au dernier moment un léger parfum d’incertitude. Que les uns et les autres s’employaient à entretenir par une dramatisation excessive aux fins de mobiliser leurs troupes respectives.

GLISSEMENT SÉMANTIQUE

Résumons. Le 15 octobre, les sénateurs examinent en première lecture la PPLO « visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025 », déposée le 13 août par six des huit présidents de groupe du Sénat. Le texte est largement adopté, sans modification, à l’exception de l’intitulé de la proposition de loi, devenu « afin de permettre la poursuite de la discussion sur l’accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre ». Ce simple glissement sémantique témoigne de la volonté des partisans de l’accord de Bougival de réintégrer le FLNKS recomposé dans le processus de discussion et de finalisation en cours après que celui-ci a formellement rejeté le texte.

C’est sous cette version amendée que la proposition de loi est transmise à l’Assemblée nationale où, cette fois, les groupes de La France insoumise (LFI), de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), auquel appartient le député de la 2e circonscription de Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Tjibaou, et des Écologistes sont bien décidés à mener bataille pour empêcher son adoption. La décision du Rassemblement national (RN), de voter contre, et les états d’âme du groupe socialiste rendent l’issue incertaine. D’autant que le temps est compté. Tant que la loi organique n’a pas été promulguée, la date de tenue des prochaines élections provinciales est fixée au 30 novembre au plus tard et le décret de convocation des électeurs pour ce scrutin devrait être publié au plus tard le 2 novembre.

« DONNER DU TEMPS AU TEMPS »

L’examen du texte en commission des lois de l’Assemblée nationale, lundi 20 octobre, donne un avant-goût de la bataille à venir en séance publique. Tandis que le rapporteur de la proposition de loi, Philippe Gosselin (Droite républicaine, DR) s’efforce de convaincre, avec une louable constance, de la nécessité de « donner du temps au temps » pour redonner ses chances au dialogue, le groupe LFI promet de se donner tous les moyens d’« éclairer l’Assemblée nationale » lors de l’examen du texte en séance, deux jours plus tard.

Cela se traduit par le dépôt de près de 1 700 amendements, dans le seul but d’imposer une épreuve de force au détriment du débat parlementaire. La manœuvre d’obstruction massive ne pouvait qu’entraîner une riposte tout aussi rapide et puissante, sous la forme du dépôt d’une motion de rejet préalable à l’ouverture du débat en séance publique, mercredi 22 octobre, présentée à l’initiative du député de la 1re circonscription de Nouvelle-Calédonie, Nicolas Metzdorf (Ensemble pour la République, EPR), pour permettre, paradoxalement, en le rejetant, que le texte de la PPLO aille au terme de son examen en le renvoyant en commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et sept sénateurs.

Retour, donc, en CMP et, là, les députés socialistes, jusque-là fort empruntés, proposent sous la plume d’Arthur Delaporte, une nouvelle rédaction de l’intitulé de la PPLO, qui deviendrait « afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d’un accord consensuel sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle- Calédonie ». Toute référence à l’« accord du 12 juillet » est ainsi gommée, permettant aux uns d’espérer un nouvel accord, cette fois, « consensuel », sur la base de Bougival, et aux autres, de laisser penser que celui-ci est écarté et qu’une nouvelle phase de discussion s’engage.

La suite s’annonce pour le moins périlleuse. En témoignent les tergiversations apparues, mardi 28 octobre, autour de l’inscription à l’ordre du jour du Parlement du projet de loi constitutionnelle « portant création et organisation institutionnelle de l’État de la Nouvelle-Calédonie ». Le ministre des Relations avec le Parlement, Laurent Panifous, annonçait dans la matinée que son examen au Sénat débuterait en janvier 2026. De quoi susciter la fureur de ceux qui tentent de ramener le FLNKS dans les discussions et qui estiment que, fixer dès à présent un calendrier ne peut être qu’un facteur de blocage. Les échanges ont été vigoureux entre le rapporteur de la PPLO, Philippe Gosselin, la rue Oudinot et Matignon, jusqu’à ce que, à l’ouverture de la discussion à l’Assemblée nationale, le même Laurent Panifous annonce le retrait de ce texte de l’ordre du jour prévisionnel du Parlement. Toute cela montre la fragilité de l’écheveau parlementaire, législatif et politique en cours.

ENTRETIEN AVEC L’UC-FLNKS

Et maintenant ? La nouvelle ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou, doit effectuer son premier déplacement en Nouvelle-Calédonie du 1er au 8 novembre. Une première prise de contact pour elle. Mais quels interlocuteurs rencontrera-t-elle ? Lundi 27 octobre, elle s’est entretenue en visioconférence avec l’ensemble des formations politiques représentées au Congrès et, en particulier, avec l’UC-FLNKS. En face d’elle, la délégation, composée de Dominique Fochi, Gilbert Tyuienon et Marie-Pierre Goyetche, lui a clairement fait entendre que, pour le mouvement indépendantiste qu’ils représentent, l’accord de Bougival ne peut en aucune façon servir de base à la reprise des discussions.

Philippe Gosselin (Droite républicaine), rapporteur de la proposition de loi, et Florent Boudié (Ensemble pour la République), président de la commission des lois constitutionnelles et de la législation, lors de la séance de débat sur le projet de report des élections, à l’Assemblée nationale, mardi 28 octobre.
© Telmo Pinto / NurPhoto via AFP

Le déplacement de la ministre de Outre-mer risque de s’avérer prématuré, malgré sa volonté affichée de renouer le dialogue avec toutes les parties prenantes. Inévitablement, plane sur l’éventualité d’une reprise des discussions l’ombre de Christian Tein, à présent autorisé à rentrer en Nouvelle-Calédonie. Rien ne se fera, du côté du FLNKS, sans son assentiment, à commencer par la composition de la délégation autorisée à entrer en discussion. Le précédent de Bougival montre que ceux qui s’y risquent ont intérêt à compter leurs abattis. Emmanuel Tjibaou en a fait les frais, ce qui peut inciter d’autres responsables du FLNKS, partisans du dialogue, à se mettre en retrait. Il n’empêche que pour arriver à renouer d’une manière ou d’une autre un fil de dialogue, la question de la réintégration de Christian Tein dans les discussions, non par son apport théorique, mais par le symbole qu’il représente, va se poser. Et il vaudrait mieux pour la ministre des Outre-mer, novice sur ce dossier, que des contacts aient été engagés pour poser les premières pierres d’un chemin à retracer, sous peine de ne devoir se contenter que d’un maigre bilan.

Après l’espoir suscité par Bougival, le début du processus parlementaire et ce premier déplacement de la ministre des Outre-mer en Nouvelle-Calédonie s’apparentent à un saut dans l’inconnu. Sans oublier que, en définitive, tout ce fragile édifice est menacé, à tout moment, par l’éventualité d’une nouvelle censure du gouvernement, d’une dissolution de l’Assemblée nationale, d’un coup de dégagisme qui renverraient la Nouvelle-Calédonie dans les affres d’un dossier subalterne, mais otage de la compétition politique hexagonale en vue de la prochaine élection présidentielle. Rien de très rassurant.

À Paris, Patrick Roger