De retour sur le territoire jusqu’au jeudi 8 mai pour tenter de parvenir à un accord global sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, le ministre des Outre-Mer, Manuel Valls, invitera les délégations politiques à isoler une solution entre l’accord de Nouméa et le résultat des trois référendums.
Le rapport Courtial – Mélin-Soucramanien de 2014 avançait une piste à nouveau discutée.
Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, respectivement présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, avaient proposé, à Nouméa en novembre dernier, de réfléchir sur la notion de « souveraineté partagée ». Dans un projet d’accord politique sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie rédigé le 30 mars, Manuel Valls suggère « un nouveau partage de la souveraineté avec la France ». Peu avant son départ vers l’archipel pour un troisième round de discussions, du 30 avril au 8 mai, le ministre des Outre-Mer a d’ailleurs appelé, dimanche, les indépendantistes et les non- indépendantistes à trouver rapidement un « accord », rapporte l’AFP. À défaut, « l’incertitude économique et politique peut conduire à un nouveau désastre, à la confrontation et à la guerre civile », a déclaré l’ancien Premier ministre, sur les ondes.
LE PRINCIPE DU PARTENARIAT
Manuel Valls a toujours encouragé à « être innovant » dans la réflexion. Propos qui inviteraient à dépasser des formules déjà connues et, pour certaines, éloignées de la tradition républicaine française, telles que l’État associé ou fédéral et la partition du territoire. Autrement dit, il faut du sur-mesure pour la Nouvelle-Calédonie en agrégeant ce qui rassemble et en rejetant ce qui divise. Le ministre des Outre-Mer avait évoqué la voie de la « souveraineté avec la France », selon le journal Le Monde du 11 février.
Cette option se rapproche nettement de l’une des quatre hypothèses d’aboutissement de l’accord de Nouméa étudiées par le conseiller d’État, Jean Courtial, et le professeur de droit public, Ferdinand Mélin-Soucramanien, dans un rapport remis en 2014 au Premier ministre de l’époque. Une option sous l’appellation : la pleine souveraineté avec partenariat, une piste qui serait à nouveau étudiée par l’État. « Ce qui suppose une reconnaissance de la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et, dans le même temps, un partenariat avec la République française qui prévoit la délégation d’un certain nombre de compétences au profit de cette même République », explique l’universitaire à Bordeaux, contacté.
Ces compétences maintenues dans le giron national sont « des garanties pour la Nouvelle-Calédonie : monétaires, militaires avec la Défense, juridiques avec la procédure pénale et le droit pénal… » Des pouvoirs régaliens pourraient être partagés avec l’archipel tels que l’ordre public avec, pourquoi pas, une place pour la police coutumière comme au Canada ou en Australie. Certaines le sont déjà depuis longtemps avec l’accord de Nouméa ou même avant, à l’image des relations internationales et de la justice civile dotée du système des assesseurs coutumiers.
ENGAGEMENTS RÉCIPROQUES
Des personnalités loyalistes sont toutefois très sensibles à la qualité du lien institutionnel entre le territoire et les institutions tricolores. Dans l’hypothèse indiquée, le premier acte de souveraineté d’un territoire souverain serait d’adopter sa propre Constitution. L’article 1er de ce texte fondamental devrait ainsi comporter des points clés – et il en serait fait mention dès le référendum de projet soumis aux électeurs – avec, par exemple, une formule du type : « La Nouvelle-Calédonie est pleinement souveraine dans le cadre du respect des principes généraux du droit international et d’un partenariat conclu avec la République française ».
L’article 1er de la Constitution de Monaco prévoit des dispositions similaires, sans cesser d’être un État souverain ayant un siège à l’ONU, d’une part, et sans que le partenariat, qui dure depuis plus de 150 ans avec la République française, ne soit remis en cause. En parallèle, un titre ou un article de la Constitution française préciserait que la nation reconnaît la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie et accepte l’exercice des compétences, entières ou partagées, dans tel ou tel domaine.
« Un système d’engagements réciproques est de nature à rassurer les loyalistes, parce que la République française maintient un lien fort avec la Nouvelle-Calédonie », explique Ferdinand Mélin-Soucramanien. Sur le fond d’ailleurs, le schéma n’évoluerait pas ou très peu par rapport à aujourd’hui. Un exemple simple est en outre éclairant. La France a elle même délégué une série de compétences au profit de l’Union européenne. Cependant le pays est un État souverain indiscutable, disposant de l’arme nucléaire, d’un siège au conseil de sécurité de l’ONU, etc. Selon le professeur de droit public, cette solution peut être « inventive ».
Si, à travers ce modèle, la Nouvelle-Calédonie peut disposer d’un siège aux Nations unies, ce qui restera d’ailleurs à la seule appréciation de l’institution internationale, le Caillou continuera à bénéficier, si besoin, d’aides ou de conventions financières de la part de la Métropole. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien s’étaient d’ailleurs penchés, dans le cadre de la préparation de leur rapport, sur le cas de la Micronésie. Cet État souverain du Pacifique a conclu un partenariat avec les États-Unis, nation qui soutient généreusement ces îles isolées.
« UNE GAMME DE SOLUTIONS »
La piste de la pleine souveraineté avec partenariat bouscule la réflexion binaire consistant à s’orienter uniquement vers l’option « love it or leave it », c’est-à-dire entre l’État unitaire ou l’indépendance sèche. « En réalité, entre les deux, il y a toute une gamme de solutions possibles », insiste le professeur des universités et docteur en droit, pour qui cette voie de la souveraineté avec partenariat fort avec la France ne s’oppose nullement aux résultats des trois consultations d’autodétermination entre 2018 et 2021.
En clair, aucune matière à contestation. « Dès lors que la Constitution française crée une obligation juridique pour la France d’avoir un partenariat avec la Nouvelle-Calédonie et de le respecter dans la durée, cette disposition constitue un verrou. Il n’y a pas de doute, ajoute Ferdinand Mélin-Soucramanien. Cette solution qui a vocation à être pérenne est même plus solide que la solution actuelle, puisque, même s’il y a une souveraineté directe de la République française sur la Nouvelle-Calédonie, tout le dispositif n’est que transitoire. » Quel que soit le chemin suivi, l’ouverture d’esprit, mais aussi le courage des politiques autour de la table seront sollicités en vue d’arrêter la décision la plus fédératrice possible.
Yann Mainguet
Éclairages
Le transfert de la compétence fiscale de la Nouvelle-Calédonie aux provinces constitue- t-elle l’extrême limite avant la partition ?
« Autant une part de la compétence fiscale peut être transférée aux provinces, autant priver le territoire de toute compétence en matière fiscale est, à mon avis, inenvisageable, relève le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien. Parce que cela conduirait à effacer complètement le territoire. » De même, au regard de l’histoire constitutionnelle, selon l’homme de droit, il a souvent été écrit que l’organisation du pouvoir politique est née avec la nécessité de fixer l’impôt. Par ailleurs, « le ministre, Manuel Valls, a été très ferme sur le sujet, et à mon avis, à juste titre », ajoute l’universitaire : la solution de la partition du territoire serait « la solution la plus imbécile. Parce que juridiquement, c’est une erreur, et moralement, c’est une faute. Jamais la France n’admettra une séparation des populations fondée sur un critère ethnique ».