Le nickel peut-il être vert ou responsable ?

A steel worker watches over a furnace at an iron-steel factory in Wuhan, central China's Hebei province on August 4, 2009. A top government official in China urged steel producers to stop projects aimed at expanding capacity as Beijing tries to curb a glut in the industry that is dampening prices. CHINA OUT AFP PHOTO

On entend de plus en plus parler de nickel vert ou nickel responsable. Au-delà de l’effet de communication, une réflexion internationale sur la manière dont peut prendre en compte l’environnement et le social dans l’équation est largement engagée. Une réflexion qui s’impose d’autant plus que l’extraction minière n’a jamais été aussi soutenue et pourrait l’être encore davantage dans les années à venir.

L’industrie métallurgique calédonienne fait partie des moins compétitives au monde. Un constat que les acteurs ont bien du mal à changer, et ce, malgré un soutien fort des collectivités et des institutions ces dernières années, en particulier de l’État. Si la rentabilité des usines est un objectif réaliste, les coûts de production devraient difficilement passer en dessous de ceux de la concurrence internationale. Toute l’idée des responsables politiques calédoniens est aujourd’hui d’encourager les industriels à « verdir » la production pour donner un avantage au nickel calédonien, autre que celui du prix.

Le terme peut sembler paradoxal, la mine ayant par définition des conséquences environnementales lourdes, mais une tendance à une meilleure prise en compte de l’environnement et des impacts sociaux de la mine se dessine au niveau mondial. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) travaille depuis maintenant plusieurs années à un Guide sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. Un guide qui fournit un cadre pour garantir un approvisionnement éthique en minerais et qui en est déjà à sa troisième version.

Des labels, mais des questions

C’est ce guide qui servira de base aux normes que devront respecter les entreprises qui souhaitent pouvoir vendre leurs minerais ou métaux au London Metal Exchange (LME), la principale place boursière mondiale en la matière. En 2017, le LME a effectué une enquête exhaustive auprès des producteurs de façon à établir une liste d’exigences réalistes. Une décision qui avait été révélée, suite à un scandale lié à l’extraction de cobalt par des enfants en République démocratique du Congo, dans un article du Financial Times. L’enquête de 2017 a ensuite été complétée par une consultation officielle des producteurs en avril 2019.

Par approvisionnement responsable, le LME entend combiner des normes et davantage de transparence des acteurs. Cette exigence de traçabilité répond aux attentes fortes des investisseurs ainsi que des consommateurs sur des sujets essentiels que sont le travail des enfants, le travail forcé ou encore l’achat d’armes et la corruption. Le guide de l’OCDE ne sort cependant pas du cadre de ces sujets graves, alors qu’il existe d’autres sujets qui préoccupent aussi bien les investisseurs que les consommateurs. C’est en particulier le cas des conditions sociales des travailleurs et de la préservation de l’environnement.

Sur ces questions, le LME s’appuiera sur le label Cera. Les enjeux sont de taille puisqu’aujourd’hui, selon la Banque mondiale, les émissions de CO2 par habitant du territoire sont à peu près équivalentes à celle des Etats-Unis, qui sont loin d’être un bon élève en la matière. Malgré l’implantation de nombreux moyens de production d’énergies renouvelables ces dernières années, la part de ces énergies dans le mix énergétique calédonien est légèrement plus faible qu’en 2009, comme le montre le dernier rapport d’activité de l’Institut d’émission d’outre-mer. D’un peu plus de 20 %, cette part se situe aujourd’hui un peu au-dessus des 15 % du total de l’énergie produite. La raison est simple et tient à la construction de deux centrales à charbon pour les usines du Nord et du Sud. La transition énergétique calédonienne apparaît donc d’une certaine manière en trompe-l’œil, occultant le poids prépondérant du nickel sur la question des émissions de gaz à effet de serre.

En matière d’environnement, le réchauffement climatique n’est pas le seul enjeu. Il est également question de la gestion des eaux et de la protection de la biodiversité. À ces enjeux forts s’ajoutent les enjeux sociaux. L’engagement récent de la SLN dans une démarche de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) traduit une certaine prise de conscience de l’industriel. Les blocages de la côte Est n’y sont certainement pas étrangers. C’est d’ailleurs la directrice de la RSE, Jeanne Setiano, qui est aussi en charge des centre miniers de la côte Est. Les populations vivant à proximité de l’usine du Sud, mais aussi du Nord ont connu de grands bouleversements pas toujours maîtrisés et pas forcément bien accompagnés par les industriels et les collectivités. Le contexte, aussi bien sur la côte Est que dans le Sud, montre que l’accompagnement des populations aurait pu être plus efficace.

Une exploitation qui ne cesse de progresser

Des enjeux d’autant plus importants que la transition numérique et l’électrification des transports nécessitent toujours plus de minerais de métaux divers et variés. Comme le montre une étude des Nations unies environnement de 2019 (à télécharger sur resourcepanel.org), les ressources sont aujourd’hui extraites trois fois plus vite qu’en 1970. Pour les métaux, cela représente une croissance de l’extraction de l’ordre de 2,7 % par sur les cinquante dernières années. Une activité qui trouble fortement la biodiversité. L’ONU estime que ces industries sont responsables de 80 % des pertes de biodiversité enregistrées. Sur la question des gaz à effet de serre, l’activité extractive est à peine plus positive puisque le rapport évalue sa contribution à 53 % des émissions mondiales de CO2.

Le LME projette d’intégrer ses nouvelles normes d’ici 2023, notamment afin de ne pas pénaliser les industriels dont la pratique serait plus « artisanale ». Mais au-delà des problématiques telles que le travail des enfants, qui font plutôt consensus, la prise en compte des problématiques environnementales et sociales seront nettement plus complexes et font moins l’unanimité. Les ONG mettent notamment en doute le principe qui conduira à laisser le choix au consommateur, celui de privilégier un produit « éthique » ou un produit qui le serait moins et donc moins cher. Les ONG demeurent plutôt sceptiques sur le fait que, globalement, le choix des consommateurs se porte sur les produits « éthiques ». De fait, actuellement, ces produits restent des produits de niche, en particulier pour des questions de prix.

L’engagement vers une industrie plus responsable repose, comme son nom l’indique, sur des engagements des entreprises. Pour l’une des auteures du rapport, tout comme certains eurodéputés et notamment du groupe écologiste, ces labels vont dans le bon sens, mais doivent être complétés par une réglementation pour véritablement produire des effets. C’est le cas, par exemple de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or dont les approvisionnements feront l’objet d’une réglementation européenne dès 2021. Pour les autres métaux, il faudra encore attendre.

Si la prise de conscience semble progresser, la traduction dans les processus industriels et les actes de consommation pourrait prendre du temps. Une prime aux bonnes pratiques environnementales ne devrait pas être pour demain. De nombreuses voix s’élèvent par ailleurs pour dénoncer le paradoxe qui consiste à vouloir produire toujours plus, tout en protégeant l’environnement. Une combinaison qui ne semble pas nécessairement faire bon ménage avec l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables.

M.D.

©China out/afp